Martine Aubry était l’invitée de Nicolas Demorand sur RTL, l’occasion pour la première secrétaire du Parti Socialiste de revenir sur les bilans des Présidents de Région sortants, les propositions des candidats et la nécessité de voter socialiste pour conserver un vrai bouclier face aux attaques de l’UMP.
Ci-dessous le script de l’interview de Martine Aubry :
Nicolas Demorand
Semaine 100% politique dans le 6H30/ 10 à la veille du premier tour des élections régionales, depuis lundi et jusqu’à vendredi les leaders des partis politiques sont à notre micro à 8H20. Après le MoDem et Europe Ecologie place à la première secrétaire du Parti socialiste, bonjour Martine Aubry.
Martine AubryBonjour.
Nicolas Demorand
Les sondages d’intentions de vote, non pas ceux de l’autre côté de la Manche, mais ceux d’ici, placent le Parti socialiste globalement à égalité avec l’UMP au premier tour, en bien meilleure position au second, grâce aux réserves de voix et aux alliances possibles à gauche. Ces Régionales, vous les sentez bien ?
Martine AubryJe crois que les Français ont besoin, ils le savent, dans cette crise et dans cette période de régression sociale, ils ont besoin d’abord d’un vrai bouclier, et c’est ce qu’ont fait nos régions, contre la crise, pour aider les PME, pour être aux côtés des salariés licenciés, empêcher les licenciements, avec des contrats de sécurité professionnelle. Et puis aussi les Français ont peur de l’avenir, ils voient bien que les régions ont une vision du développement économique, préparent par la recherche, la formation, l’avenir et puis en même temps l’aménagement du territoire. Donc je crois que les bilans des régions, les propositions qui sont les nôtres, rassurent les Français dans cette période de crise, et puis je crois qu’ils savent bien aussi qu’il faut donner un coup d’arrêt à une politique qui va reprendre le coup de bambou contre, bien sûr la taxe carbone, l’augmentation du prix du gaz, les déremboursements des médicaments, la retraite etc. voilà.
Nicolas Demorand
Donc vous les sentez bien ces Régionales ?
Martine AubryVous savez, moi j’attends une chose, c’est le vote des Français. Je crois qu’il faut d’abord respecter chacun d’entre eux et simplement leur dire que si eux s’abstiennent, Nicolas Sarkozy ne s’abstiendra pas, lui, après le deuxième tour. Et d’ailleurs le Premier ministre l’a encore redit hier, il a dit…
Nicolas Demorand
Pas de changement de cap politique.
Martine Aubry« Nous continuerons la politique. » Alors on sait bien qu’il ne supprimera pas le bouclier fiscal, ces 30 milliards de baisses d’impôts pour les plus favorisés que la droite a mis en place, mais on espérait au moins qu’il allait relancer enfin la consommation pour que, comme il l’avait dit il y a quelques temps, le chômage baisse, la croissance reprenne, il ne veut pas. Et puis, je le disais, les mauvaises nouvelles, le tour de vis social, on nous l’a déjà annoncé.
Donc il faut lui dire « non », et pour lui dire « non » eh bien il faut renforcer le parti qui est le mieux à même de combattre l’UMP, ses idées et ses projets, et je crois que c’est vraiment le Parti socialiste.
Nicolas Demorand
Le PS s’est insurgé contre le déplacement hier du chef de l’Etat sur le thème de l’emploi, contre son intervention dans “Le Figaro Magazine” dès ce vendredi matin en kiosque, nous disait Jean-François Achilli tout à l’heure. Il ne doit plus rien faire le président de la République quand la France est en campagne ?
Martine AubryVous savez, tout est un problème de discours, et un problème d’institutions. Nous savons bien que le président de la République actuel a complètement changé les institutions, on ne sait plus où est le Premier ministre et le gouvernement, il veut mettre la main sur tous les contre-pouvoirs, les médias, la justice, les magistrats eux-mêmes l’ont dit aux côtés des avocats de la pénitentiaire hier dans la rue, et là, de la même manière, il veut tout diriger.
Alors il avait dit au mois d’octobre/ novembre, « on va mettre la rupture dans les régions », ça a affolé tout le monde, parce que c’était la rupture au niveau national, on a vu ce que ça a donné, et les Français se sont dit holà là, s’ils veulent nous faire la même chose dans les régions !
Et d’ailleurs ses propres amis l’ont compris, ils se sont mis aux abris. Il n’y a pas de UMP, on ne parle de Nicolas Sarkozy, sauf quand il est là. Et puis comme il n’y a pas de cap, comme il y a des divisions, il revient sur le terrain. Moi je dirais, à la limite il en a le droit, même si pour moi, quand on est élu président de la République, on n’est pas partisan. Bien sûr on a des idées, on les défend, on a des amis, mais on est le président de tous les Français. Mais alors quand il va dans le Doubs, comme hier, avec 1000 gendarmes autour, parce que lui sa conception de la proximité c’est d’avoir des gendarmes entre les Français et lui.
Alors que nous, nous sommes devant les usines, dans les instituts de recherche, aux côtés des, demain des crèches, auprès de ceux qui manifestent, mais aussi auprès de ceux qui créent, comme les petites et moyennes entreprises, eh bien alors il faut que ces moyens-là, payés par l’Elysée et par les contribuables, soient mis dans les frais de campagne des partenaires. Et puis, alors là, sur l’histoire du Figaro, enfin franchement, on change de système.
Quand alors que la campagne est terminée, le président de la République fait une longue interview le samedi, alors que nous n’avons plus le droit de nous exprimer, nous changeons de système, et on voit bien aujourd’hui que le président ne supporte pas les contre-pouvoirs, c’est d’ailleurs ce qu’il n’aime pas dans les régions, c’est que nous résistons à sa politique, voilà. Mais là on change de système, et je dirais que la République tremble encore un peu, quand on voit ce genre de pratiques.
Nicolas Demorand
Une question, vous l’avez notée en passant, le monde de la justice manifestait hier à Paris et dans toute la France contre la réforme en cours. Une manifestation assez unique dans son genre puisqu’elle regroupait toutes les professions, et engageait un front syndical unitaire. Quelle est votre analyse de cette réforme dont on commence maintenant à voir plus précisément les contours ?
Martine AubryAlors cette réforme de la procédure pénale elle comporte évidemment beaucoup d’éléments, le plus grave c’est évidemment la suppression du juge d’instruction. Nous savons bien, d’ores et déjà, qu’il y a à nouveau des directives individuelles données aux parquets, ce que nous avions supprimé quand nous étions au pouvoir, bien sûr des directives générales pour que toutes les règles s’appliquent partout, mais pas d’intervention sur des dossiers particuliers.
On en est même arrivé, toute la France a douté au moment où le procureur a fait appel dans l’affaire Sarkozy/ Villepin. Et quand on doute de la justice, le pays va mal. Et ce que nous disent aujourd’hui les juges, les avocats, côte à côte, les magistrats, qui étaient là, avec la pénitentiaire, c’est nous voulons une justice indépendante, pas une justice « couchée » comme ils disent. « Assise/ debout », pour reprendre le Parquet et les juges, mais bon !
Donc cette suppression des juges d’instruction, c’est la crainte que certains dossiers soient mis sous le tapis, que d’autres soient accélérés. C’est aussi la crainte que les procureurs agissent à charge et qu’il faille avoir des avocats, et des avocats qu’on puisse rémunérer pour pouvoir se défendre, donc d’une justice à deux vitesses.
Nicolas Demorand
Donc vous dites non, vous, en tant que patronne du PS ?
Martine AubryNous disons non. Enfin, vous savez, on a entendu des greffiers hier, dire qu’avec cette aberrante politique de supprimer, enfin de ne pas remplacer 1 retraité qui part sur 2, il y a aujourd’hui des centaines et des centaines de jugements qui attendent d’être tapés par des greffiers, et après on se plaint de la non rapidité de la justice en France. Voilà. Quand la justice est dans la rue, vous savez, c’est que la coupe est vraiment pleine. Et je crois qu’il faut l’entendre comme un signe vraiment de défense de notre démocratie et de notre République.
Nicolas Demorand
Que comptez-vous faire de cette victoire aux Régionales, si victoire il y a, dès lors que la perspective politique a été clairement fermée par le président de la République hier, qui a dit « à élections régionales conséquences régionales, » et par le Premier ministre, on le disait à l’instant, qui refuse l’idée d’un changement de cap ?
Martine AubryD’abord je trouve que ces phrases-là montrent la force de l’échec qui est le leur, et leur incapacité à l’assumer. Je veux dire, si le président de la République était convaincu que sa politique était la bonne, il devrait se réjouir que l’on parle de cette politique au moment des Régionales. Les choses ne sont pas indépendantes.
Quand le président de la République donne 20 milliards aux banques, en mouillant sa chemise pour régler le problème des banques, sans aucune contrepartie, et que ce sont les régions qui sont obligées de financer les petites et moyennes entreprises.
Quand l’Etat décide de dérembourser les médicaments, d’arrêter la recherche en matière de santé dans certains domaines, et que les régions sont obligées, le Nord-Pas-de-Calais d’investir sur les scanners et les IRM, la Basse-Normandie d’investir dans les centres médicaux dans les zones défavorisées, eh bien nous sommes obligés de remplacer l’Etat.
Donc il y a un lien évident. quand il y a 20 milliards, seulement, de relance contre la crise au niveau national, alors que l’Etat prélève 78% des impôts des Français et que les régions à elles seules font la moitié, 9 milliards de plan de Relance, alors qu’elles ne prélèvent que 2% des impôts des Français, vous croyez qu’il n’y a pas un lien total ? Les Français l’ont bien compris. Et c’est pour ça qu’ils comprennent bien que les régions, aujourd’hui, les protègent, et préparent l’avenir, et celui de leurs enfants, ce que ne fait pas l’Etat.
Donc, je crois que ces discours c’est d’abord un aveu d’échec, et puis nous, nous ne demanderions pas mieux que d’avoir une politique de coopération. Mais si l’Etat veut casser les services publics, nous, nous ne le voulons pas. Si l’Etat ne veut plus donner des dotations et des impôts, qui nous permettent de faire vivre l’avenir de nos régions, l’avenir de nos enfants, la proximité avec nos concitoyens, les transports, le logement, nous ne le voulons pas. Si l’Etat change de politique, nous coopérerons, nous créerons ces contrats Etat/ Région qui pendant des années ont permis de travailler ensemble.
Nicolas Demorand
En tout cas, sur le plan économique, l’UMP en campagne vous renvoie à la figure vos 35 heures, décrites comme un cancer, qui expliquerait pour partie la grave crise de l’industrie française.
Martine AubryVous savez, on a tout essayé. Il y a eu l’identité nationale, c’était la faute, la France qui ne se sentait pas bien face aux Français venus d’ailleurs et aux étrangers. C’est la sécurité, ça ils ont un peu de mal, parce que quand même les chiffres sont là, et l’échec est bien là, alors c’est grotesque, on en revient aux 35 heures.
Evidemment ça n’a pas été responsable de la neige dans le Languedoc et, je dirais des mauvais résultats de l’équipe de France de foot, mais à part ça on a tout entendu.
Les 35 heures, d’abord disons les choses simplement, 500 000 emplois dont 150 000 dans le public, une productivité en France qui est meilleure qu’en Allemagne, qu’en Belgique, qu’en Grande- Bretagne. Et puis les chiffres, je peux vous les redonner, je les ai là, produits par EUROSTAT, repris par l’INSEE il y a 15 jours, la France travaille aujourd’hui 1559 heures par an, c’est beaucoup plus que l’Allemagne, 1432 heures, les Pays-Bas 1413 heures, je ne prends que ces exemples, la Belgique, c’est-à-dire les pays qui aujourd’hui ont la meilleure productivité en Europe. Voilà.
Nicolas Demorand
Encore un mot à échelle d’économie, mais à échelle européenne, on commence à voir se préciser la position française concernant le FME, le Fonds Monétaire Européen. Pas besoin de nouveaux outils, dit Christine Lagarde. Quel est votre sentiment sur l’invention possible d’un FMI à l’échelle de l’Europe ?
Martine Aubry D’abord dire, vraiment ma honte de voir l’Europe laisser tomber la Grèce. J’étais il y a 10 jours, à l’invitation de José Luis Zapatero avec les Premiers ministres socialistes et sociaux-démocrates européens, le président du SPD et moi-même, autour de Papandreou.
Je pense réellement que si l’Europe aujourd’hui, laisse un de ses pays aller au FMI, alors que nous pourrions, le nouveau traité le permet, par l’article 122, faire en sorte que la banque, la BCE, fasse un prêt, qu’il puisse proposer à la Grèce à un taux normal sur les marchés, et non pas avec 3 ou 4% de plus, je pense que c’est réellement ce qu’il faut faire.
Nicolas Demorand
La France, à travers son président de la République, a tout de même apporté un soutien clair et net à la Grèce.
Martine Aubry Oui, enfin le soutien dans les propos c’est bien, le soutien dans les actes c’est mieux. Ce qu’a dit Papandreou très clairement, c’est qu’aujourd’hui l’Europe me demande encore plus de sacrifices pour les salariés, pour les fonctionnaires, qu’elle ne le fait pour les spéculateurs. Elle me demande plus de sacrifices que le FMI.
Faut-il que j’aille au FMI ? pourquoi aujourd’hui… bien sûr il faut que la Grèce soit capable de rétablir ses comptes, c’est la droite au pouvoir qui les a mis dans cet état, ce sont ceux qui ont noté la Grèce hier, qui ont spéculé avec les spéculateurs financiers contre eux aujourd’hui, et demain ça va être l’Espagne, José Luis Zapatero l’a dit, peut-être même l’Italie.
Alors si l’Europe n’est pas capable, aujourd’hui, de prêter à un taux convenable, tout en demandant, mais c’est ce que fait Papandreou, un plan, effectivement, de rigueur, eh bien il n’y a plus d’Europe, il n’y a plus de sens à l’Europe et à l’euro. Voilà, moi, ce que j’ai envie de dire. Et les outils sont là, on peut toujours en créer d’autres, mais nous avons déjà des outils.