Source: worldsikhnews.com
La dernière affaire du niqab a de nouveau soulevé les passions. Un tel climat de réactions fortement émotionnelles n’est pas très propice à la réflexion et à l’analyse. J’en tiens pour preuve la dernière chronique de Josée Legault, publiée dans le Voir (Québec, 10-17 mars) et sur son blogue, sous le titre L’arbre qui cache la forêt.
Malgré ses brillantes compétences d’analyste, madame Legault n’échappe pas aux contradictions de fond qui minent tout le débat social de fond. Dans ce texte, elle prétend avancer dans l’analyse du problème en allant plus loin que la réaction épidermique aux divers tissus provoquants (burqa, niqab, hijab) et en ciblant tout le spectre du « religieux », c’est-à-dire non seulement l’existence des institutions religieuses mais jusqu’à l’expression même des croyances, en évoquant « la simple nécessité pour une démocratie de laisser les croyances au domaine privé ». On la suivra sans réserves sur la nécessité pour l’État de cesser de financer les pratiques religieuses des minorités et leur enseignement mais cette volonté d’éliminer ou de contrôler l’expression des idées ou des identités quand elles heurtent les convictions de la majorité vient heurter de plein front cette démocratie qui est invoquée pour justifier la censure. Depuis quand une démocratie peut-elle exister quand les idées et les opinions de certains citoyens sont interdites d’expression et confinées au secret du « privé »? Je pense que, sur ce terrain, nous nageons en pleine contradiction. Et ce n’est pas la seule.
Un peu plus loin, madame Legault clarifie un peu ses propos en affirmant que « le beau principe de l’égalité homme-femme prend le bord lorsque la religion parle », ce qui revient à ramener tout l’univers des croyances en le répartissant en deux camps : d’un côté, « la religion », quelle qu’elle soit, et de l’autre, les croyances du féminisme. En pratique, c’est tout l’univers du religieux qui se trouve réduit à une idéologie unique et fondée sur l’anti-féminisme, comme si toutes les religions étaient à l’image de l’Islam et du Christianisme et comme si cette composante anti-féministe épuisait tout l’univers du religieux ou de la croyance. Je pense que jamais une telle croisade n’aurait été entreprise pour l’éradication des « religions » si le Québec avait accueilli uniquement des immigrants bouddhistes au lieu des immigrants musulmans.
Alimenter, sur la place publique, un débat entre les valeurs féministes dominantes et celles d’une partie des immigrants et d’une partie de la société d’accueil (les « fondamentalistes » chrétiens), ce serait en soi une très bonne chose si cela ne se faisait pas de façon aussi hypocrite, comme ce fut le cas en France, en prétendant promouvoir des lois justes pour tout le monde par l’interdiction de la croix chrétienne autant que la kippa judaïque et le hijab islamique dans les écoles. Les Suisses ont été moins subtils mais aussi moins hypocrites en interdisant la construction des mosquées. Sur le fond de la question, ce n’est pas alimenter un débat que de faire taire les adversaires, surtout quand l’enjeu central du débat, l’égalité homme-femme, est déplacé vers une sorte de fantasme abstrait désigné comme « la religion ».
Il est un autre aspect de ce débat larvé où les porte-parole du féminisme nagent en pleine contradiction. C’est le refus de considérer les femmes qui affichent leurs propres valeurs par divers symboles associés à l’Islam comme de véritables personnes, capables de penser, de choisir et de s’exprimer. Cela ressort clairement du texte de madame Legault, où elle parle de « l’exigence de “modestie” et de “pudeur” imposée aux filles et aux femmes », et c’est aussi une position généralisée chez les détracteurs du voile ou du niqab. Les femmes qui affichent ainsi leurs convictions sont toujours définies et présentées comme des objets servant à répéter les idées que de pervers hommes fondamentalistes leur mettent de force dans la bouche. Comment peut-on prétendre défendre des principes d’égalité entre hommes et femmes quand la qualité même de personnes est niée chez une partie des femmes, tout en étant reconnue pour leurs pères, leurs maris ou leurs Imam?
Si, à court terme, c’est de l’interdiction de la burqa et du niqab dans l’espace public qui est l’objectif, il serait très simple de mettre en application nos lois qui interdisent de circuler masqué, sans avoir à invoquer de tortueuses notions de « croyances » ou de « religions ». D’ailleurs, la burqa et le niqab ne sont pas plus des symboles religieux que la jupe longue ne l’était lorsque nos curés prêchaient pour interdire la mini.
Denis Blondin
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Le débat sur le niqab et les contradictions des féministes Commentaires inspirés par le texte de Josée Legault: L’arbre qui cache la forêt