Et là, l'unanimité est la règle: de droite à gauche, des écolos aux frontistes, pas une liste qui n'appelle à "un effort massif en faveur des transports en commun", et surtout de la voie ferrée. Réouvertures de voies désaffectées, rénovation à grand frais de gares où ne passent qu'une poignée de clients quotidiens, trams-trains, tout y passe et rien ne parait trop beau pour le transport ferroviaire.
Notons d'ailleurs un des effets pervers de l'émiettement des responsabilités: les routes sont une attribution des conseils généraux, le rail revient quant à lui aux régions. Inutile, dans ces conditions, de s'attendre à la moindre cohérence dans les politiques de déplacements. Mais l'essentiel n'est pas là.
Rail: des investissements en pure perte
Au risque de m'attirer une nouvelle fois les foudres de la bien pensance nourrie au sein du politiquement correct et gardienne des dogmes intouchables de notre "modèle social", j'ose déclarer que 95% des investissements dans le ferroviaire, tant en Interurbain qu'en transports de banlieue, sont aujourd'hui inutiles et qu'une des meilleures actions que les gouvernants et régions pourraient faire en faveur des transports, non du point de vue des structures qui en vivent, mais de celui des usagers dont le problème est de se déplacer de façon convenable d'un point A à un point B, serait de cesser toute subvention au rail, de privatiser toutes les lignes qui trouveraient tout de même preneur, de fermer les autres, et d'abroger tous les décrets contraignant fortement la création d'activité de transport par car privés.
Un tel point de vue ne peut que heurter les préjugés les plus tenaces, tant la propagande en faveur du rail est intense, et le dénigrement anti-automobile pas moins. Et pourtant.
Le Rail, coûteux mais marginal
De bonne foi, nombreux sont ceux qui croient que le ferroviaire est un moyen de transport important en volume dans notre pays. Pourtant, bien peu savent que la voie ferrée, tous types confondus, n'assure que moins de 5% des déplacements individuels et 3% des déplacements de marchandises, en valeur, alors que la part de marché de l'automobile est de 86% pour les passagers, et que celle des camions et camionnettes atteint 96% du transport terrestre de marchandises, exprimé en valeur ou en nombre de déplacement, et non selon l'unité trompeuse de la tonne x km qui ne correspond plus aux réalités économiques d'aujourd'hui.
Plus encore, ces parts de marché du fer ne cessent de décroître même dans les pays où l'investissement ferroviaire reste massif. La raison de cette désaffection du rail est simple: le chemin de fer est un moyen de transport du XIXème siècle, l'automobile du XXème, et celui qui commence devrait, sauf progrès tangibles dans la téléportation ou les aérostats individuels (on peut toujours rêver), le rester. Quand bien même, par une sorte de miracle, les pouvoirs publics parviendraient à doubler le taux d'utilisation du chemin de fer, la variation induite des trafics routiers serait imperceptible. Les grands fantasmes de "report de la route vers le rail" ne sont donc que pures chimères que les politiques répètent uniquement par psittacisme, comme un mantra dont tout le monde a oublié la signification réelle.
Hormis dans quelques marchés de "niche", comme bien sûr les transports d'Île de France dans quelques cas, ou quelques lignes de TGV à fort taux de remplissage, l'automobile, toujours du point de vue de l'usager, surclasse tout autre mode de transport, tant en terme de commodité, de temps de parcours en porte à porte, de capacité d'emport, de confort, et si l'insécurité routière reste son seul talon d'Achille véritable (pour ce qui est de la pollution, le rail n'est pas toujours meilleur), les gains procurés par l'automobile sont jugés tels que personne n'est prêt à y renoncer à cause de la probabilité somme toute assez faible de mourir sur la route.
L'automobile permet de transporter les usagers en point à point, à l'heure choisie par l'usager, et sans rupture de charge. Les transports en commun sont incapables d'offrir le même niveau de service. D'ailleurs, si les gens, dans les sondages, plébiscitent les transports en commun sur le principe, la plupart trouvent qu'ils ne passent pas assez près de chez eux, et suffisamment fréquemment, pour qu'ils l'utilisent. Et pour cause: le seul transport de masse qui réponde à ce cahier des charges, c'est... La voiture.
Une saine Lecture
Il faudrait un livre pour démolir tous les préjugés pro-rail et anti-voiture de notre société actuelle, et leurs traduction dans les politiques de transport. Ah mais justement, il existe. Ou plutôt ils existent. On me dit le plus grand bien du livre de Christian Julienne, "Le rail et la route", que je n'ai pas lu, mais par contre, je viens de finir l'excellent "SNCF et Transports publics, les danseuses de la république", écrit par Christian Gérondeau en 2005, qui montre à quel point, dès qu'il s'agit de rail, toute rationalité disparait des choix de politique publique, tant au niveau de l'état que de celui des régions. Je ne saurai trop le recommander, quand bien même les chiffres commencent légèrement à dater. Qu'importe, les ordres de grandeur, eux, sont toujours bons. Ce livre est absolument essentiel pour comprendre toute l'idiotie qui sous-tend toute notre politique des transports depuis que la voiture a été démocratisée.
Dès 2006, j'écrivais (pour le compte de l'institut Hayek) que d'après un rapport sénatorial très sévère pour le rail, l'ensemble formé par la SNCF et RFF (l'établissement public propriétaire des voies) recevait 10,6 Milliards d'Euros de subventions annuelles pour seulement 8,8 Milliards de recettes commerciales (passagers + Fret). Malgré cela, la créativité comptable permet de faire croire au bon peuple que le compte d'exploitation de la SNCF est équilibré, ce qui est évidemment un farce majeure.
La fausse rhétorique des "coûts d'infrastructure"
La propagande pro-rail insiste souvent sur le fait que "le rail paie la totalité de ses coûts" -héhé, le bilan de la SNCF n'est il pas équilibré ?- , alors que le transport routier, lui, parce qu'il ne paie pas à l'usage l'essentiel de ses infrastructures, est honteusement subventionné. Cet argument, que vous lirez fréquemment, est évidemment une pure fumisterie.
C. Gérondeau montre que si la SNCF paie à RFF une redevance d'usage d'environ 2,4 Milliards d'€, cette contribution devrait être de 10 Mds pour permettre à RFF d'espérer équilibrer son bilan et entretenir correctement son patrimoine utilisé. Car construire des lignes nouvelles (13Mds/€ du km en terrain "normalement plat", soit 3 fois plus qu'une autoroute 2X2 voies à conditions de relief égales), et les entretenir coûte horriblement cher. La SNCF reçoit donc 7,5Mds€ de cadeaux de son exploitant
Au contraire, les usagers de la route, outre les péages autoroutiers qu'ils acquittent, paient des taxes spécifiques qui excèdent très largement les dépenses faites par les collectivités en faveur de la route, au premier rang desquelles, bien sûr, la TIPP.
L'économiste Rémy Prud'homme, enseignant à Paris XII et ancien Directeur Adjoint de l'Environnement à l'OCDE, estime que pour l'année 2007 (PDF), les automobilistes ont payé 41 milliards d'Euros (entre la TIPP, les Péages, les taxes spécifiques sur l'assurance auto, etc...) de taxes spécifiquement liées à l'usage de la voiture et du camion, alors que, externalités incluses, la collectivité n'a supporté que 26 Milliards de coûts de la route.
Autrement dit, le rail reçoit 7,5 Mds de cadeaux annuels pour utiliser son infrastructure, alors que les usagers de la route paient 15Mds de plus que ce que la collectivité leur octroie pour leur permettre de rouler. Mais il y aura toujours de doctes défenseurs du rail pour vous affirmer que "la route ne paie pas ses coûts"...
Désastres régionaux
Les conseils régionaux sont de grands pourvoyeurs de fonds du désastre ferroviaire. Les TER reçoivent annuellement plus de 2,5 Mds d'Euros des régions (répartition par Région) pour une fréquentation le plus souvent décevante des TER. Le pire est que la SNCF sait à quel point le rail est inefficace, puisqu'elle assure une part croissante de ses transports régionaux par... Autocars, plus flexibles, nettement moins coûteux à l'investissement, bien plus économes en carburant par rapport à un TER diesel. Mais attention, malheur au concurrent privé qui se mêlerait de vouloir proposer des services d'autobus interurbains performants: un décret de 1934 l'oblige à obtenir l'autorisation de... la SNCF, laquelle ne les accorde qu'aux compte gouttes: C. Gérondeau, dans son ouvrage, donne deux exemples d'obstruction manifeste de la SNCF à l'établissement de lignes privées. De telles interdictions n'existent ni au Canada, ni aux USA, ni en Grande Bretagne, où ces lignes présentent un rapport coût x km imbattable pour l'usager.
Les pertes abyssales du rail comparées à la nullité du service rendu devraient conduire bien des conseils régionaux à abandonner purement et simplement toute politique ferroviaire, si ces gens étaient réellement désireux de bien utiliser l'argent public. Pour moins de 20% des sommes consacrées au rail, l'on pourrait améliorer suffisamment l'infrastructure routière pour faire sauter durablement la plupart des points de congestion, et améliorer ainsi très grandement la qualité de vie des automobilistes que nous sommes tous. En Grande Bretagne, où les lignes de bus sont libres et privées, des trajets de distance départementale ou interdépartementale sont commercialisés entre 1,5 et 4,5£, avec une qualité de service qui n'a rien à envier à celle du rail, lui aussi privatisé. A la limite, financer un chèque transport pour les familles modestes coûterait moins du cinquième de ce que les régions consacrent aujourd'hui au rail.
Exemples de décisions irrationnelles: la mode des tram-trains
Mais en la matière, l'irrationalité domine du tout au tout. Au lieu de fermer des lignes non rentables, les conseils régionaux rouvrent à tour de bras des lignes autrefois fermées faute de rentabilité.
L'exemple des "tram-trains" (très à la mode) de l'Ile de la Réunion (1,5 Mds de travaux !) ou de Nantes à Chateaubriant sont particulièrement représentatifs de ces éléphants blancs du pouvoir politique dont on peine à trouver le moindre intérêt économique. La seule justification de ces investissements irréels tient dans des prévisions de trafic généralement sorties de nulle part sans le plus petit début de commencement de réalisme.
La ligne Nantes-Chateaubriant, fermée dans les années 60 et réouverte en 2012, nécessitera 200 Millions d'investissements pour remettre en état une voie existante (pas de coût d'expropriation ou de terrassement à assumer, donc), pour 64km, et 40 millions pour le matériel roulant. Ni les brochures distribuées dans les boites aux lettres, ni le site officiel de l'opération ne donnent le moindre coût d'exploitation prévisionnel, par contre, nous avons droit à un superbe... Bilan Carbone, dont je n'ai pas eu le courage de vérifier le "sérieux", mais le CO2, moi, vous savez...
Entre le coût d'opportunité du capital (en gros 4%), et le coût de bon entretien de l'investissement (2,5% de la valeur du capital, soit l'investissement plus la valeur des voies préexistantes, en étant très gentil... et en considérant qu'un tel entretien fait passer le coût d'amortissement à zéro, ce qui minimise largement l'impact financier réel...), on peut estimer le seul coût annuel de possession d'une telle infrastructure à 15-20M€ en étant là encore assez conservateur.
Pour quel espoir de trafic ? Selon la DRE, dont les chiffres sont très certainement optimistes, la ligne Nantes - St-Nazaire (via Savenay) génère 1,3 millions de trajets annuels, soit 4000 trajets quotidiens, un peu moins le week end.
Chateaubriant est 6 fois moins peuplée que Saint-Nazaire-ville et 15 fois moins que l'agglomération. L'ensemble des villes, hors Nantes, desservies par le projet comptent moins de 50 000 habitants dont 20 000 actifs. Et pourtant, le président du Conseil Régional n'hésite pas à affirmer que la ligne devrait recevoir entre... 9 000 et 11 000 voyageurs jours, soit 2 à trois fois plus qu'entre les deux grandes métropoles du département !
Bon, en cherchant bien, la ligne compte trois stations dans Nantes intramuros, qui peuvent être considérées comme un complément du tramway, et qui permettront peut être aux édiles d'afficher des chiffres artificiellement gonflés par des voyageurs urbains payant moins de 2€ leur ticket. Pas de quoi remplir les caisses de l'exploitant.
Voilà le genre de prévision sur lesquelles se fondent des politiciens totalement déconnectés des réalités économiques pour lancer des investissements ferroviaires pharaoniques.
En supposant que cette ligne accueille un trafic extra muros de 500 000 voyageurs annuels (2000/ Jour, ce qui parait plus réaliste - cela correspond au trafic sur la ligne Nantes-St Gilles Croix de Vie par exemple), le coût de l'investissement par voyage hors coût d'exploitation serait de... 30 à 40 Euros ! Inutile de dire que jamais un billet ne sera vendu à ce prix. Une fois de plus, le contribuable va subventionner un mode de déplacement utiliser par une fraction de la population pour une fraction de ses déplacements.
En Province, les transports publics couvrent en moyenne 18% de leurs coûts seulement par leurs recettes aux guichets. Le Tram Train se situe dans la fourchette, semble-t-il... Contribuables, à vos poches, les transports ferroviaires vous saignent à blanc.
Mais à Paris, me direz vous ?
Les trains de Banlieue et le métro, à Paris, assurent un peu plus de 20% des transports dans la région, et sont absolument indispensables à la respiration de la ville. Mais ils ne sont efficaces que dans le cas des liaisons Paris-Paris, ou le métro règne en maître, et pour les liaisons radiales. En revanche, les expériences de lignes tangentielles sont rares et constituent autant d'échecs financiers (Tramway des maréchaux, par exemple). Or, aujourd'hui, 60% des déplacements dans la région sont de banlieue à banlieue et l'automobile y règne en maître.
Pourtant, nulle trace de programmes d'amélioration des rocades routières autour de Paris, qui ne compte que sur l'antique périphérique et un programme encore non totalement achevé de l'A86 pour permette le contournement autoroutier performant de la capitale.
Le projet de "grand Paris" présenté par notre président fait la part belle à une sorte de métro train circulant autour de la première couronne à grande vitesse, qui coûterait une fortune et serait un échec en terme de trafic, puisque seuls les franciliens à proximité des gares se rendant à proximité d'une autre gare seraient tentés de l'utiliser. Dans toutes les villes moyennes de France, les rocades périphériques routières sont devenues les voies les plus circulées et sont celles qui, de loin, rendent les meilleurs services en terme de finesse de desserte et de vitesse moyenne: il est consternant de voir qu'un plan de "modernisation" des infrastructures de la capitale ignore totalement cette réalité.
Au reste, nombre d'investissements ferroviaires géants autour de paris se révèlent être des échecs ou des gouffres financiers: le percement du tunnel de la ligne D, ou la ligne Eole (#RER E), n'ont permis que des augmentations de trafic marginales par rapport aux coûts qu'elles ont engendré. Les tramways des maréchaux font l'objet de vives critiques.
Conclusion
Il faudra que je développe plus avant certains des thèmes effleurés ici. Mais d'ores et déjà, l'on peut dire que les fonds publics consacrés annuellement au rail, tant via le duo SNCF-RFF que dans les nouveaux tramways urbains, sont très mal utilisés, rendent à la population un service mineur qui pourrait être rendu par voie routière pour bien moins cher... Ces fonds manquent pour moderniser certaines parties de nos réseaux routiers, notamment en périphérie urbaine, qui en auraient pourtant bien besoin, car la population, par son choix quotidien privilégiant de façon écrasante l'automobile, montre que ces routes rendent un service à la population bien plus important que n'importe quelle ligne ferrée. A l'heure où nos déficits se creusent à une vitesse vertigineuse, il est consternant qu'aucune formation politique n'ose faire l'examen critique des désastreuses subventions au tonneau des danaïdes ferroviaire.
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