On sait que Delanoë, suivi par la quasi totalité des médias, s'était gobergé récemment d'un arrêt du Conseil d'Etat suspendant, dans l'attente d'un traitement au fond, un jugement du Tribunal administratif de Paris. Ce dernier considérait que la concession donnée au club Jean Bouin en 2004 aurait dû faire l'objet d'une mise en concurrence, procédure qui n'avait pas été suivie. Ceci confortait les accusations de favoritisme portées contre Delanoë au pénal par Hervé Picard, un candidat qui s'estime irrégulièrement évincé. La suspension prononcée par le Conseil d'Etat redonnait une bouffée d'oxygène à Delanoë, sans d'ailleurs réellement le sauver pour des raisons que nous vous avions alors expliquées.
Patatras ! Dans des conclusions prononcées hier, le rapporteur public de la Cour administrative d'appel de Paris se range clairement dans le camp de ceux qui ne croient pas ce que dit la mairie. Reprenons le décryptage de cette guerre judiciaire, très complexe mais aussi très périlleuse pour le maire de Paris.
Le rapporteur public de la Cour administrative d'appel de Paris a fait vendredi des recommandations diamètralement opposées à l'arrêt rendu en janvier par le Conseil d'Etat dans l'affaire du stade Jean-Bouin (Paris XVIe), qui pourraient peser défavorablement dans la procédure pénale en cours contre Bertrand Delanoë et Arnaud Lagardère.
Le rapporteur public (ancien commissaire du gouvernement) de la CAA, Chantal Descours-Gatin, est allé dans le sens du tribunal administratif de Paris qui en mars 2009 avait requalifié en délégation de service public (DSP) le contrat d'occupation domaniale du stade.
"Il nous semble que la ville (de Paris) a entendu en chargeant l'association Paris Jean Bouin de la gestion et de la modernisation du complexe sportif Jean Bouin non pas seulement autoriser une simple occupation inactive de son domaine ou valoriser au mieux de ses intérêts financiers un élément de son patrimoine, mais confier à son co-contractant une mission de service public qui est la gestion du complexe sportif Jean Bouin", a-t-elle insisté.
En janvier, statuant en cassation pour un sursis à exécution dans le cadre de cette affaire, le Conseil d'Etat avait estimé qu'il n'y avait ni service public, ni délégation de service public. Si les recommandations du rapporteur public sont suivies par la Cour (l'arrêt a été mis en délibéré), un raisonnement inverse serait solidement étayé, cette fois dans une procédure au fond. Delanoë, le président du groupe Lagardère ainsi que le président de l'association Paris Jean Bouin et même Max Guazzini, autre bienheureux sous-concessionnaire, pourraient être bien plus facilement menacés de poursuites pénales.
Le maire risque en effet de plus bel une mise en examen pour favoritisme et les concessionnaires et sous-concessionnaires pour recel de favoritisme, à la suite d'une plainte de Paris Tennis Club. Hervé Picard, son dirigeant, avait obtenu du Tribunal administratif, qu'il avait saisi en 2006, la requalification en DSP du contrat d'occupation domaniale de Jean-Bouin signé entre la ville et l'association PJB. Une information judiciaire avait été ensuite ouverte en 2007 à la suite de la plainte de Paris Tennis, selon laquelle il aurait dû y avoir une mise en concurrence pour l'attribution de la concession en 2004.
Naturellement, Delanoë et sa bande préparent déjà une contre-offensive. A l'issue des conclusions du rapporteur public, un des trois avocats de la ville de Paris, Dominique Foussard s'est dit décontenancé : "le 6 janvier 2010, j'ai entendu un rapporteur public (au Conseil d'Etat), j'ai constaté que ses conclusions étaient diamètralement opposées, alors je ne comprends plus", a-t-il tenté.
Foussard a demandé au rapporteur public de la CAA où elle voyait un service public dans la convention du 11 aôut 2004 et, emporté par son élan, l'a accusée de s'être adonnée à "un exercice de réécriture de la convention". Ce rebondissement judiciaire arrive au moment où Delanoë doit répondre fin mars lors du prochain conseil de Paris aux observations du commissaire-enquêteur concernant son projet de construction dispendieux et inutile (200 millions d'euros minimum !) d'un nouveau stade de rugby de 20.000 places au sein de l'enceinte de Jean Bouin.
Delanoë, si la Cour suit son Rapporteur, tentera bien évidemment d'obtenir une cassation au Conseil d'Etat, l'objectif pour lui étant d'éviter à tout prix une mise en examen pour favoritisme qui suinte pourtant de toute cette affaire, aussi bien du fait de l'absence de mise en concurrence que du fait des conditions financières accordées aux concessionnaires et sous-concessionnaires (voir en cliquant là pour se le remémorer). N'oublions pas, non plus, le délit de prise illégale d'intérêt dénoncé par Picard dans sa plainte, lequel insiste sur le fait que, dans cette histoire, Delanoë a confondu les intérêts de la ville et ceux de ses vieux amis.
En tout cas, contrairement à ce que le rouleau-compresseur médiatique de la mairie avait voulu faire croire et comme vous le disait le Delanopolis, cette affaire est loin d'être close ...