Il arrive avec un téléphone rivé à l’oreille, mais le raccroche après quelques secondes, presque gêné. Abd Al Malik, c’est un garçon souriant, chaleureux et serein. Dès son premier sourire et son « Bonjour », cela se sent.
Il a publié voilà quelques semaines La guerre des banlieues n’aura pas lieu, au Cherche Midi, et nous voici partis pour un moment avec lui.
On évoque toujours l’Islam, quand on rencontre Abd Al Malik, parce que son message reflète une toute autre image que celle véhiculée. « Parler de burqa, de violences ou d’extrémisme, c’est oublier la part essentielle de cette religion : la spiritualité. L’islam est une religion qui apprend et rend meilleur, c’est-à-dire respectueux des lois du pays dans lequel on vit. On est loin de ce que l’on peut entendre, en réalité, mais après tout, si je l’évoque aujourd’hui, c’est bien parce que l’on ignore beaucoup de choses. Sinon, nous n’en parlerions pas vous et moi. »
Spiritualité ? Hmm… le chanteur se meut en messager, veut que les choses soient limpides : « Tout vient des mots, du sens qu’on leur donne, de ce qu’ils nous aident à comprendre le monde qui nous entoure et donc à en parler. Les mots déterminent notre rapport au monde. C’est donc essentiel que l’on parle des choses clairement. C’est une responsabilité que j’ai faite mienne, quand j’évoque l’islam, mais qui nous incombe à tous. »
Alors, pas choqué quand il passe chez Ruquier et parle de Sénèque, que l’animateur ne sache pas de qui est le philosophe ? Non. En fait, la télé reste un médium, comme les gens qui y travaillent. Et il faut s’en servir comme tel, pour faire passer auprès du plus grand nombre des informations. « La télé, c’est le flux et le flot, il est difficile de faire le tri. Moi, j’aime bien apporter de quoi intriguer, questionner et faire réfléchir. De toute manière, je ne suis pas en représentation : tel que vous me voyez, tel je suis. Je ne joue pas à l’image ni à l’acteur. Je dis et fais ce que je crois, à la télévision, comme ailleurs. »
Exactement ce que l’on retrouve dans La guerre des banlieues n’aura pas lieu. « L’écriture, c’est mon dada depuis longtemps. J’ai passé toute l’année 2006 en tournée, j’ai écrit dans des chambres d’hôtel, un peu partout. Mais je suis old school, tout se passe avec un stylo, un crayon, et ensuite je triture les phrases. Un peu comme Flaubert, je passe mes textes au gueuloir, je m’assure de la fluidité, je déclame et quand ça ne passe pas, je reprends. Une chanson, ça me prend une heure, max. Un livre, c’est différent. C’est toujours de la sueur, pour écrire un livre, mais de la bonne sueur. »
Et dans le livre, c’est à nouveau ce besoin d’expliquer, de raconter un autre islam, tourné vers la compréhension, le partage, la spiritualité. « L’intégrité, c’est le maître mot. J’essaye d’avoir le sens de l’illustration pour mon propos, avec le partage de mon expérience. » Partage prolongé, lorsqu’en fin d’ouvrage, le lecteur retrouve des conseils de lecture, de musique ou de films. « Je ne suis pas une personne qui veut briller, ni s’imposer. Ce qui m’intéresse, c’est avant tout de proposer une authenticité. »
Thomas et Pierre, deux frères présents dans le livre, représentent ces voies : l’une se réfugie dans la violence, l’autre se tourne vers l’islam. Un passage particulier de leur relation m’avait frappé : Pierre, récemment converti, montre une photo à son frère, représentant un homme, au sourire apaisant. « C’est l’expérience de l’obscurité qui rencontre la lumière. Thomas est devenu raciste après s’être fait bastonné, mais quand son frère lui montre cette photo, c’est une sorte de catalyseur inversé. Je ne suis pas de ceux qui oublient l’obscurité. Je la vois. Je la sais. Et même, je la connais. Je fais partie de ceux qui au milieu des ténèbres, allument une bougie. Dans cette séquence, on touche à l’inexplicable, au secret non pas de la foi, mais de la révélation à soi. Ce secret, c’est celui de la vie et de notre rapport à elle. C’est notre regard qui détermine le monde dans lequel on veut vivre. On n’a pas d’emprise sur sa vie, mais notre vision change notre univers. Thomas, à ce moment, découvre qu’il peut voir la vie autrement. Être plus en accord avec lui-même. »
Si dans les formes mêmes du livre, on bascule, on alterne entre les narrations, en changeant les points de vue, Abd Al Malik avoue qu’il « travaille avant tout à effacer le travail. Je mets mon corps et mon âme dans ce truc. Mais il ne faut pas que le lecteur sente les ficelles. J’ai tenté de mettre quelque chose d’organique dans le livre, en travaillant sur des formes différentes. Ça compte énormément, de parvenir à mettre de l’universel dans les formes que prend le message. Mais ce qui prime c’est le message, l’émotion, pas les artifices ». Ainsi, que le message soit sur livre numérique ou papier, cela ne compte pas beaucoup, me précise-t-il très naturellement. « Nous sommes dans une période de transition. La génération qui vient ne se posera pas la question du livre numérique. Elle l’aura intégré. Le numérique, c’est un moyen. Encore une fois, le message est privilégié. »
Mais si le sien est si clair, comment expliquer cette vision d’un islam violent, intolérant ? « Certains messages que l’on peut lire dans la presse reflètent d’abord les peurs de ceux qui les écrivent. L’islam, c’est 98 % de sunnites et 2 % de chiites. Ceux qui sont en Iran, dans une théocratie très fermée. Mais ils ne représentent pas le plus grand nombre. En revanche, des messages comme celui de la campagne de Le Pen sont horribles. Et plus horrible encore le manque de réaction des politiques, voire de ceux qui flirtent avec l’extrême droite. Ces comportements n’ont pour seule intention que la visée électoraliste. Il faudrait que certains relisent Alain, et comprennent tout le sérieux de la politique. »
Parce que définitivement, nos actes parlent pour nous. Et non nos paroles. Alors que peut-on lui souhaiter ? « Que je puisse continuer à dire ‘Je t’aime’ à la vie encore longtemps. » Et que l’on entende plus souvent des hommes qui ont une telle sagesse…