L'âme du vin, la même qui fut louée un jour par Baudelaire chantait pour moi dans les bouteilles un soir d'ancienne vie. Après une rude montée, assis sur un rocher d'altitude je buvais mais ne m'ennivrais point car je voulais voir l'aube se lever au-dessus des montagnes et puis il me faudrait reprendre cette fuite qui m'éloignait de ce qui me semblait à ce point méprisable, indigne d'une vie, qui m'éloignait d'un homme, cet homme c'était moi...
Mon chien était surpris et puis mon âne aussi de m'entendre parler et brailler dans la nuit, de m'entendre chanter et dire des poèmes et puis de rendre grâce au courage infaillible qu'il me faudrait avoir pour ne plus voir ce masque si tremblant, ce visage si blanc, ce reflet pitoyable qui disputait au ciel la pâleur de sa lune...
J'ai bu ce vin amer qu'un colporteur vendait en sa carriole au sud de la vallée avec des pacotilles et des lames d'acier. J'ai bu tout son vin en cette nuit parfaite, fumé tout mon tabac, mangé un peu de pain. Au matin le soleil s'est levé comme je l'attendais et j'ai pissé mes peurs, mes angoisses et ma fuite sur ces mauvaises routes, j'ai pissé tout ce vin d'infortune comme on pisse sa vie...
J'ai repris mon chemin, franchis un col puis deux, un pays m'attendait, où je n'aurai plus peur, terre de liberté où je vendrai mes bras à de justes patrons, où les filles sont belles dimanches et jours de fête, où les heures du soir s'attardent aux tables des auberges, un pays de cocagne où l'on boit de la bière...