C'est ma nouvelle copine mais elle ne le sait pas encore.
Elle a 80 ans au jugé et je ne connais que le nom de sa chienne, Elliott.
Même sans être très au fait des noms de chiens, ça sonne bizarrement pour une femelle. Et pour une femme de 80 ans.
Pour l'instant la seule référence qui me vienne à l'esprit est l'un des personnages de la série Scrub, une jolie jeune
fille blonde.
J'ai d'abord approché Mamie par pitié pour la chienne, un chiot aux très longues pattes, fougueux mais limité par les petits
pas de sa maîtresse, très précautionneuse, le dos vouté.
En sortant du boulot, un soir, je l'ai abordée et nous avons conversé.
Elliott voit un comportementaliste et c'est pour cela qu'elle est si sage, de plus en plus calme, elle ne manifeste plus
l'enthousiasme de ses débuts, c'est une chienne de vieille elle en a pris son parti.
Ca ne rend pas ma nouvelle amie très engageante mais je ne résiste pas au plaisir de connaître quelqu'un qui évoque sans
aucune gêne son employée de maison à la première conversation venue avec une inconnue dans la rue.
"Dans le Ferry, elle [Florence Aubenas] avait été déléguée, puisque c'est une femme, à « faire » les WC du Ferry : « En un quart d'heure, écrit-elle, mes genoux ont doublé de volume, mes bras sont dévorés de fourmis et j'écume de chaleur dans le pull que j'avais cru prudent de garder. Je n'arrête pas de me cogner dans les gens, les meubles, je ne suis pas loin d'éborgner une collègue avec un pulvérisateur pendant qu'elle fait les bannettes."
Nous nous sommes rencontré aux Champs Elysées, elle y vit j'y travaille, mais la première fois elle a pu me prendre pour
une résidente d'où je présume une certaine décontraction envers moi.
Revenons à sa qualité de patronne. Je ne lui envie pas sa maisonnée mais ai peu l'occasion de rencontrer des gens aussi
à l'aise avec leur statut. Elle a mentionné son "employée de maison" sans vraie raison, au milieu d'une anecdote qui
ne le justifiait pas. Mais elle n'avait pas non plus de raison de s'en cacher, comme le fait que sa table de salon soit
plutôt ronde, rectangulaire ou ovale.
" «Les femmes veulent toutes faire du nettoyage, mais elles ne comprennent pas qu’il ne suffit pas d’en avoir envie pour y arriver. La plupart décrochent très vite. Croyez-le si vous voulez : on a du mal à recruter.» Ainsi parle M. Médard (tous les noms et prénoms du livre ont été changés), responsable à l’Immaculée - une entreprise de nettoyage - où Florence Aubenas a réussi à figurer dans la liste des personnels disponibles partout, tout le temps et à tout moment."
Ce n'est pas un signe ostentatoire de puissance, elle n'en éprouve aucune gêne. C'est comme ça.
Cette hônnèteté pourrait l'honorer, signe d'un rapport franc à sa position sociale, l'exacte opposée de la
gauche caviar fustigée ou du bobo bêbête.
Je n'ai aucune preuve qu'elle ne la paie pas correctement ni qu'elle l'humilie. Ceux qui se coulent facilement dans
les habits du patron sont-ils nécessairement moins respectueux de leurs subordonnés ?
"Comme le lui prédit Victoria, retraitée forte en gueule rencontrée là-bas, «tu verras, quand tu seras femme de ménage tu seras invisible»."
Personnellement, je déteste être servie. J'ai honte pour la personne qui obéit à mes ordres, la serveuse, j'ai besoin de lui sourire exagéremment, de bien mettre mes couverts dans mon assiette pour qu'elle desserve plus facilement, de dire merci merci merci pour le verre, la carafe, le plat, le menu, le pain, tout est prétexte à de chaleureux remerciements.
"Celle qui ne va pas chez le dentiste, parce qu'elle n'a pas de CMU et attend d'avoir les dents pourries pour se les faire arracher à l'hôpital... Celui qui, pour séduire les femmes, leur offre des nouilles aux rillettes et parle de son "atout": son oeil Cotorep... Celle qui emprunte 3 euros à une amie pour finir le mois (« Pour aujourd'hui, en tout cas, ça va, t'en fais pas. J'ai emprunté trois euros à Sandrine. Pour demain, je verrai. Bisous, Maman »)... "
Et je laisse rarement de pourboire.