Les équipes et les responsables s'affairaient dans l'aire de jeu à régler les derniers détails de ce match d'ouverture qui opposerait le Bekono aux lions de la forêt. Toutes les autorités religieuses, administratives et traditionnelles étaient déjà présentes. Même le sorcier était de la fête. La foule avait revêtu ses plus grands atouts lorsque, tenue avec des jeunes de mon âge, divaguant joyeusement, je vis l'adjoint au chef du village traverser ce qui servait de pelouse et s'avancer vers nous. Il s'adressa à moi:
-Qui d'autre que cette jeune personne qui est allée à l'école des blancs pour nous servir d'interprète? Je protestai encore que mes compères ajoutaient de l'eau au moulin du chef.
-Eh!oui, la manipulation de cette langue est un jeu d'enfant pour Ekotto.
J'aurais voulu faire comprendre à ce monsieur d'une quarantaine d'années dont la calvitie s'offrait la part du lion sur ce crane reluisant au soleil, que parler deux langues n'équivalait pas à jouer les interprètes. Mais il m'entrainait déjà avec lui sous la bâche: tente THS “Très Haut Standing” où les dispositions étaient déjà prises pour l'accueil de l'autorité administrative attendue.
J'étais là à m'interroger, comment traduire “esprit sportif”, “fair play” “détermination et combativité”, expressions dont j'étais sûre, allaient jalonner le discours du sous-préfet, en mon Yebekolo rudimentaire, lorsqu'un bruit de voiture se fit entendre.
Un homme d'une corpulence moyenne et d'un teint mat descendit: Remise de bouquet de fleurs, salutations, poignées de mains, puis sous la coordination d'un maitre d'école, les élèves présents entonnent l'hymne national.
C'est en ce moment que je le vis.
D'ailleurs comment ne l'avoir pas vu plus tôt? Il dépassait pourtant tout le monde d'une bonne tête. Crâne rasé, mon grand-père, chef de la grande famille Betsogo marchait, avec fière allure, dans le groupe de personnes qui avançait derrière le sous-préfet. Il avait opté pour tenue vestimentaire: un stetson de couleur noire, qu'il tenait à la main en ce moment, une chaussure noire pointinini scintillante dans ce soleil d'aplomb, de larges lunettes de soleil mangeaient son visage et … un pyjama de couleur jaune pale, jump-up au niveau des chevilles à la Michael Jackson avec des chaussettes et pochette assorties.
Je manquai de m'étrangler. Comment était-ce possible? Je cherchais des yeux mes cousins. Je les aperçu debout, derrière un groupe de femmes âgées. Ils se tordaient de rire. Je les menaçais du regard mais rien n'y fit ils éclataient de plus belle.
Bouillant de rage, je voulu les réprimander de vive voix lorsque je fus à mon tour secouée de fou rire. La cérémonie commença. Elle fut riche en évènements, en couleurs et en émotions.
Après la traduction du mot de la fin, je vis mon élégant rand-père qui raccompagnait le chef de terre.
En quelques enjambées je fus près de mes cousins. Bertrand et Joachim.
-Pourquoi avoir laisser le grand-père venir vêtu de la sorte? Enchainais-je.
-C'est pas notre faute! Répondirent-ils en chœur. Il a choisi sa tenue, on lui a fait comprendre que celle-là n'était pas adapté, et que parmi les vêtements envoyés par tonton il y a des pantalons, des chemises et des vestes; et que ce vêtement choisi par lui est destiné à être porté pour pour dormir, il a rétorqué, un brin suspicieux : ''Quoi? Un vêtement que mon fils m'a envoyé? Un vêtement qui a pris l'avion? Si je dors avec, qui me verra? En plus c'est un très bel ensemble''.