Anthologie permanente : Kiki Dimoula

Par Florence Trocmé

Rappel : la poète grecque Kiki Dimoula a reçu ce week-end dernier à Strasbourg le Prix Européen de Littérature. Simultanément paraissent deux livres, Mon dernier corps aux Éditions Arfuyen et Le Peu du monde, suivi de Je te salue Jamais, dans la collection Poésie/Gallimard (présentation de ces deux ouvrages ici)
  
SIGNE DE RECONNAISSANCE
Statue de femme aux mains liées
  
Tout le monde t’appelle aussitôt statue
et moi aussitôt je te donne le nom de femme.
  
Tu décores un jardin public.
De loin tu nous trompes.
On te croirait légèrement redressée
pour te souvenir d’un beau rêve,
et prenant ton élan pour le vivre.
De près le rêve se précise :
tes mains sont liées dans le dos
par une corde de marbre
et ta posture, c’est ta volonté
de trouver quelque chose qui t’aide
à fuir l’angoisse du prisonnier.
On t’a commandée ainsi au sculpteur :
prisonnière.
Tu ne peux
peser dans ta main ni la pluie
ni la moindre marguerite.
Tes mains sont liées.
  
Ce n’est pas seulement le marbre qui te garde
comme Argus. Si quelque chose allait changer
dans le parcours des marbres,
si les statues entraient en lutte
pour conquérir la liberté, l’égalité,
comme les esclaves,
les morts
et notre sentiment,
toi tu marcherais
dans cette cosmogonie des marbres
les mains toujours liée, prisonnière.
  
Tout le monde t’appelle aussitôt statue
et moi tout de suite je t’appelle femme.
Non pas du fait que le sculpteur
a confié une femme au marbre
et que tes hanches promettent
une fertilité de statue
une belle récolte d’immobilité.
À cause de tes mains liées, que tu as
depuis que je te connais, tous ces siècles,
je t’appelle femme.
  
Je t’appelle femme
car tu es prisonnière.
  
Kiki Dimoula, Le Peu du monde, suivi de Je te salue Jamais, préface de Nikos Dimou, traduction de Michel Volkovitch, Poésie/Gallimard, Poésie/Gallimard, n° 457, 224 p, 6,50 €, p. 50.
  
LE PLUS PROCHE
  
Encore ignorants du monde semble-t-il
et de ses lois, de jeunes oiseaux
malgré tout déjà fatigués
car les ailes ne sont pas un bienfait
un privilège sans chute
me demandent à moi, qui ça moi,
où se trouve la branche la plus proche
pour se poser.
N’importe quoi. Si je savais
où se trouve le Plus Proche
et qu’il existe un comparatif
pour le Proche inexistant,
je courrais l’attraper la première,
tout entier sans partager,
et les oiseaux les priorités la justice
pourraient tous crever
– solidarité, branches cassées.
Ils n’ont qu’à demander, ces oiseaux
à la grande Expérience
pour entendre ce qu’elle m’a dit à moi
lorsque abattue par une fatigue sans ailes
je lui demandais pour me poser où se trouve
l’arbre le plus proche.
N’importe quoi, a ricané
la grande Expérience : si je savais
où se trouve le Plus Proche
je sauterais dessus la première,
pour l’avoir tout entier sans partage,
et toi tu pourrais crever
car l’arbre le plus proche
c’est ta mort et ma vie.
  
Kiki Dimoula, Mon dernier corps, traduit du grec par Michel Volkovitch, Arfuyen, 2010, pp. 26 à 29.
La version originale de ce poème est disponible en pdf (liens de téléchargement ci-dessous).
Téléchargement Dimoula - 1    -   Téléchargement Dimoula - fin du poème
  
Kiki Dimoula dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1
  
Nombreux poèmes de Kiki Dimoula sur le site du traducteur Michel Volkovitch.
  
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