De la France libre aux droits de l’homme - L’héritage de René Cassin (CNCDH)

Publié le 12 mars 2010 par Combatsdh

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), l’Institut international des droits de l’homme et le Conseil d’État rendent un hommage conjoint à René Cassin et à son action à travers un ouvrage publié à la Documentation française.

À l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), l’Institut international des droits de l’homme et le Conseil d’État ont souhaité rendre un hommage conjoint à René Cassin et à son action. Les actes du colloque organisé à cet effet au Conseil d’État sont désormais disponibles à la Documentation française.

De son engagement pour la France libre au couronnement de son action en faveur des droits de l’homme par l’attribution du prix Nobel, cet ouvrage fait le point sur les recherches historiques, politiques et juridiques les plus récentes et donne la parole à de grands témoins qui soulignent le rayonnement personnel et l’héritage exceptionnel légué par René Cassin.

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Combats pour les droits de l’homme s’était fait écho du colloque “Actualité de René Cassin” s’est tenu à Paris le mardi 28 octobre 2008 au Conseil d’État. La CNCDH a eu l’amabilité de nous adresser les actes du colloque d’une très bonne facture 

Dans cet ouvrage je recommande particulièrement

- Le Comité juridique et le rétablissement de la légalité républicaine (1943-45), Antoine PROST, Professeur émérite à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
- René Cassin au Conseil d’Etat, Catherine TEITGEN-COLLY, Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

- L’élaboration de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, Emmanuel DECAUX, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas, Membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies

Sur le même thème voir aussi cette publication issue d’un mémoire du DEA de Droits de l’homme de Paris X - Nanterre

La contribution française à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme

ERIC PATEYRON

Commission nationale consultative des Droits de l’homme (CNCDH)

Documentation française 1998

  • On peut aussi visionner la conférence de presse de René Cassin lors du prix Nobel de la paix en 1968 alors qu’il était président de la Cour européenne des droits de l’homme alors que la France n’était même pas partie à cette convention.

ou encore cet entretien

http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF97041453/interview-m-rene-cassin-prix-nobel.fr.html

Voir aussi le transfert de ses cendres au Panthéon le 15 octobre 1987. Pour Jacques Chirac, le professeur de droit n’avait jamais fait de la loi un absolu : “au dessus il plaçait la justice et les lois non écrites de la conscience” et le Premier ministre d’évoquer dans son discours au Palais royal les “combats pour les droits de l’homme”. Voir aussi le remarquable discours de François Mitterrand : ” Le professeur René CASSIN, homme de doctrine engagé dans l’action au service d’une idée, n’aura pas quitté pendant sa longue vie les premières lignes du combat pour le droit.

http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAC02001742/hommage-a-rene-cassin.fr.html

  • Sur le site du Conseil d’Etat on trouve l’introduction par le Vice président du Conseil d’Etat. J’invite mes étudiants à lire ce texte - particulièrement le passage sur les PGD et le GAJA.

l’introduction de Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État

Actualité de René Cassin
Colloque organisé par la Commission nationale
consultative des droits de l’homme

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Mardi 28 octobre 2008
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Intervention de Jean-Marc Sauvé
Vice-président du Conseil d’Etat
Texte écrit en collaboration avec Chloé Szafran
Elève de l’Institut d’études politiques de Paris
Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,

Laissez-moi tout d’abord remercier la Commission nationale consultative des droits de l’Homme d’avoir pris l’initiative de ce colloque sur l’actualité de René Cassin à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et d’avoir suggéré que ce colloque se déroule au Conseil d’Etat. Aucun lieu ne me paraissait plus approprié pour accueillir cette réflexion et cet hommage. Il n’en est pas d’autre en effet où l’action de René Cassin se soit aussi durablement et profondément inscrite et il n’est pas d’institution qu’il ait autant marquée de son influence et de ses enseignements. Bien que le président Cassin ait quitté le Conseil il y a près de cinquante ans, son souvenir y reste vivace et l’oeuvre qu’il a entreprise, voire les fondations qu’il a posées, sont toujours présentes et visibles.

Sans René Cassin, le Conseil d’Etat ne serait pas celui que nous connaissons. Devenu vice-président le 22 novembre 1944 au terme d’une période dramatique de l’histoire de notre pays et aussi, il faut le reconnaître, du Conseil d’Etat, René Cassin a restauré l’autorité d’une institution qui sortait affaiblie de l’Occupation et qui devait renouer avec les principes de la République. Après l’épuration, il a rétabli son unité et sa sérénité. Mais il ne s’est pas limité à ce travail de relèvement qui aurait suffi à assurer la postérité de sa mémoire dans cette Maison. Il a aussi fait évoluer son identité en modifiant sa place dans les pouvoirs publics et en l’ouvrant sur l’extérieur. Il a contribué à faire entrer la « vénérable institution »(1), comme il la nommait, dans le monde nouveau qui émergeait de la seconde guerre mondiale : elle a ainsi vécu une renaissance.
Mais sans le Conseil d’Etat, l’oeuvre de René Cassin n’aurait pas non plus atteint la dimension qui fut la sienne, même s’il est juste de reconnaître que l’envergure de sa personnalité exclut qu’il puisse être résumé, pour ne pas dire « réduit », à aucune des fonctions qu’il a exercées. Le président Cassin a illustré le Conseil. Il a aussi été illustré par et grâce à lui, car le Conseil d’Etat est l’une des institutions qui ont le plus contribué à la construction de son oeuvre et au rayonnement de sa pensée.
Au Conseil d’Etat, René Cassin a pu conjuguer les trois passions qui l’animaient et qui ont structuré sa vie : la passion de l’intérêt général et de l’Etat ; la passion de l’être humain, dont la dignité et les droits doivent être promus et garantis ; et la passion de l’éducation qui est la matrice de la liberté, de la démocratie et de la paix. C’est pendant sa vice-présidence qu’il a pu révéler la profonde cohérence de ces trois engagements, en démontrant que le fil d’Ariane de son existence, la « trame de sa carrière » était « le service de la paix et du droit » dans « l’union intime des idées et des actes », selon les propres termes d’Alexandre Parodi(2), son successeur à la vice-présidence.
La période qui court de 1944 à 1960 est un temps privilégié durant lequel se déploient ces multiples aspects de la pensée et de l’oeuvre de René Cassin et, pour tout dire, de sa vocation. A la vice-présidence du Conseil d’Etat qu’il assume totalement et dans laquelle il investit son énergie inlassable, s’ajoutent les fonctions les plus diverses au service de la communauté internationale et des droits de l’homme : appartenance à la délégation française aux Nations Unies de 1946 à 1958 et à la commission des droits de l’homme des Nations Unies ; élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948 ; présidence de l’Institut français de relations internationales à partir de 1954 ; vice-présidence en 1959 de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il présida de 1965 à 1968. Ses obligations au Palais-Royal ne l’empêchèrent pas non plus de rester fidèle aux engagements de sa jeunesse, maintenus pendant l’exil : il fut jusqu’à sa mort le président de l’Alliance israélite universelle, faisant ainsi écho à son passé de résistant de la première heure.

(…)

 

Pour éviter que les errements du passé ne se reproduisent, il s’attacha également à garantir que la vocation du Conseil d’Etat consistant à dire le droit soit respectée. Face aux gouvernements ou aux ministres désireux de se défausser de leurs responsabilités en demandant au Conseil d’Etat de prendre parti sur des questions de nature politique, il fit preuve de vigilance et de fermeté. Avec acharnement, il plaida pour que le Conseil n’exerce que ses missions, mais les exerce toutes et pleinement. Ainsi prémuni contre tout risque d’instrumentalisation, le Conseil peut exercer sa mission de conseil et de juge de l’administration avec fermeté et prudence. René Cassin l’a exprimé dans les termes imagés qu’il affectionnait : « Que les consuls veillent… Et le Conseil d’Etat veille et veillera à leurs côtés »(Assemblée générale du 29 novembre 1951).

Symétriquement, en homme de convictions, René Cassin a tenu à donner au rôle du juge administratif un contenu éthique. On ne peut manquer de relever à cet égard que c’est peu après son accession à la vice-présidence que furent théorisés les principes généraux du droit. Ces principes non écrits qui reflètent la conscience sociale et dont le respect s’impose à l’administration ont commencé à être dégagés à partir de l’arrêt Aramu rendu par l’assemblée plénière du contentieux sous la présidence du vice-président le 26 octobre 1945(8). Le président Letourneur consacra cette nouvelle catégorie de règles dans ses conclusions sur l’arrêt de section du 9 mars 1951 Société des concerts du conservatoire(9) et -faut-il y voir un hasard ?- dans un article qu’il écrivit pour « Etudes et Documents du Conseil d’Etat » de 1951, article assorti d’une préface tout à fait explicite de René Cassin : l’émergence des principes généraux du droit résulte directement des épreuves que la France a connues de 1940 à 1944 et de la négation des principes républicains pendant cette période ; leur formalisation vise donc à assurer la sauvegarde des droits et libertés des citoyens. C’est aussi à cette époque que le Conseil d’Etat commença à tirer dans sa jurisprudence les conséquences du préambule de la Constitution (Assemblée 7 juillet 1950 Dehaene, Rec. p. 426.) et, notamment, des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (Assemblée 11 juillet 1956 Amicale des Annamites de Paris, Rec. p. 317.). Il en vint à reconnaître des libertés constitutionnellement protégées, comme la liberté d’association (Section 24 janvier 1958 Association des anciens combattants et victimes de la guerre du département d’Oran, Rec. p. 38.).

Il serait évidemment périlleux d’imputer à une seule personne, fût-elle vice-président, le mérite des décisions alors rendues par le Conseil d’Etat. Car l’un des traits distinctifs du contentieux administratif est son caractère collégial : la jurisprudence est une oeuvre collective. Et, de surcroît, les délibérations juridictionnelles sont couvertes par le secret : il nous est donc impossible de savoir quelle fut la part personnelle du président Cassin dans cette évolution, celle du président Bouffandeau, alors président de la section du contentieux, et de maints autres collègues. Néanmoins, nous pouvons être certains d’une chose, qui est établie par ses écrits et ses discours : le vice-président entendait clairement inscrire la préservation des droits fondamentaux au coeur des préoccupations du Conseil et en faire l’un des fondements de son identité. Ainsi, il ne craignait pas de revendiquer publiquement l’attachement du Conseil à ces droits : « Au sortir des terribles épreuves qui ont mis en péril mortel les libertés fondamentales de l’homme et le principe de la légalité à l’intérieur des sociétés nationales, c’est avec fierté que mes collègues et moi, nous nous proclamons devant vous les serviteurs inconditionnels de ces libertés et de ces principes dans la démocratie française »(13).
Pour rendre compte du dynamisme de la jurisprudence sous la présidence de René Cassin,  il suffit de relever un seul indicateur tiré de la 16ème édition des « Grands arrêts de la jurisprudence administrative ». Il y eut 22 « grands arrêts » du Conseil d’Etat entre 1944 à 1960. Je n’en ai dénombré que 10 au cours des 27 années qui ont suivi jusqu’au seuil de la présidence du président Marceau Long.
(…)Avec constance, René Cassin n’a pas cessé de défendre une éthique du service public et de la fonction publique dont les grands arrêts de son époque -Dehaene et Barel(15) notamment- portent la trace.