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Actualité de Reverdy, par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

ACTUALITÉ DE REVERDY
par Antoine Emaz


Reverdy
 Bien sûr, c’est d’abord l’actualité éditoriale avec la publication de ce magnifique premier tome des Œuvres complètes chez Flammarion. Quand nous aurons, à l’automne 2010, le tome 2, ce sera toute l’œuvre reverdyenne rassemblées en deux volumineux volumes. Une bible, une pléïade au format Flammarion dans la collection Mille et une pages, avec les notes très précieuses d’Etienne-Alain Hubert, des fac-similés des premiers recueils, des poèmes inédits… Une mine.   
    
Mais pourquoi Reverdy aujourd’hui ? Pourquoi cette œuvre importe-t-elle encore maintenant ?
Ce n’est pas simplement affaire de dates et de commémoration. Certes, Reverdy est mort en 1960 et il était arrivé à Paris à 21 ans, seul et sans appuis, en 1910. Mais cette coïncidence de calendrier me semble de peu de poids pour expliquer pourquoi Yves di Manno, E.A. Hubert et Flammarion se lancent dans une entreprise de cette ampleur.
    
Bien sûr Reverdy n’est pas un poète maudit ou méconnu. En 1952, il était invité par André Parisot pour dialoguer à la radio avec Breton et Ponge. Char, Dupin, du Bouchet ont plusieurs fois salué son œuvre. La revue Triages, fin 2007, a consacré un épais numéro spécial à Vingt-trois poètes et Reverdy vivants… On ne peut donc pas dire que cette œuvre soit tombée dans les oubliettes de la mémoire poétique, mais force est de constater qu’elle n’a pas le même degré de reconnaissance que celles d’Apollinaire, Breton ou Aragon… Alors, pourquoi Reverdy maintenant ?
    
D’abord peut-être parce qu’il participe au plus au point,dans ces années 1915-1925, à l’explosion créatrice et à la complète redistribution des cartes en art qui accompagne la première guerre mondiale. Sur quelques années, coexistent et se combattent ou s’allient des personnalités aussi fortes que celles d’Apollinaire, Reverdy, Jacob, Cendrars, Cocteau, Tzara, Breton, Aragon, Éluard… Beaucoup de poétiques particulières, très riches, mais qui ne se fédèrent pas jusqu’à ce que Breton et les surréalistes s’imposent comme école dominante pour l’entre-deux-guerres. Notre époque vit une pression historique très différente (et heureusement) mais non moins forte, et c’est la même nécessité de neuf mais pas d’école dominante. Des groupes se font, se défont, mais pas de poétique qui impose sa norme. Seulement des trajets d’écriture particuliers, des amitiés et des détestations, du respect et des clivages, des options d’écriture aux antipodes les unes des autres, qui coexistent parallèlement. En ce sens, Reverdy est bien de notre temps, lui qui affirmait « ne pas suivre, ne pas être suivi », et choisit le retrait à Solesmes en 1926.
    
Autre point qui me semble recouper des préoccupations actuelles : affirmer une contradiction motrice de l’œuvre : oser l’invention formelle et soutenir que « la forme va de soi », qu’elle n’est pas séparable de l’émotion qui lui donne naissance. Pour le premier terme, l’invention formelle, il suffit d’ouvrir le tome 1 des Œuvres complètes, et regarder les fac-similés de La lucarne ovale, Quelques poèmes, et Les ardoises du toit pour s’en convaincre. Ou bien relire le très étonnant Voleur de talan, « roman poétique » à clés, difficilement saisissables sans les notes d’E. -A. Hubert. Mais en lisant ces pages, on constatera aussi que l’élan lyrique n’est jamais perdu. Évidemment, il est plus bridé (« critique » dirait J. -M Maulpoix) qu’il ne le sera dans les amples poèmes de la fin, Sable mouvant par exemple. Mais c’est justement pour cette mise au pas du « je », ce lyrisme froid, freiné, bridé, même s’il reste moteur du poème, que ces poèmes de 1916 ou 1918 me restent très présents.
    
Une autre dette vis-à-vis du Reverdy de ces années : l’invisibilité de l’image. J’emprunte cette expression à du Bouchet dans son très bel hommage Envergure de Reverdy. De La lucarne ovale à Cravates de chanvre, tous ces recueils sont repris dans le tome 1, Reverdy nous débarrasse des avatars romantiques : «  On a voulu tuer le romantisme. Il a la vie dure, il fallait le tuer. » Mais il évacue aussi l’automatisme surréaliste et le « stupéfiant image ». On sait que Reverdy théorise l’image poétique dans Nord-Sud, dont les numéros sont également présents dans ce tome 1. Les surréalistes s’empareront de cet outil pour leur propre compte : aller vers le surréel, la dictée de l’inconscient, etc… Pour Reverdy, il s’agissait bien au contraire de saisir le « lyrisme de la réalité ». Pour exemple, je prends presque au hasard un poème du Cadran quadrillé (p 863), sans pouvoir reproduire sa mise en page particulière :
« Si la lumière s’éteint tu restes seul devant la nuit / Et ce sont tes yeux ouverts qui t’éclairent / Du jardin montent des bruits que tu ne comprends pas / De la rouille des feuilles et des branches / L’eau court jusqu’au matin / Et elle change de voix / Et tout à coup tu penses au portrait blanc qu’encadre la fenêtre / Mais personne ne passe et ne regarde / Et pas même le vent ne vient troubler les arbres »
Limpidité de Reverdy, transparence, et arêtes coupantes de cristal. Mais aucun désir de provoquer le lecteur, de le désorienter. Cette poésie angoissée est sans expressionnisme. Elle ne joue pas et ne vise qu’un trajet, au plus exact : de la réalité vécue à « cette émotion appelée poésie ».
    
Les recueils de cette période sont historiques, bien sûr. Ils ne pourraient être signés par un jeune poète contemporain, ne serait-ce que parce qu’on ne se chauffe plus au charbon. Mais les enjeux que pose cette œuvre dans les années 1915-20 me semblent recouper des tensions bien présentes dans la poésie d’aujourd‘hui : éthique/esthétique, vivre/écrire, réel/image, jeu/ascèse, forme/liberté, émotion/exactitude, lisibilité/obscurité, moi ?
    
Donc pas d’embaumement ni de momification.Ce tome 1 des Œuvres complètes n’est pas un enterrement de première classe, il demande une lecture active autant qu’actuelle, pour mesurer combien cette œuvre, qui n’a jamais été à la mode, ne se démode pas. C’est toute la différence, souvent notée par Reverdy dans ses carnets, parfois avec le dépit de voir que l’un était mieux reconnu que l’autre, entre le talent et le génie.
    
par Antoine Emaz
    
Cette note d’Antoine Emaz sera bientôt complétée par un dialogue avec Yves di Manno sur les raisons et les conditions de cette publication, vues sous l’angle de l’éditeur.
    
    
Pour mémoire, présentation publiée le 7 février dans la rubrique Poezibao :
    
Pierre ReverdyŒuvres complètes, tome 1
coll. Mille et une Pages, Flammarion
1500 p. - 30 €
Entreprise chez Flammarion dès 1967, la première édition desŒuvres complètesde Pierre Reverdy était épuisée depuis de très nombreuses années. Cette nouvelle édition entièrement refondue (et considérablement augmentée) remet en perspective l’ensemble de l’œuvre en deux volumes plus maniables. Elle en permet surtout pour la première fois une lecture raisonnée. Dans ses grandes lignes, l’édition suit la chronologie des parutions, où alternent prose et poésie – indissociables chez Reverdy. Chacun des volumes s’ouvre toutefois sur l’un des deux grands recueils collectifs constitués par l’auteur lui-même, à la fin de sa vie :Plupart du tempspour le tome I,Main d’œuvrepour le tome II. Viennent ensuite les singuliers « récits » introuvables depuis des décennies (Le Voleur de Talan,Risques et périls,La Peau de l’homme), les recueils de pensées et d’aphorismes qui ont rythmé sa vie (le Gant de crin,Le Livre de mon bord,En Vrac), ses derniers ensembles poétiques (La Liberté des mers,Au soleil du plafond) et les nombreuses études sur la peinture et la poésie, réorganisées pour cette édition afin qu’on en perçoive le vrai cheminement. Signalons enfin la présence dans les Annexes de deux importants ensembles de poèmes inédits (dont le mythiqueCadran quadrillé), ainsi que la reproduction en fac-simile de ses tout premiers recueils (La Lucarne ovale,Les Ardoises du toit) tels que l’auteur les avait lui-même imprimés. (Prière d’insérer)


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