Après
Né à Dublin en 1955, Sébastian Barry est à la fois romancier, poète et dramaturge. Souvent primé, pour ses pièces comme pour ses romans, il est reconnu comme l'une des voix les plus importantes de l'Irlande aujourd'hui. Déjà "shortlisté" avec Un long, long chemin pour le Man Booker Prize en 2005 , Le testament caché figurait sur celle de l'année 2008, et lui a valu le prix Costa Book of the year 2008, puis en 2009 le prix Hughes and Hughes Irish Novel of the Year.
Ces récompenses sont sans doute méritées. Je vous ferai remarquer qu'elles concernent les éditions en langue originale. Et c'est peut-être là le nœud du problème car il m'a semblé à de multiples reprises que j'avais entre les mains un ouvrage dont la traduction ne pouvait pas restituer l'esprit de l'auteur. Quelques exemples (page 280) : je suppose que j'étais crottée et trempée, je le suppose. La répétition m'étonne et l'emploi du qualificatif crottée renvoie à un autre siècle. Page 314 : les noms (des villes) empestaient la barbe à papa et les vieilles batailles. L'allusion à la confiserie doit avoir un sens, mais lequel ? Page 309 le Dr Greene cherche à prendre "le vol le moins cher" sans que l'on puisse comprendre pourquoi il évoque le prix du billet.
En résumé, le zèle d'un prêtre catholique, le Père Gaunt, a tragiquement scellé le sort d'une irlandaise aujourd'hui centenaire, Roseanne, dont l'avenir est désormais soumis à l'évaluation d'un psychiatre, le Dr Greene afin d'apprécier si à la fermeture définitive de l'hôpital psychiatrique de Roscommon, qui est sur le point d’être détruit, elle est apte ou non à réintégrer la société dont elle a été exclue depuis une soixantaine d'années.
Sébastian Barry a cherché à poursuivre son œuvre critique sur les désastres causés par l'Église catholique dans son pays et sur la triste condition féminine des femmes enceintes hors mariage. Quand on sait qu'il a puisé son inspiration encore une fois dans sa propre histoire familiale on comprend tout à fait sa position de chef de file de la littérature irlandaise, le plaçant dans la lignée d'un autre auteur irlandais majeur, mais du siècle précédent, John Millington Synge dont je parlerai bientôt puisque deux de ses pièces viennent d'être crées en France par Guy-Pierre Couleau.
Du côté paternel il est petit-fils d'un major de l'armée britannique et, côté maternel, d'un nationaliste irlandais. L'héritage familial est riche et complexe, rendant légitime l'exploration des traumatismes de l'histoire de l'Irlande, avec ce qu'elle comporte de zones d'ombre et de tabous.
Le parti-pris d'écriture de faire dialoguer deux journaux intimes est facile mais fonctionne bien même si on devine assez vite que le Dr Greene poursuit des objectifs personnels. Il ne fait aucun doute que sa propre histoire est liée à celle de sa patiente. Et que l'évaluation de l'aptitude de Roseanne à réintégrer la société après 60 années d'internement (pour des raisons qui restent longtemps obscures) n'est pas le sujet principal.
Cette femme apparait immédiatement saine d'esprit malgré l'atrocité de ce qu'elle a subi. Au fil de leurs entretiens, et à travers la lecture de leurs écrits respectifs, le lecteur s'enfonce dans les aléas historiques de l'histoire de l’Irlande. Le testament est composé des écrits secrets de la vieille femme, qu'elle garde cachés sous une latte du plancher de sa chambre faisant état tout à la fois d'une immense solitude et d'une grande force de vie et de résilience. A bien des égards c'est la figure du médecin qui semble plus fragile.
Ce que je reproche à l'ouvrage, outre sa traduction, c'est l'abondance de détails qui égarent le lecteur. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser page 279 que le récit avait été rédigé vingt ans après mai 1987. J'aurais juré que Sébastian Barry me promenait un siècle et demi plus tôt dans les environs de Thrushcross Grange et qu'il battait les campagnes du Yorshire des Hauts de Hurle-vent.
Le testament caché de Sebastian Barry,
traduit de l'anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni. 329 pages, 23 €.