Ce ne sont pas les conseils ni les critiques qui manquent pour les hommes ou les femmes politiques de nos jours.
Au Québec, le déficit et la dette sont mis sur le dos du premier ministre Jean Charest. On oublie qu’ailleurs c’est pareil ou pire. La Grèce, le Portugal et l’Espagne frôlent la faillite. Le gouvernement des USA a une dette record inimaginable sur laquelle s’accumulent des déficits annuels record. Le Canada, modèle par excellence des pays occidentaux pour ses surplus financiers, recevait la visite de Premiers Ministres de pays étrangers, accompagnés de leurs Ministres des finances, pour comprendre la méthode canadienne de gérance des argents publics. Subitement, tout a bousculé et nous avons vu durant la dernière année, nos surplus s’évaporer et transformés en un déficit de 55 milliards $. Même la riche province d’Alberta, propriétaire des sables bitumineux, souffre et affiche un premier déficit. Adieu veau, vache, cochon, couvée…
Charest arrive à un moment crucial de sa direction des affaires gouvernementales du Québec. Au pouvoir depuis 1998 (à la fin du présent mandat il aura été Premier Ministre aussi longtemps que l’ex-PM Maurice Duplessis), il a bénéficié des années grasses que l’on vient de vivre pour bien administrer le Québec. Sous lui, les dépenses ont passé de 41 à 67 billions $, représentant un taux annuel d’accroissement de 4,6% alors que la moyenne provinciale au Canada s’est située à 6,6% et celle du gouvernement fédéral à 5,9%. Quant au déficit annuel, il s’est maintenu durant ces années aux alentours de 6 billions $ et la dette a passé de 110 à 160 milliard $, mais elle a quand même baissé en fonction du PIB de 58% en 1998 à 53,5% en 2009, puisque son poids relatif a diminué d'année en année en raison de la productivité de l'économie québécoise.
Les déficits ont été jugés nécessaires pour maintenir la création d’emploi et la protection des programmes sociaux québécois. Cependant, même si la situation actuelle est acceptable à court terme, elle risque de devenir très difficile, à cause de la récession et des augmentations probables des taux d’intérêt si le gouvernement ne prend pas, dès les prochaines années, les mesures nécessaires pour réduire ses déficits. C’est le défi de Jean Charest.
Il est prévisible que les prochains rapports financiers soient fortement déficitaires et cela pour les raisons suivantes : une baisse importante des versements de péréquation suite au ralentissement de l’exploitation des sables bitumineux, conséquence de la baisse du prix de pétrole; l’explosion des coûts de construction des grands projets d’infrastructures; les nouvelles demandes salariales des fonctionnaires; la diminution des revenus des particuliers suite à la récession qui risque de perdurer, etc.
Analystes, économistes, experts, intellectuels, journalistes et joueurs politiques s’élèvent de tous côtés pour nous dire que sans la voie qu’il propose, pour combler le déficit et réduire la dette du gouvernement du Québec, il n’y a pas d’espoir. Pour justifier leurs propositions, plusieurs cherchent à nous effrayer avec le spectre d’une apocalypse qui supposément nous guette. Certaines de ces personnes sont sincères, d’autres compétentes mais plusieurs tiennent des propos qui résonnent comme ceux de démagogues.
Parmi les suggestions avancées, on retrouve :
. L’imposition de nouvelles taxes sous forme d’une importante augmentation des tarifs d’électricité pour combler en partie les prochains déficits;
. Un accroissement majeur des frais de scolarité universitaire même si cette décision en Ontario a fermé la porte de l'éducation postsecondaire à tout un pan de la société;
. Sabrer dans les services et les salaires des fonctionnaires;
. Mettre fin à l’État-Providence;
. Augmenter les revenus de 5,6 milliards $ et réduire les dépenses d’autant;
. Retrouver l’efficacité dans les grandes sociétés de l’État telles Hydro-Québec, Société des Alcools, et autres qui sont peu performantes par rapport à des entreprises privées similaires;
. Éliminer plusieurs niveaux d’administration régionale qualifiés de structures intermédiaires inutiles;
. Augmenter la TVQ (taxe de vente) de 2% pour remplacer la diminution de 2% de la TPS (taxe sur les services) fédérale;
. Obtenir une véritable accessibilité à l’éducation;
. Utiliser immédiatement le Fonds des Générations qui accumule des argents qui sont placés via la Caisse de Dépôt en vue de rembourser un jour une partie importante de la dette pour les générations futures (commencer en 2007 avec 579 millions $, il compte aujourd’hui plus de 2 milliards $, devrait valoir 32 milliards $ en 2025 lorsqu’il sera appliqué au remboursement de la dette);
. Accélérer le remboursement de la dette, avec des taxes s’il le faut, pour obtenir une justice intergénérationnelle;
. Abolir les privilèges (évitement et évasion fiscaux) de l’entreprise privée qui privent le gouvernement d’entrées monétaires importantes;
. Reconnaître que les hommes et femmes vont travailler à la retraite plus longtemps et continuer à payer des impôts;
. Mettre en place un meilleur contrôle de l’endettement.
De leur côté, les fonctionnaires craignent une répétition des mesures draconiennes des gouvernements Lévesque et Bouchard qui pour des raisons de déficits ont réduit considérablement leur nombre et réclament des mesures comme l’élimination de la sous-traitance dans les services publics pour protéger leurs emplois.
On peut voir par ce bref résumé que ce n’est pas le choix qui manque.
Les différences de vue sont profondes car chacun prêche pour sa paroisse. Tous affirment s’exprimer dans le meilleur intérêt du Québec et parlent de lucidité, de réalité, d’objectivité, de franchise, de responsabilité, de liberté, d’accessibilité, d’équité, d’excellence, d’efficacité… mais on peut douter de la sincérité de plusieurs dont les textes sont clairement irréalistes, alarmistes, condescendants, défaitistes, anti-syndicalistes, anti-patronat, intolérants, partisans, fabricants de procès d’intentions et encore. En plus, et c’est le drame, chacun parle et parle mais n’entend pas l’autre et va même jusqu’à le diminuer, l’insulter. Une vraie tour de Babel d’irresponsabilités.
Un très grand nombre d’observateurs jugent que l’économie actuelle est fragile à cause de la récession et que le temps n’est pas propice pour augmenter les coûts aux citoyens. D’autres, à l’approche plus comptable, propose avec facilité de couper radicalement les dépenses du gouvernement et d’imposer de nouvelles taxes en oubliant que nous vivons en société.
À mon avis, le gouvernement doit revoir tous les postes de ses dépenses et éliminer les dépenses superflues. Il peut s’amincir sans souffrir.
Il se doit de protéger notre système d’éducation, éviter qu’un grand nombre de jeunes des nouvelles générations ne puissent accéder à des études supérieures et s’occuper en priorité du décrochage scolaire. Pour les universités, la réponse n’est pas une augmentation importante des frais de scolarité mais plutôt une responsabilisation des universités elles-mêmes et de leurs diplômés. Ces derniers ont une dette envers l’institution qui leur a donné, à bas coût, leurs grades. C’est à eux d’aider financièrement leur alma mater pour lui permettre d’être la meilleure possible. Que les universitaires québécois prennent exemple chez les diplômés de Polytechnique qui depuis des années contribuent énormément à l’École. Des anciens ont même payé complètement de nouveaux pavillons dédiés à de nouvelles spécialités du génie et continuent à supporter généreusement l’institution qui leur a permis de bien gagner leur vie. L’Université McGill est aussi un bel exemple.
Les tarifs d’électricité doivent être fixés en fonction du coût des autres énergies. L’Hydro-Québec se doit d’être compétitive sur le marché. Agir arbitrairement pour augmenter les ristournes à l’État ne serait pas sérieux. Si l’électricité est trop chère, les Québécois se retourneront vers d’autres sources pour se chauffer et l’HQ perdra des clients.
Sabrer aveuglément dans le nombre de fonctionnaires n’est pas nécessairement une solution réaliste. On a vu récemment le ministère responsable des travaux publics faire appel au privé pour assurer que l’octroi et la surveillance de ses projets respectent ses normes et ses budgets et cela parce que les fonctionnaires attitrés à ces tâches importantes avaient perdu leur emploi. « La sous-traitance, oui, mais pas nécessairement la sous-traitance ». Éliminer les rond-de-cuir, oui, mais ne pas renvoyer des gens compétents et mieux payés simplement pour diminuer les coûts. L’expérience nous montre que ce sont de fausses économies. Nous avons besoin de bons fonctionnaires et les dénigrer continuellement n’est pas à notre avantage car c’est avec eux que notre gouvernement remplit les tâches normales d’un bon gouvernement. C’est avec eux que l’on pourra trouver les vraies raisons qui font que la construction civile au Québec est 35% plus chère qu’en Ontario et corriger la situation. Les économies possibles se chiffrent par milliards.
Il est essentiel de rendre plus efficace les grandes entreprises de l’État québécois à l’image des grandes entreprises privées qui constamment font cet effort puisque c’est toujours une source de meilleure productivité et de réduction de dépenses.
Éliminer certaines administrations régionales, dont j’en suis, comme celles
de la santé entre le ministère et les administrés et certains conseils d’agglomération de villes, coûteux et inutiles, comme celui de Ste-Marguerite – Estérel. Par contre plusieurs sont fort importantes et méritent de continuer. Les municipalités régionales (MRC) en sont. Mais on doit revoir plusieurs de leurs postes de dépenses qui sont excessifs.
Augmenter la TVQ, oui, mais en dernier ressort à condition d’exempter les produits nécessaires aux familles comme les vêtements d’enfants, la nourriture, les livres scolaires, etc…
Éliminer le Fonds des générations, non ! Il assure la justice intergénérationnelle réclamée par les jeunes. De plus, augmenter les impôts pour payer la dette n’est pas justifiable car une grande partie de l’endettement public est pour la réalisation d’infrastructures qui serviront aux générations de demain.
Quant à la fiscalité pour les individus et les entreprises, il faut comprendre que nous ne vivons pas isolés de tout le monde. Nous nous devons d’être compétitifs. Les conditions de travail, les rémunérations, les impôts doivent être en sorte que les travailleurs et les entreprises restent chez nous et ne cherchent pas à œuvrer ailleurs. Pour avoir les meilleurs, il faut les attirer, les garder. Il faut aider ceux qui créent, qui osent et qui savent produire car ils sont générateurs d’emplois et de revenus. C’est ainsi que les travailleurs obtiendront les meilleurs salaires. Par contre, l’élimination des paradis fiscaux est essentielle pour atteindre une justice fiscale.
À ce moment de notre économie, il est important que nous comprenions bien les enjeux. Ainsi, notre gouvernement sera plus à l’aise pour prendre les meilleures décisions possibles.
Claude Dupras