C'était il y a presque deux ans. Par un matin d'hiver, une enfant de 10 ans, à peine, allait briser l'un des plus grands tabous du Yémen : le mariage précoce des jeunes filles. Mariée de force à un homme trois fois plus âgé qu'elle, Nojoud Ali eut l'audace de s'enfuir au tribunal et de demander le divorce. A l'époque, ses mésaventures firent la une des journaux, de Sanaa à New York, en passant par Paris...
Au Moyen-Orient, quand l'actualité s'enflamme, notre métier de journaliste nous pousse à courir après l'information, sans prendre la peine de nous retourner. Souvent, les hommes et les femmes que nous croisons sur notre chemin s'effacent du disque dur de notre mémoire. Pas le temps de s'attacher, pas le temps de s'apitoyer sur leur sort... A peine avons-nous rédigé notre article qu'il nous faut passer au suivant. Mais il y a des rencontres qu'on ne peut oublier. Et Nojoud en fait partie...
Comment ne pas s'attacher à ce petit bout de chou, en apparence si fragile, qui osa déplacer à elle seule autant de montagnes, en se rebellant contre les traditions de son pays. Sa bravoure - et sa réussite dans l'obtention du divorce - est une vraie leçon de courage. Inspirée - oserai-je dire « chamboulée » - par son histoire, je lui consacrai un article en juin 2008. Notre rencontre déboucha, ensuite, sur un projet plus audacieux, assorti de nouveaux voyages au Yémen : la rédaction d'un livre (publié aux éditions Michel Lafon en janvier 2009) permettant à la fois de faire la lumière sur un fléau à l'époque peu médiatisé, et d'aider Nojoud à construire son avenir, grâce à la majorité des droits d'auteur qui lui sont reversés.
Dans cette région du monde, les bonnes nouvelles sont malheureusement tellement rares que j'ai eu envie de les partager avec les lecteurs de ce blog. Malgré des rumeurs erronées diffusées par certains organes de presse (voir le reportage de CNN), Nojoud - avec qui je parle régulièrement au téléphone - est de retour à l'école, avec sa petite sœur Haïfa. La réintégration n'a pas été des plus faciles, mais les deux petites sont désormais sur la bonne voie. D'après la direction de l'établissement scolaire, Nojoud est passée d'une moyenne de 9/20 à 14/20 depuis le début de l'année. Le suivi scolaire est renforcé par un suivi psychologique, aidant la petite divorcée à surmonter sa difficile épreuve. Les droits d'auteur du livre vont également lui permettre de poursuivre ses études, et d'aider à son tour, selon son souhait, d'autres petites filles en difficulté.
Sa famille, avec qui elle habite à nouveau, loge dans une nouvelle maison, achetée grâce à l'argent du livre (traduit dans 20 langues, et dont l'édition américaine vient juste de sortir). Au rez-de-chaussée se trouve une épicerie, dans laquelle le père et les frères - au chômage - peuvent désormais travailler. Mon amie cinéaste libano-canadienne, Katia Jarjoura, tout juste de retour de Sanaa, nous a gracieusement rapporté quelques photos de Nojoud et sa famille. Merci Katia ! Et bonne chance à Nojoud !
Crédit photo : Katia Jarjoura.