1- Le cuisinier de Bangkok
Bangkok . Angle de Sukhumvit et soi (rue) 15.
Le temps s’est figé à la pendule Henri II, au-dessus du placard réfrigéré par Coca Cola.
L’homme si vieux, sans âge, trottine d’une table à l’autre. C’est lui, le chef. Son oeil fatigué voit tout. Les clients assis se délectant des plats qu’on leur sert. Les plus jeunes, affamés, engloutissent des bols de nouilles qu’ils arrosent de sauce brune. Mais la spécialité de la maison, ce sont les coques. Les coques au poivre et à l’ail, ou cuisinées à la tomate, ou froides, à la mayonnaise. A midi, les cadres des centres commerciaux se retrouvent là, mais aussi les vendeuses, le routard, moi ou n’importe qui.
Les murs sont noircis par la fumée du charbon de bois utilisé dans la cuisine adjacente et tapissés d’articles de journaux vantant les mérites du lieu et le talent de son chef. C’est aujourd’hui un très vieil homme, frêle, au visage gris et sévère dont le regard s’attendrit lorsque vous prenez ses deux mains dans les vôtres pour le féliciter. Dans le ballet qu’il exécute autour des tables, de son pas menu et saccadé, il parcourt sans voyager tout l’univers. Son univers. Microcosme d’un monde clos et cependant ouvert sur la rue et le monde.
Immense savoir-faire d’une cuisine ritualisée. Gestes précis de la découpe du canard. Friture parfaite. Croustillance des petits pâtés à la chair fine, évanescente. Quelques bahts pour ces chefs d’oeuvre intemporels!
Photo: G. Serrière