Un ressortissant roumain a contesté le signalement aux fins de non-admission dans le fichier du Système d’Information Schengen (SIS) réalisé par les autorités françaises. Il a appris l’existence de ce signalement lorsque l’ambassade d’Allemagne en Roumanie lui a refusé l’octroi d’un visa pour entrer dans ce premier pays.
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), saisie par l’intéressé, a refusé de communiquer à ce dernier les données du SIS le concernant et de les supprimer ou rectifier.
Puis le Conseil d’État a rejeté le recours en excès de pouvoir formé contre cette décision de la CNIL, et ce dans le contexte contentieux très particulier du “droit d’accès indirect aux données à caractère personnel“. Par exception aux principes posés par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, son article 39 – devenu aujourd’hui l’article 41 après modification par la loi du 6 août 2004 – prévoit que « lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, le droit d’accès s’exerce » par l’intermédiaire d’un délégué de la CNIL qui vérifie seul les informations sensibles. Le Conseil d’État avait tranché la difficulté créée par cette situation en indiquant qu’il ne demanderait pas communication directe des informations mais prendrait dans ces circonstances « toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige » (C.E. Ass, 6 novembre 2002, Moon, n° 194296 ). En l’espèce, la CNIL a du fournir « tous éléments d’information appropriés sur la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion » mais n’a essentiellement et seulement indiqué que le signalement du requérant résultait d’une décision de « la direction de la surveillance du territoire (DST) ».
La Cour européenne des droits de l’homme rejette ici, par une décision sur la recevabilité, l’allégation de violation du droit à un procès équitable (Art. 6) formulée par le requérant qui n’a pu obtenir les motifs de son inscription au SIS. Elle commence par rappeler que « les décisions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers n’emportent pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil ni n’ont trait au bien-fondé d’une accusation en matière pénale, au sens de l’article 6 § 1 » (v, Cour EDH, G.C. 5 octobre 2000,Maaouia c. France, Req. No 39652/98). Dès lors, « la mesure de non-admission sur le territoire français dont le requérant a fait l’objet, quels qu’aient été ses motifs, ses conséquences et sa durée, ne relève pas du champ d’application de cette disposition ». Il en est décidé de même s’agissant de la demande d’accès et de contestation des données du fichier SIS. La Cour souligne en effet que le « but ultime [du requérant, en formulant ces demandes et en saisissant la CNIL puis le Conseil d’État, était] d’obtenir le droit d’entrer et de circuler dans les pays composant l’espace Schengen » de sorte qu’elle estime que « l’instance en cause présente donc des liens étroits avec la réglementation relative à l’entrée et au séjour des étrangers, et notamment avec les procédures de délivrance de visas ».
En conséquence, le grief est également rejeté comme irrecevable ratione materiae(Art, 35). Une telle position conduit cependant à rendre complètement transparent le dispositif français d’accès aux données personnelles sur lequel se sont pourtant principalement fondés les décisions litigieuses internes – dispositif qui n’est au surplus pas nécessairement lié à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers – d’autant que l’article 109 de la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 prévoit lui-même que le droit d’accès « s’exerce dans le respect du droit de la partie contractante auprès de laquelle elle le fait valoir ».
La grande faiblesse de la contrainte de conventionalité en ce domaine se confirme d’ailleurs sur le terrain du droit au respect de la vie privée et familiale (Art. 8). Certes, mais après avoir rappelé « que la Convention ne garantit, comme tel, aucun droit d’entrer ou de résider dans un Etat dont on n’est pas ressortissant », la juridiction strasbourgeoise accepte de contrôler la conventionalité de l’ingérence au sein de ce droit précité, ingérence qui résulte du signalement au SIS faisant obstacle aux voyages privés et professionnels du requérant. Cependant, la Cour juge ladite ingérence conforme aux exigences conventionnelles, en particulier de proportionnalité. Il est ainsi considéré que les mesures n’ont eu « aucune incidence concrète ».
La Cour énonce que « s’agissant de l’entrée sur un territoire, les Etats jouissent d’une marge d’appréciation importante quant aux modalités visant à assurer les garanties contre l’arbitraire auxquelles une personne placée dans cette situation peut prétendre », de telle sorte que les garanties ici prévues par le droit français sont jugées suffisantes.
Les juges européens avalisent ainsi finalement la démarche française en relevant l’existence du contrôle de la CNIL puis du Conseil d’État et considèrent que « si le requérant ne s’est jamais vu offrir la possibilité de combattre le motif précis de cette inscription, il a eu connaissance de toutes les autres données le concernant figurant dans le fichier Schengen, et du fait que le signalement, requis par la DST, se fondait sur des considérations tenant à la sûreté de l’Etat, à la défense et la sécurité publique ». Par cette conclusion, le dispositif français – au moins dans le cadre spécifique du fichier SIS et tel qu’il est prévu notamment dans l’arrêt Moon (précité) – est validé par la Cour qui estime que « l’impossibilité pour l’intéressé d’accéder personnellement à l’intégralité des renseignements qu’il demandait ne saurait, en soi, prouver que l’ingérence n’était pas justifiée au regard des exigences de la sécurité nationale ». Ce grief est donc lui aussi rejeté comme irrecevable (Art. 34).
Gheorghe Dalea c. France (Cour EDH, Dec. 5e Sect. 2 février 2010, Req. no 964/07 )
”Contestation d’un signalement aux fins de non-admission dans le fichier du système d’information Schengen”
Actualités droits-libertés du 9 mars 2010 par Nicolas Hervieu