S’attaquer au mythe Gainsbourg, c’est un peu comme faire un biopic sur De Gaulle, Napoléon ou Edith Piaf : c’est risqué, car c’est la France et Paris en un seul être. On ne saurait trouver sujet de premier film plus modeste…
Joann Sfar essaie de contourner la difficulté en utilisant ce qu'il connaît le mieux : la BD, le dessin, le rêve, le conte. D'ailleurs, ce film n’en est pas un : c’est un conte. Celui du petit garçon/crapaud qui rencontrera de belles princesses et trouvera la gloire en chansons. Vie héroïque, on vous dit, métaphoriquement représentée par une plage que l’on foule de l’aube jusqu’au couchant. C’est une des belles idées du film, qui en compte trop peu.
Etiquette facile d'ailleurs que celle de conte : elle permet forcément à Sfar quelques libertés, quelques interprétations personnelles, d’autant plus justifiées que l’on connaît peu Lucien, et bien mieux Serge. Pari facile : le petit Lucien déjà son impertinence, son érotomanie et sa poésie, mais aussi ses frustrations, ses drames, sa tristesse face aux moqueries, qui le marqueront à vie et expliqueront beaucoup de ses futures provocations. Raccourci facile ?
En même temps, à part le plaisir gratuit du jeu de mots dérivé de « 69, année érotique », qu'a-t-elle de plus héroïque qu'une autre vie d'artiste, celle de notre Gainsbarre national ?
Lucien Ginzburg a deux choses à vaincre : sa judéité et sa laideur, l'une, à son sens, dépendant de l'autre. Ca aussi, ça fait partie du conte : le héros part forcément mal dans la vie. « Je peux te prendre la main ? », demande t-il, enfant, en voix off à une gamine. « Non, t’es trop vilain. », lui répond la gueuse. Le drame et la victoire de la vie de Gainsbourg est résumé en deux phrases, dès l’ouverture du film. Car tout le monde sait qu’en dépit de sa laideur, Lucien Ginzburg croula toute sa vie sous les femmes, sublimes et qu’il a sublimées. Comme on connaît tous l'histoire, on sourit. L'excellente première partie du film s'ouvre alors, telle un album du « Chat du Rabbin », avec toute sa ravissante poésie, drôle et sensuelle, soutenue par de magnifiques orchestrations instrumentales des chansons du maître, et nous fait découvrir un Lucien tendre, timide et méconnu (le passage avec les orphelins par exemple est excellent). Il n'y a aucun risque avec celui-là, il n'a jamais servi. Tout est permis.
« Mais dès qu’il se met au piano, tout le monde la ferme ». De Lucien le sale gosse qui ne voulait pas s'exercer au piano, à ce timide musicien prodige, qui considérait l’art qui le rendit célèbre comme mineur, peintre frustré qui mena la vie de bohème, une lutte ambiguë s’engage avec « sa Gueule » (la judéité, la veux-tu la voilà) qui l’entraîne vers le succès et la provoc’. C’est le seul riche ressort du film, et il disparaît malheureusement dès que Serge bascule du côté Gainsbarre, plus connu… et donc moins jouissif. La deuxième partie du film n’est qu’une succession de passages obligés de la vie de Gainsbourg (Jane, Charlotte, la Jamaïque, la Marseillaise, Bambou), que Sfar se dépêche d’enchaîner avant la fin du film, tombé dans le biopic facile. Dommage… On nous laisse conclure un peu seuls que le musicien/crapaud s’est bel et bien transformé en prince.
« Le soleil est rare, et le bonheur aussi… »
Ah si. Heureusement, on nous rappelle qu’à la fin, il reste la lumière et la valse de Melody.