Il est intéressant de constater que la religion a toujours occupé une place importante dans la guerre, et ce, dès l’Antiquité. A Rome, le moindre conflit doit suivre des règles immuables, car on ne plaisante pas avec les dieux ! Ces lois sont aussi curieuses que nombreuses…
Des interdits immuables
La cité de Rome est délimitée par le pomerium, « l’enceinte sacrée » : dans la ville les armes sont formellement interdites. Avant de déclencher une guerre il faut consulter les dieux selon le rituel des augures, les hommes qui interprètent les vols des oiseaux. Parfois on fait appel aux haruspices, des prêtres d’origine étrusque qui analysent les entrailles des victimes. Les pulluaires, qui accompagnent les chefs de guerre, mesurent l’appétit des poulets sacrés !
Ces pratiques qui peuvent paraître absurdes, ne constituent pas la preuve que les Romains étaient des gens crédules. Mais force est de constater que pour ce peuple la religion n’a pas la même signification que la nôtre : chaque citoyen doit rendre hommage aux dieux de la cité à un moment ou un autre de sa vie, que ce soit par les prières ou les sacrifices. Ne pas accomplir ce devoir est un crime grave qui peut être passible de la peine de mort, car en cas d’offense aux divinités c’est l’ensemble de la communauté qui est puni.
Certains généraux ne tiennent pas compte de ces avertissements, comme le consul Publius Claudius Pulcher dont l’histoire est restée célèbre : juste avant une bataille navale contre les Carthaginois, les pulluaires informent Publius que les poulets ne veulent pas s’alimenter, ce qui est donc un mauvais signe. Le consul, en colère, précipite alors les volatiles à la mer « pour qu’ils boivent puisqu’ils ne peuvent pas manger ». S’en suit une bataille qui se solde… par la défaite. Mais la religion n’a pas qu’un rôle négatif dans le déroulement d’une guerre car ponctuellement les dieux peuvent venir en aide aux Romains… en échange d’une contre-partie.
La magie guerrière des Romains
Dans certaines batailles, la situation est parfois désespérée. Le seul moyen pour l’emporter est d’invoquer des puissances surnaturelles terribles… Inutile de dire qu’on n’emploie pas ces forces à la légère ! Il existe plusieurs pratiques selon l’effet recherché. Pour vaincre les Etrusques, les Romains utilisent le rituel de l’evocatio : on essaye de convaincre la divinité adverse de ne plus protéger l’ennemi en échange de promesses… et de cadeaux. C’est précisément ce qui se passe avec la cité étrusque de Véies, tombée après des années de siège : plus tard les Romains font construire un temple encore plus beau à Rome en l’honneur de Junon, comme promis !
Il existe un rituel plus sombre, et beaucoup plus rare, qui nécessite un vrai sacrifice humain : la devotio. Le général promet aux dieux sa vie en échange de la victoire, comme le légendaire héros Marcus Curtius qui se jeta dans un abîme avec son cheval. Les membres de la famille des Decii Mures utilisent plusieurs fois cette sinistre pratique, en se précipitant au coeur de la mêlée, comme contre Pyrrhus à la bataille d’Ausculum… Autre moment épique célèbre avec Publius Decius Mus, qui se dévoue contre les Latins au pied du Vésuve près du fleuve Véséris. Mais les militaires ne sont pas les seuls à supplier les dieux, loin de là.
Supplications, Sybille et Pythie
Comme on peut s’en douter, le peuple des citoyens participe largement à des cérémonies. Lorsque la cité est menacée, les Romains, couronnés de branches de laurier, « supplient » les dieux sur les lieux de culte… et les remercient de la même façon en offrant de l’encens et du vin. Lorsqu’un présage grave est annoncé, on consulte les fameux livres sybillins, des écrits précieusement conservés au Capitole depuis des siècles. La tradition raconte que c’est le roi étrusque Tarquin le Superbe qui les aurait achetés à une vieille femme. Ces textes, conservés par deux prêtres, sont aussi lus lorsqu’on cherche une réponse à un problème donné. Exemple :
« Si le roi d’Egypte vient vous demander du secours, ne lui refusez pas votre amitié, mais ne lui accordez aucune armée, sinon vous aurez à supporter des fatigues et des dangers. »
Les phrases sont donc interprétées, ce qui n’est pas sans conséquences. Ainsi lorsque César annonce qu’il projette d’organiser une campagne militaire contre les terribles Parthes, le Sénat apprend dans les ouvrages sybillins que « seul un roi pourra vaincre les Parthes« . Cela confirme donc que les sénateurs doivent à tout prix se débarrasser du futur tyran… Les livres sont tellement confus que Cicéron écrit « qu’on peut en faire ce qu’on veut », ce qui explique aujourd’hui pourquoi on utilise le mot sybillin quand on évoque quelque chose d’incompréhensible.
Il arrive que Rome envoie une ambassade à l’oracle d’Apollon à Delphes, pour demander un conseil à la Pythie, une vierge assise sur un trépied qui s’exprime en vers après avoir mâché des lauriers. Deux prêtres interprètent les paroles de la Pythie, cachée dans l’obscurité… L’oracle est prise très au sérieux puisque après la défaite de Cannes contre les Carthaginois, les Romains envoient une délégation à Delphes pour demander conseil !
Comme nous l’avons constaté, les Romains n’étaient pas des intégristes religieux, mais plutôt des gens très superstitieux qui respectaient de nombreuses traditions pour protéger la cité, très souvent en guerre. Ironie de l’Histoire, lorsque les premiers chrétiens refusèrent de procéder à des sacrifices en l’honneur de l’empereur, ils furent perçus par les Romains comme de dangereux fanatiques remettant en cause l’ordre public ! Circonstance aggravante, les adeptes du Christ ne croyaient qu’en un seul dieu, et méprisaient tous les autres… Il n’en fallait pas plus pour qu’ils soient persécutés et tournés en ridicule, comme dans ce graffiti où l’on peut lire « Alexamanos adore son dieu »…