Ce billet fait suite à la lecture, dans le dernier numéro de la revue Books, d’un dossier intitulé Internet contre la démocratie. Ce dossier a été commenté dans Place de la Toile, l’excellente émission de Xavier de la Porte sur France Culture (le PodCast est disponible à cette adresse).
Le déboulonnage de l’intelligence collective
Depuis maintenant 6 ans que l’on parle de Web 2.0, il existe un consensus assez fort sur l’idée qu’Internet favorise le débat démocratique en permettant à tout un chacun de s’exprimer, de prendre la parole librement, d’apporter sa pierre à ce qu’on appelle l’intelligence collective… On retrouve ces thèses dans de nombreux ouvrages, comme le remarquable « Comment le Web change le monde : l’alchimie des multitudes » de Francis Pisani et Dominique Piotet. C’est ce que j’appelle l’utopie du Web participatif.
Le terme utopie ne revêt pas pour moi un caractère péjoratif. Il me semble que les courants utopistes font souvent avancer le Monde, même s’ils portent des idées un peu théoriques ou schématiques. Par exemple, la charte d’Athènes a beaucoup fait avancer l’architecture moderne, malgré certaines de ses dérives bétonneuses.
Le dossier de la revue Books remet fortement en cause l’idée qu’Internet révolutionne la démocratie, par la bouche d’Evgueni Morozov. Ce chercheur explique comment les états totalitaires utilisent le Web pour repérer et arrêter les dissidents, et comment le Web peut être récupéré pour propager les messages des dictateurs.
La partie du dossier qui m’a le plus marqué porte sur Wikipedia. Cette encyclopédie est en effet le fer de lance de l’idée d’intelligence collective sur le Web. Et des études comparatives ont montée que sa qualité valait celles des encyclopédies classiques (comme Britannica). Wikipedia est donc une forme de démonstration du fonctionnement de l’intelligence collective. Elle valide l’utopie du Web participatif.
Le dossier lève le voile sur une forme d’aristocratie de Wikipedia : des groupes d’administrateurs auto-constitués ont les pleins pouvoirs sur les contenus de l’encyclopédie. Ces personnes gagnent leurs gallons en multipliant les corrections minimes et anecdotiques au sein des articles, en les modifiant parfois plusieurs fois de suite pour gagner plus de points. L’exemple d’un certain Essjay est particulièrement effrayant : on apprend que c’est un faux universitaire, un imposteur et qu’il dispose d’un pouvoir important au sein de Wikipedia. Cette bureaucratie wikipédienne a gagné le contrôle des contenus en profitant des failles de système. On est bien ici loin de l’idée de construction collective et démocratique…
Que faut il en penser ?
Passé le premier sentiment de consternation, je propose l’analyse suivante.
Ce dossier montre comment les mouvements idéalistes peuvent être récupérés par des gens sans scrupules. Rien de très nouveau là dedans finalement. Cependant, cela doit il remettre en question les expériences participatives en entreprise? Je penser que non.
Certaines expériences d’innovation participative lancées dans des entreprises ont porté leurs fruits. Le partage de la connaissance, la capitalisation au sein de Wiki a montré son efficacité.
Il me semble donc que l’essentiel est de préserver le but, l’intention initiale des démarches de type participatif (ou Entreprise 2.0). Il est crucial de ne pas laisser les enjeux de politique interne pervertir les initiatives participatives.
Quant à Wikipedia, je souhaite qu’elle parvienne à se réorganiser avant que l’aristocratie des Essjay ne pervertisse ses contenus.
Et vous, qu’en pensez vous ?