Ça y est, à l'occasion d'un rapport de la DGTPE (Direction générale du Trésor et de la politique économique, ouf !), on nous ressort les plus poignants lamentos à propos de la désindustrialisation catastrophique de la France, causée par la très méchante mondialisation ultra-néo-libérale anglo-saxonne.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette obsession de l'industrie en France, couplée à cette étrange manie de tout vouloir faire comme l'Allemagne. Après tout, les agriculteurs ne représentent plus que 3 à 5% de la population active et on ne s'en porte pas moins bien… On dirait que la France ne digère toujours pas d'avoir manqué la Révolution industrielle (que l'Allemagne a fort bien réussi, elle). Mais il arrive un moment où le train est définitivement passé, et il ne sert à rien de courir pour essayer de monter dedans. Mieux vaut passer à autre chose. Je vous renvois à cet article pour une réflexion plus fouillée sur la question.
Ce qui est intéressant, c'est de voir comment ce rapport, qui pointe du doigt la perte de 2 millions d'emplois dans l'industrie depuis vingt-sept ans, est parfois présenté dans la presse. Prenez, par exemple, cet article de Marianne2. Il reprend le rapport de la DGTPE et conclut en disant :
« Les Échos, le quotidien économique de référence, n'ont voulu retenir qu'une conclusion tronquée en forme de plaidoyer pro-domo de la globalisation : “la concurrence en provenance des pays à bas salaires n'explique donc qu'une part limitée de la détérioration de l'emploi industriel” ! Pourtant Lilas Demmou, l'auteur de l'étude, conclut, elle, très différemment dans un langage cependant très pudique : “il apparaît […] une accélération des destructions d'emplois imputables à la concurrence étrangère dans la dernière décennie.” Plus clair, dans la novlangue de Bercy, tu meurs. »
Les Échos, décidément de bien malhonnêtes chantres de la mondialisation, auraient déformé la conclusion du rapport, en voulant masquer la redoutable concurrence des pays où l'on paye la main d'œuvre un demi bol de riz par jour… (Voyez l'article incriminé ici.)
Or, en fait de conclusion, la phrase citée par Marianne se trouve dans la synthèse située avant le rapport lui-même (pages 6 et 7). Ce qui est plus gênant, c'est que le journaliste de Marianne se garde bien de citer la phrase qui suit celle qu'il utilise pour « corriger » Les Échos. D'ailleurs, quand on lit le passage en entier, on voit que c'est l'interprétation qu'en fait Marianne qui est tendancieuse, pour ne pas dire carrément malhonnête (sans compter le clin d'œil appuyé sur la novlangue de Bercy). Voici le passage avec, soulignées, les parties citées par Marianne :
« Au-delà de l'incertitude sur l'ampleur de cet effet, il apparaît, quelle que soit la méthode utilisée, une accélération des destructions d'emplois imputables à la concurrence étrangère dans la dernière décennie. Par ailleurs, la concurrence avec les pays développés en explique encore davantage que celle avec les pays émergents. »
Donc, ce n'est pas la concurrence des pays en développement à bas salaires qui cause des dommages à l'industrie française, mais bien plutôt la concurrence des pays développés… Et le rapport insiste bien : « la concurrence avec les pays développés en explique encore davantage que celle avec les pays émergents ». Marianne tente de jouer habillement en confondant la concurrence des pays à bas salaires avec la concurrence étrangère en général (alors que la différence est faite plus haut dans l'article…). Autrement dit, la phrase des Échos est parfaitement juste.
Tout cela nous invite à nous poser la bonne question : mais pourquoi diantre l'industrie française est-elle si peu compétitive que les autres pays développés lui taillent des croupières grosses comme des trous d'obus ? Mais c'est une mauvaise idée : cela détournerait l'attention de la mondialisation forcément coupable, et surtout des délocalisations !
On remarquera également le ton globalement prudent de la synthèse du rapport, sur lequel l'article de Marianne passe allègrement (novlangue de Bercy, langage pudique). En effet, selon la méthode de mesure, l'importance de la concurrence internationale dans les destructions d'emplois industriels varie grandement. Ainsi, de 1980 à 2007, l'approche comptable trouve 13% d'emplois perdus, contre 45% pour l'approche économétrique (c'est pourquoi l'auteur écrit « Au-delà de l'incertitude sur l'ampleur de cet effet »). Bien sûr, l'article de Marianne ne parle pas de cette différence. Il ne prend que les chiffres de l'étude économétrique, et le plus spectaculaire, évidemment, celui de la période 2000-2007 (63% des emplois perdus).
C'est très amusant, parce que la devise de Marianne2 est une phrase de Camus : « Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti ». Visiblement, il y a du parti pris, mais peu de vérité…
NdlR : On pourra également lire ces articles sur les délocalisations ou sur Suzanne Berger, spécialiste du sujet.
Texte repris avec l'aimable autorisation de l'auteur, sur les Carnets Libéraux. Image réalisée à Ury par Lemoox, sous licence CC 3.0 paternité.