La question a déjà été évoquée sur le semioblog, mais elle est encore d'actualité et plus que jamais, elle est le symptôme d'une société qui, en ayant perdu une partie de ses repères, accuse la télé, mère de tous ses maux.
Une nouvelle chaîne de télévision pour jeunes enfants a été mise à l'antenne il y a peu de temps, elle est destinée aux enfants de 6 mois à 3 ans et son nom est baby first. Une pétition contre cette chaîne a été lancée, et la plupart des signataires, sous l'impulsion de Serge Tisseron, sont des psychologues ou des pédopsychiatres qui s'insurgent contre les dangers d'une telle chaîne de télévision qui est, selon eux, susceptible d'éloigner les enfants des activités motrices essentielles pour les petits de cet âge. Il peut aussi y avoir un danger si l'enfant constate qu'il n'est que spectateur du monde et non acteur de ce monde. Les signataires craignent aussi que les parents utilisent cette chaîne pour endormir leurs enfants, au lieu de les endormir eux-mêmes. Enfin, on craint que les enfants deviennent "accro" à l'écran de télévision.
C'est en tant que semiologue que je parle ici bien sûr, et analyste des médias exaspérée d'une société qui n'arrive plus à dire où elle a mal.
En premier lieu, cette pétition montre à quel point nous avons tous des attentes envers les médias. Ces attentes sont devenues si fortes qu'elles ne peuvent être que source de frustration. On attend aujourd'hui de la télévision qu'elle nous soigne psychiquement (Il faut que ça change sur M6), qu'elle élève nos enfants (Super nanny sur M6, Le grand frère sur TF1), qu'elle nous fasse maigrir (J'ai décidé de maigrir sur M6), bref, qu'elle fasse tout. Les chaînes se sont positionnées sur le créneau de l'action envers le téléspectateurs, ce dernier aurait-il fini par y croire ? Et dans ce cas, si la télé peut tout, pourquoi ne pourrait-elle pas, aussi, éveiller nos enfants au monde des adultes, les endormir et, bientôt, leur apprendre à lire ? Cette bonne blague ! Arrêtons de penser que la télé peut tout, cessons de nous mentir, et remettons là à sa place en ne lui demandant que ce qu'elle peut faire : nous divertir, nous informer en surface, et ça ira déjà... Pour l'éducation, le régime et la santé mentale, allez, c'est de l'individu, de sa famille et de son entourage que cela dépend. Rien de nouveau ici.
Ensuite (et cette remarque est en lien avec la première), une mauvaise nounou est une mauvaise nounou, un parent inconscient est un parent inconscient, et non, ce n'est pas la faute de la télé. Donc, si Mlle Nounou décide de mettre votre enfant devant la télé pour l'endormir pendant qu'elle va fumer des clopes sur son balcon pendant que vous êtes au boulot, elle le fera, qu'il y ait télé bébés ou pas. Alors, puisque la connerie ne dépend pas des chaînes de télévision, autant que Mlle Nounou mette votre enfant devant un programme pour enfants plutôt que devant le journal télévisé qui montre les bagarres et des morts. Dans tous les cas, l'erreur est là, et la télé n'y peut rien.
Pourquoi ne pas regarder ce problème de façon plus globale ? Effectivement, la télé pour les bébés, ce n'est pas une solution, et il est préférable de jouer avec son enfant, de faire des activités avec lui plutôt que de le laisser devant un écran. Mais enfin, pourquoi crier au loup contre les médias plutôt que de prendre cette question à partir de l'éducation ? Il est certainement plus facile de dire du mal de la télé, ce qui fait plaisir à tout le monde, plutôt que d'inviter chaque téléspectateur à réfléchir à ses propres pratiques et à s'éduquer aux médias pour pouvoir éduquer ses enfants. Dire que nous sommes manipulés, cela ne veut rien dire, mais cela rassure un bon nombre de personnes, en les berçant dans leurs douces illusions, dont celle qui dit que l'on ne peut rien faire, que c'est la faute à la société.
Pour ma part, je préfère le chemin le moins fréquenté. Celui que l'on emprunte pour dire que tout n'est pas la faute d'un grand méchant publicitaire capitaliste qui nous manipule. En criant qu'il y a un danger, on ne va faire qu'attirer les plus jeunes vers la télé, puisque ce sont les interdits qui attirent... Je suis pour une démarche qui mettrait en avant l'éducation et la connaissance des médias, dès le plus jeune âge. Il faut des repères pour chacun concernant les médias de masse, qui ne sont pas si compliqués à expliquer. Il faut démystifier la télé et les médias qui l'environnent. On a peur que de ce que l'on ne connaît pas, et il est regrettable que la télévision fasse aussi peur, alors qu'il ne s'agit que d'un animal médiatique certes, mais d'un animal domestique.
par Virginie Spies