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Sheridan a toujours plus ou moins (bien) filmé la même chose: les grandes causes politiques d’un côté, et la famille de l’autre. De In America à Au Nom du Père, jusqu’à ce Brothers-ci, celles-ci se rencontrent, s’entrechoquent, s’engagent dans une rude bataille pour survivre, le clan familial étant en permanence arraché à sa quiétude initiale. Au travers de ce triangle amoureux, tiré de l’œuvre de Bier, il scrute de près les traumas liés à la guerre ou comment les horreurs perpétrées au combat viennent s’insinuer et se graver dans les êtres, en gangrène monstrueuse de l’être d’avant. Car il y a un avant, et un après, pour tous. Pour ce frère qui se retrouve malgré lui sur le devant de la scène, pour cette femme endeuillée, ce père obligé de questionner un patriotisme exacerbé, pour cet homme parti en soldat, revenu en mort-vivant, sucé jusqu’à la moelle par les fantômes tenaces des culpabilités latentes et des atrocités commises. Sheridan, avec son film, s’inscrit dans la droite lignée d’une flopée d’œuvres qui ont, tout comme lui, pointer du doigt ces guerres destructrices d’âmes et d’hommes, qui bousillent les esprits, les proches, les consciences, et n’ayant pour conséquence que la mort, quelle que soit sa forme (physique ou psychologique). Le problème? D’autres furent bien meilleurs avant lui. Redacted de De Palma- sauvage, cruel, brutal- en profitait aussi pour disserter sur le pouvoir de l’image et des nouveaux médias, ou Dans la vallée d’Elah de Paul Haggis, offrait une sublime réflexion sur le deuil, empreinte d’une justesse incroyable. Ici, Sheridan passe en mode mélodramatique, où l’on pleure sur du U2, avec une manière de filmer la douleur aussi lisse que les larmes de Natalie Portman, charmante mais vautrée dans un systématisme de jeu superficiel. Pour le coup, les mille bonnes idées du récit restent bizarrement figées comme derrière un mur de glace: l’ambigüité des relations entre l’épouse et le beau-frère, le travail de deuil, les implications émotionnelles. Reste la prestation hallucinante de Tobey Maguire, transfiguré tour à tour par la rage, la colère, la peur, la confusion. Certainement dans le plus beau et intéressant rôle de sa carrière, il brûle l’écran en père et époux déchu.