L’an 309 de notre ère, dans la ville-forteresse de Trèves, en Rhénanie. Depuis son palais impérial, Constantin ne se satisfait pas de régner en Maître sur la seule partie orientale de l’Empire, et rêve de marcher sur Rome pour accéder enfin au pouvoir absolu. A sa cour vit Eusèbe de Césarée, un prêtre oriental qui vient d’être nommé secrétaire particulier de l’empereur. Dans le secret de son cœur, Eusèbe nourrit depuis longtemps un espoir insensé : convertir à la vraie Foi son maître Constantin, ce païen arrogant, fou d’ambition, jouisseur et cruel. Un jour, le jeune érudit entre en possession d’un manuscrit fascinant : une lettre écrite par des survivants du Grand Martyre de Lugdunum (Lyon). Celle-ci pourrait représenter un argument décisif pour la conversion de Constantin, mais elle recèle aussi bien des mystères. Rongé par la curiosité et farouchement déterminé à résoudre les énigmes que pose ce document, Eusèbe prend le chemin de Lyon. Là, son enquête le conduit vers d’anciens secrets qui vont bouleverser son destin et celui de l’Empire. Atterré par ces découvertes, il fait le serment solennel de venger la mémoire des martyrs. Il accompagne Constantin dans ses campagnes militaires et le persuade que seul le Dieu des chrétiens peut le conduire à la victoire finale. Or, au moment crucial du baptême de l’empereur, les choses se gâtent… Un texte qui plonge le lecteur dans l’épopée grandiose et tragique des tout premiers siècles du christianisme, pendant lesquels intolérance religieuse, fanatisme et ambition démesurée s’allient pour faire couler le sang des martyrs.
Une critique personnelle :
Miserere Nobis relate le parcours d’un homme, Eusèbe de Césarée, jeune prêtre et secrétaire particulier de Constantin, face au mystère du Grand Martyr de Lugdunum de 177. Croyant détenir des informations essentielles quant à ce massacre d’une quarantaine de chrétiens et cherchant à convertir l’empereur à la foi chrétienne, Eusèbe part pour Lyon – où il rencontrera une femme, Béatrix, et découvrira une réalité bien autre que celle qu’il avait imaginée.
Sans dévoiler trop le reste du roman, il me semble que le mécanisme de la « déception » est au centre de ce premier ouvrage de Roger Bevand. Déception d’Eusèbe devant les découvertes qu’il fait. Déception de Béatrix devant ce qu’elle croyait de son passé et ce qu’elle espérait de son avenir. Déception, enfin, de Constantin, lorsqu’il se voit obligé, ayant épousé la religion chrétienne, d’en forcer les doctrines afin de servir son ambition personnelle.
Si l’on s’en réfère à l’étymologie, le mot « déception » vient du bas latin deceptio, qui signifie l’action de tromper ou d’être trompé. Tromperie qui, justement, tient une place essentielle dans Miserere Nobis : Eusèbe, grand historien du règne de Constantin, ne cesse, dans son œuvre, de mentir, de tromper son lecteur. Arroseur arrosé, il rencontrera dans les rues de Lugdunum tout une série de personnages dont on ne sait jamais s’ils mentent ou disent la vérité.
La parole juste est au cœur du roman de Roger Bevand, et cette interrogation, fondamentale : peut-on agir justement lorsque l’on se fonde sur un mensonge, ou l’action qui découle de cette tromperie ne sera-t-elle jamais qu’une « déception » ?
Si ces questionnements philosophiques – d’autant plus passionnants que toute tentative littéraire naît foncièrement de la recherche d’une parole juste – émergent ici et là à la lecture de Miserere Nobis, il n’en éludent jamais ce qui me semble la vocation première du livre : celle d’être un formidable roman d’aventure, érudit de bout en bout. Le lecteur suivra donc, de mensonge en vérité (c’est là, aussi, le propre du roman historique), le parcours géographique et introspectif du jeune prêtre, se passionnera pour les querelles religieuses de l’époque et ne ressortira, on l’aura compris, nullement « déçu » de cette formidable lecture.
Miserere Nobis, Roger Bevand, Actes Sud, 23 €.
A suivre, dans les jours qui viennent : un entretien avec l’auteur de Miserere Nobis, Roger Bevand.