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Je reviens à Camus. Ses noces à Tipasa agitent mes souvenirs.
Je les accroche comme banderille à chaque mot qui se déroule.
Je revois un enfant écouter avec stupeur les fantômes de chars et de gladiateurs, dans les ruelles de Sbeïtla et du Colysée d’El Djem…
Ce qui vient à l’odeur saline d’une mer paisible venant s’échouer aux confins désertiques d’un monde…
Ici, rien n’existe des tensions, des guerres, des compromissions et de l’absurde érigé en système.
Sans doute une bonne raison pour ne pas lire Camus avant. Il me faut à peine dépasser l’âge qui fut le sien lorsque tout fut consommé pour accepter l’idée même de cette absurdité…
Absurdité et cynisme qui jette comme appâts les errements d’une jeunesse sans espoir.
Absurdité et cynisme que l’étalage des richesses opulentes sous les regards définitif des morts de froids, de fatigue sous le joug des oppressions régulières.
Nous voici coincés entre deux mondes : celui du retrait et du silence, de la solitaire réflexion et du regard distant qui nous fonde à tenter encore d’écrire, sans rien délaisser de notre présence au monde ; celui qui se déchaîne en vaines passions sous la surveillance étroite des apprentis dictateurs…
Ceux-là, derrière le paravent usé des ogives nucléaires, ne savent qu’inventer de tristes lois pour faire courber les échines…
A l’étroit entre ces deux rives, il nous reste à nous construire, malgré tout, une parcelle de bonheur éphémère.
On revient au Lubéron. Il a revêtu ses atours d’hiver. Un saupoudrage savant en souligne les courbes alanguies dans les rayons obliques d’un soleil intimidé.
Décidément, nos pas ne font que se suivre. De cette Afrique du Nord devenu un mythe perdu aux vallons secrets, nous savons où chercher la sérénité face à l’absurde… Nous ne pouvons que revisiter les mythes, mais nulle oreille ne sait plus les entendre.
Et toujours nous ne pouvons que dire notre espérance, embarqués que nous sommes dans ce vertigineux voyage, de voir nos contemporains, enfin, ouvrir leurs consciences sourdes, à l’impérieuse nécessité de libérer ce monde de ce danger immédiat qui se chiffre en milliards dépensés pour une œuvre de mort…
Tandis que la cour s’adonne à d’autres jeux.
«Un écrivain écrit en grande partie pour être lu (ceux qui disent le contraire, admirons-les, mais ne les croyons pas). De plus en plus cependant, il écrit chez nous pour obtenir cette consécration dernière qui consiste à ne pas être lu. A partir du moment, en effet, où il peut fournir la matière d’un article pittoresque dans notre presse à grand tirage, il a toutes les chances d’être connu par un assez grand nombre de personnes qui ne le liront jamais parce qu’elles se suffiront de connaître son nom et de lire ce qu’on écrira sur lui. » [1]
Absurde temps où l’image vaut mieux que la pensée, où l’apparence prime sur la vaillance interne d’une vie construite au dur labeur d’Homme.
«Le déluge de mots et de jugements hâtifs qui noie aujourd’hui toute activité publique dans un océan de frivolité enseigne du moins à l’écrivain français une modestie dont il a un incessant besoin dans une nation qui, d’autre part, donne à son métier une importance disproportionnée. » [2]
Tout contient son contraire. De cette absurde réalité nous vient la possibilité d’être, non pas ce que nous sommes mais, d’explorer les facettes sans cesse à découvrir du personnage que nous jouons, souvent fort mal
Nous ne pouvons, dans un monde voué au risque permanent de sa disparition, que faire preuve d’un pessimisme nécessaire. C’est dans ce réalisme froid que nous pouvons bâtir des espérances qui ne puissent être vaines.
C’est en plongeant, avec nos contemporains aux racines de cette absurdité que nous pouvons dégager une pensée solaire, capable d’irradier autre chose que les mêmes sempiternelles ritournelles visant à les endormir.
En ceci, comme Camus le disait lors de sa conférence à l’université d’Upsal, le 14 décembre 1957, ne nous fait pas « engagés », mais « embarqués ».
C’est cette condition d’embraqués dans le même navire qui nous permet d’élever les voiles colorées capables de détourner le rafiot de sa route vers les récifs…
Ce qui compte, désormais, sera de contribuer, au moins, à tenter encore d’éviter le naufrage.
Manosque, 12 février 2010
[1] Albert Camus, L'été (L'énigme) in, Noces, suivi de L'été, éditions Folio
[2] Op.cit.
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