Depuis 2004 et la Loi pour la formation tout au long de la vie, la formation est devenue un Droit au même titre que celui aux congés payés. Successivement passée de la formation/sanction (dans les années 70 on formait les incompétents) à la formation/récompense (un séminaire au bord de la mer pour les vendeurs méritants), la formation s’est depuis 2004 transmuée en Droit, elle devient fondamentale pour l’avenir professionnel de chacun d’entre nous.
Se former dans la société de la connaissance et de l’information est indispensable et le monde professionnel ne peut plus retarder l’entrée de notre pays dans cette économie « fondée sur la connaissance, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative des emplois, avec une plus grande cohésion sociale » (Sommet de Lisbonne de mars 2000).
Rappelons que le DIF tel que prévu en 2003 par les partenaires sociaux puis le législateur en 2004 n’est pas une aumône pour les travailleurs mais le droit d’évoluer professionnellement, de développer leurs compétences mais aussi d’initier des reconversions professionnelles (que les Congés Individuels de Formation-CIF- ne peuvent couvrir en totalité vu leur coût). Ne pouvant plus garantir l’emploi à vie de leurs salariés, les entreprises doivent maintenir leur employabilité.
Rappelons aussi (on ne ne répétera jamais assez) que le seul motif valable et légal de désaccord DIF (le terme refus n’existe pas) est le désaccord sur le choix de l’action de formation, pas sur le principe de former un salarié !
Il est normal que ce Droit partagé entre l’employeur et son salarié donne lieu à un dialogue et que l’entreprise puisse s’opposer à une demande non professionnalisante (un stage de macramé ou de planche à voile) ou bien déraisonnable (un séjour linguistique en Australie dans le cadre du DIF). Mais ce qui n’était pas prévu, c’est que nombre d’entreprises profiteraient de ce pouvoir de discussion pour entraver le Droit à la formation de leurs salariés. Les subterfuges utilisés sont connus de tous et tôt ou tard se retourneront contre ces mêmes sociétés.
Citons parmi les plus courants :
- Le parcours du combattant : C’est la plus classique et la plus ancienne technique de contournement, elle existait bien avant la réforme de la formation. Pour apprendre et évoluer, il faut être (bien) accompagné et espérer que l’employeur accueillera avec bienveillance la demande individuelle de formation. Il en est trop rarement ainsi, la demande de DIF d’un salarié doit souvent suivre un parcours long, complexe et semé d’embuches. Ainsi, de 30 à 80 % des velléités de se former peuvent se perdre en route (mais l’Etat ne fait guère mieux avec le DIF dans la fonction publique ou encore la VAE).
- La file d’attente : Même si l’employeur a un mois pour répondre à une demande de DIF, il lui est tout à fait loisible de mettre en place d’interminables files d’attente : par exemple, une seule période annuelle de recueil des demandes DIF. Les demandes de DIF sont « accueillies » et réalisables l’année suivante. Pourtant, si l’employeur n’a qu’un mois pour répondre à une demande de DIF, c’est bien parce que la formation ne peut attendre des années.
- Les DIF prioritaires : Un employeur peut aussi décréter que seuls les DIF prioritaires de la branche professionnelle seront acceptés. C’est illégal mais ce terme de « prioritaire » abuse les salariés, alors contraints de choisir dans des champs très limités des formations souvent trop proches des activités de l’entreprise.
- L’abandon face au marché de la formation : une autre façon simple et efficace de ne pas déployer le DIF est d’avoir une lecture stricte de la Loi : le DIF est à l’initiative du salarié, nous le laissons donc face à la complexité d’un marché illisible, opaque et inadapté à une demande isolée. Il y a ainsi peu de chance qu’il revienne avec une convention de formation et s’il y parvient, on pourra prétexter la méconnaissance de l’organisme de formation déniché par le salarié.
- Le salarié ingénieur de formation : certaines entreprises ne craignent pas de demander plusieurs devis à leurs salariés (jusqu’à 3), une étude de marché, ou, pour une grande société publique, une lettre de motivation pour toute demande. Pour compléter le tableau, on peut aussi imaginer un salarié devant se transformer en ingénieur de formation pour élaborer un cahier des charges ou lancer un appel d’offre.
- L’information défaillante ou inexistante : L’employeur est tenu d’informer à minima du nombre d’heures dont dispose chaque salarié. Certains employeurs le font sur la fiche de paie (fiche de paie qui est une des plus complexes au monde) en indiquant simplement : DIF=54. Le salarié ne sait souvent pas de quoi il s’agit : des jours, des €uros, des heures ? et personne dans son proche environnement professionnel n’est capable de lui donner des informations. Six ans après le vote de la Loi, un groupe français de 12 000 salariés n’a pas encore pris la peine d’informer ses salariés du nombre d’heures dont ils disposent (il n’y a pas de sanction en cas d’absence d’information).
- La variante de l’absence d’information : Le salarié ne sait pas comment formuler sa demande de DIF, il n’a aucun formulaire, il ne sait pas à qui remettre le remettre et son manager, au courant de rien, le renvoie vers un quelconque service administratif qui fait la sourde oreille.
- L’insécurité : Admettons que le salarié ait enfin pu soumettre sa demande, en l’absence d’une charte DIF ou simplement d’explications de l’entreprise, il fait souvent cette demande en aveugle sans aucune idée de la façon dont elle sera reçue et perçue. L’anglais fait il partie des priorités de branche, de l’entreprise, y ai-je droit ? l’organisme que j’ai choisi est-il trop cher, pas assez cher, de mauvaise réputation ? C’est le flou total, et cette insécurité lors de la demande permet de stopper net de nombreuses velléités.
- Les contraintes budgétaires : Il est facile de faire croire aux salariés que la formation est soumise à un budget plafonné qu’on ne pourrait dépasser. Cette limite à ne pas dépasser n’existe bien évidement pas mais est bien commode pour refuser des DIF.
- Le refus DIF : Les entreprises ont cru lire dans la Loi qu’elles disposaient d’un pouvoir discrétionnaire de dire non si elles n’avaient pas les budgets, le temps, les moyens humains ou simplement pas l’envie de développer le DIF. Face à un refus d’accorder le DIF, refus qui n’a pas à être motivé selon la Loi, le candidat au DIF est renvoyé dans les cordes durant deux ans pour reprendre ensuite des démarches longues et hasardeuses auprès des Fongecifs (qui n’ont de toute façon pas les moyens de répondre et de financer des milliers de DIF contentieux).
En guise de conclusion
Pour que le DIF ne devienne pas un dispositif infernal (la bombe à retardement) qui empoisonnera durant des années les relations sociales et professionnelles dans notre pays, il importe d’assumer ses responsabilités :
- l’Etat, qui doit mener des campagnes de communication sur le DIF, le déployer aussi pour ses propres personnels,
- les partenaires sociaux, qui ne peuvent se contenter de mettre en avant la formation à Paris puis de l’oublier ensuite sur le terrain dans les entreprises,
- les salariés, qui doivent demander à bénéficier de leur DIF car comme le Droit de vote et la démocratie, un Droit dont on se prive disparaît à terme,
- les entreprises, notamment celles qui emploient les personnels les moins qualifiés. Ces entreprises doivent entendre et admettre qu’elles ne peuvent plus considérer leurs salariés comme de la simple main d’œuvre corvéable et interchangeable mais comme leur capital humain, qu’il importe de faire grandir avec l’activité.
Didier Cozin
Ingénieur de formation professionnelle.