Carpe diem mon cul

Publié le 14 mars 2010 par Francisbf

Carpe diem. Quelle connerie.

Je ne compte plus les gens qui se réclament de cette maxime idiote comme philosophie de vie. La plupart de ceux-là me reprochent mon côté casanier, le fait qu'en trois mois de Sénégal je ne me sois pas donné la peine de visiter le moindre truc à Dakar (alors que foutredieu, je bosse, je rentre, j'ai pas que ça à foutre d'aller traîner dans des marchés, je le faisais pas en France, c'est pas maintenant que je vais commencer) et enchaînent sur leur sempiternelle rengaine visant à me convaincre du bien-fondé des voyages, qui forment la jeunesse, tout ça. Selon ces braves donneurs de leçons moralistes, si tu n'as pas été partout, tout vu, tout mangé, eu des diarrhées-geysers dans des chiottes dégueulasses, tu peux pas comprendre le monde, t'as raté ta vie.

Foutaises.

Voyager ne rend pas plus intelligent. Je connais plus de gens intelligents qui ont voyagé, certes, mais je suis à peu près convaincu qu'ils l'étaient avant de se barrer. Comme disait le grand Georges, quand on est con, on est con, c'est pas d'avoir vu le coucher de soleil sur le mont Fuji ou un lion bouffer une gazelle sous un baobab qui va te rendre plus intelligent. Et puis si les gens intelligents sont majoritaires, j'ai quand même rencontré plein de cons ayant voyagé (la plupart étant les adeptes du Carpe Diem cités plus haut).

Les voyages, je suis désolé de vous le dire de manière aussi abrupte, les voyages, concrètement, ne servent à rien. Les voyages pour le voyage, je veux dire (je ne parle pas des voyages « obligatoires », d'affaires, ou... ou d'affaires. Ou d'études, mettons). Il y a même un certain paradoxe là-derrière.

On voyage, on voit des trucs jolis, et alors ? Une fois qu'on est revenu, il ne reste que des souvenirs. Des images dans la tête. Un passé, qui ne fait qu'encombrer quand on prétend essayer de vivre le présent.

Carper le diem pour avoir un passé sur lequel se retourner une fois qu'on a bousillé sa santé à visiter des pays pas sains et à manger des cochonneries pleines de coliformes fécaux, pendant que mouches vertes prêtes à vous pondre leurs oeufs dans la peau vous tournent autour de la tête ?

Pour avoir des regrets en rentrant chez soi parce que c'était mieux là-bas et qu'on aurait dû rester, ou pour en avoir parce qu'on a perdu son temps à se vider la boyasse accroupi au-dessus d' un trou miteux, les pieds dans les éclaboussures cholériques des gens qui sont passés avant vous ?

Franchement. NON, ça ne donne pas un sens à la vie. NON, la vie n'a pas de sens à avoir. Et NON, se la péter devant les gens parce qu'on a des souvenirs de plus qu'eux n'a aucun sens. Quelque chose de vécu, par définition, c'est du passé. Quelque chose de passé n'existe plus. Le passé est sans intérêt, les amis. Votre passé encore plus que le mien, puisque c'est vous qui l'avez vécu. Non, je ne serai pas impressionné par le fait que les images dans votre tête soient plus intéressantes que les miennes, d'ailleurs j'ai une très bonne imagination, figurez-vous que je peux avoir les mêmes images dans la tête sans avoir à passer par l'étape diarrhée en brousse.

Ha mais. Si je veux ne rien faire, c'est mon droit le plus strict, nom d'une pipe. Je gagne un temps précieux à ne pas me faire de souvenirs, je le gagne en ne vivant pas ces futurs souvenirs, et en ne les rabâchant pas à mon malheureux entourage, pour ça je pourrai toujours les inventer si ça peut vous faire plaisir, ne vous en faites pas. Mais par pitié, fichez-moi la paix et laissez-moi lire tranquillement et glander devant mon ordinateur.

Bon, je dois vous laisser, il faut que je prépare mon sac, je pars en mission demain matin, quatre jours de pêche dans un bolong du Sine-Saloum.

J'espère que vous n'êtes pas jaloux. Y'a vraiment pas de raison.

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