Magazine Journal intime

Ces gens qui n’existent pas

Par Markhy

Même les actrices pornos échangent des trucs chiants à la Xavier Ternisien. Elles pourraient nous inviter backstage en un twitpic, faire du sarcasme sur les coulisses, critiquer les industriels nazes comme Dorcel, politiser un peu. Non, il faut qu’elles balancent du lien chiant, déconnecté, juste pour essayer d’exister au milieu du flux. Elle gratte le RT comme on se gratte le gland, en les regardant. Même recherche de satisfaction éphémère.

Avec les actrices pornos, j’ai toujours fantasmé les écrivains. Je m’imaginais, plus jeune, avec Patrick Besson, se mater Sisqo Shakedown en buvant des alcools forts. Mélancolique.

Rey aussi, on aurait pu prendre de la coke, mais je n’ai jamais aimé ça. Alors un peu de whisky, mais avec sa rehab, putain, ça va être chaud maintenant de lui proposer. Dépecer mon chat, mon ex, pour qu’il cache le corps, c’est le genre de truc que je voulais faire avec Nicolas. Lui le junkie : Limpide, moi le clean : Torturé. Mais maintenant qu’il est clean aussi, je n’ai plus rien à compléter, je fantasme moins.

Je me suis longtemps imaginé au Pulp, entouré de ces poseuses énervantes. Je kiffais Ann Scott parce que je trouvais ses personnages passablement détestables. Tous là à débiter des lieux communs, à name droper des noms aussi vite qu’ils s’essoufflent du peu de culture balancé. Vite, un fix d’hero. Et je n’arrivais pas, moi, à faire des gens détestables. J’essayais, mais c’était plus un truc burlesque. Des méchants ratés, attachants qu’on a envie de câliner. Et récemment je me suis rendu compte que ce n’étaient pas ses personnages qui étaient détestable, mais elle. Ça m’a bien fait chier de découvrir ça, je voulais croire en autre chose, en plein de meufs maigres et bizarres intouchables du pulp, mais en fait il n’y en a plus qu’une et bien palpable. C’est en lisant plus loin que ses romans que je me suis rendu compte de ça. Sur l’internet, j’ai perdu Ann Scott. J’ai vu la vraie, j’ai arrêté de la fantasmer. Je préférais celle que je ne connaissais pas.

Ce qui est cool avec Tatiana de Rosnay, c’est que je n’ai jamais lu ses bouquins. Je ne peux pas être déçu, je ne la connais que de sa timeline. Je peux donner un avis neutre, lavé de tout fantasme. La timeline de Tatiana de Rosnay est une face cachée de l’internet, c’est un peu comme si j’écrivais dans « The Economist ». Pas du tout à ma place. Tatiana de Rosnay est écrivain, oui. Mais genre elle vend beaucoup. Enfin, elle a écrit le livre qui fait vendre beaucoup : vel d’hiv+enfant+journaliste américaine+en anglais. L’air du temps. Elle a un visage bourgeois, un visage trop cliché pour croire qu’elle existe vraiment. Mais sérieux, elle existe bien un truc de fou. Enfin moi je ne connaissais pas son existence, je ne suis pas chez France Loisirs. Je pense que seuls les gens qui ont une carte gold chez France Loisirs doivent la connaitre réellement. Mais grand-parents, morts, je n’ai pas pu leur demander si ils avaient lu ses bouquins. J’adore ses cheveux. Des cheveux poivres et sels qu’elle porte fièrement bien en dessous des épaules. Quand j’étais petit, il y avait une vieille prolo en bas de l’immeuble à côté, elle avait les mêmes cheveux, mais les siens étaient plus gras quand même, moins entretenus, on a fait des sales trucs sur son palier juste parce qu’on n’aimait pas ses cheveux crades. On était de gros cons. Des boules puantes, je regrette.

Tatiana fait bien attention à dire merci à tous ses followfriday, elle ne veut pas chercher plus loin elle dit juste merci, sans forcément lire, sans forcément s’intéresser aux timeline des autres. Elle enchaine les merci pour, après, faire sa maitresse d’école aux autres écrivains « mais il y a bien un échange horizontal entre nous, ce ne sont pas de simple admirateurs », bah oui Tatiana, ils font les robots FF, et toi tu fais le robot merci. Horizontal. Tatiana ne va même pas remarquer que la plupart des gens qui la citent n’existent pas. Ils sont humains, ils mangent, ils boivent, mais… En fait, ils te FF juste pour exister quelque part, car beaucoup n’existe nul part ailleurs. Ce sont juste des @ et un mot un peu plus loin. N’hésitez pas à ff Tatiana, elle vous remerciera sans jamais avoir lu, ni retenu votre nom. Horizontal.

C’est tout le paradoxe de l’écrivain. Il est là pour les gens, il sourit aux gens, écrit pour eux, mais est incapable de se souvenir qui ils sont. Tous ces gens, c’est quoi là? Tu le sais Tatiana ? L’écrivain apprécie seulement la postérité, aime exister. Dans le flux, n’importe qui existe, grandit, est recommandé. Juste en faisant suivre des liens, en tentant des hashtags. La création ne meurt pas sur les nouveaux médias, il faut juste s’avaler la masse des bienséances pour commencer à apercevoir les quelques-uns qui font des choses. Ce qui est magique chez Tatiana, c’est cette façon de faire croire qu’elle maitrise les nouveaux médias, de cacher maladroitement son incompréhension du monde que nous, génération Y, modelons chaque jour à une vitesse folle. Elle fait son expertise 2.0 auprès d’autres écrivains de sa génération car elle ne pourra pas le faire à nous, ça ne marche pas, nous ne sommes pas dupes. Et quand on sera en place, elle disparaitra encore plus vite que nous sommes apparus. Plus on avance dans sa timeline, plus on y voit quelqu’un d’un peu paumé dans un mélange des genres qui la dépasse. Tel un junkie dans une cours d’école. Parfois elle s’essaye à la vanne, parfois elle s’essaye au lien, parfois elle s’essaye à la discussion, parfois elle s’essaye à la twitpic perso, parfois elle s’essaye à l’enquête, mais jamais elle s’essaye à sa personnalité, à se concevoir comme une entité, bien différente des autres. C’est comme si elle aussi n’existait pas. Sauf quand elle est malhabile « Rassurez moi, ce film sur le même sujet que mon livre est moins bien hein ? HEIN ? » En fait on pourrait coller la timeline de Tatiana de Rosnay sur n’importe qui d’autre, ça marcherait. Les timeline interchangeables m’intéressent, elles sont rassurantes, car grâce à elle, je sais que j’existe. Mais vraiment.

Les écrivains doivent arrêter les gazouillis. Et recommencer à écrire. On s’en fout de savoir qui ils sont, on veut juste lire, tourner la page.

D’ailleurs, je m’y mets. cya. xx.



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