Bonjour cher lecteur,
Un peu de média aujourd’hui avec mon enquête sur les ventes par tiers dans la presse quotidienne parue dans le CB News n°1047 du lundi 1er mars. A lire.
“Alors que la polémique a enflé ces derniers jours autour de la proportion des ventes aux tiers dans la diffusion de certains journaux, CB News a enquêté sur une pratique qui laisse planer quelques zones d’ombre.
« Cher monsieur, en parlant des ventes par tiers, vous pénétrez dans la zone grise de la presse ». Cet avertissementd’un expert des médias illustre on ne peut mieux les interrogations que cette pratique et la gêne qu’elle procure chez certains éditeurs. Elle est aussi le signe que la maxime bien connue dans le milieu selon laquelle « un journal qui va bien est un journal qui a une bonne vente au numéro » a du plomb dans l’aile. Et, enfin, que la crise structurelle de la diffusion payée en kiosques incite les éditeurs à trouver des solutions différentes. Ces ventes aux tiers sont comptabilisées par l’OJD à partir du moment où les exemplaires sont achetés par les tiers pour un minimum de 50% de la valeur faciale du titre. Ces exemplaires se trouvent le plus souvent dans les avions, les grands hôtels, les grandes écoles, voire parfois les gares. Ils sont gratuits pour le consommateur. Voilà pour les principes.
Mais, en se montrant pointilleux, on observe que la réalité est un peu plus compliquée. Deux polémiques récentes ont illustré les difficultés à appréhender les ventes par tiers (VPT). La Tribune tout d’abord, s’est insurgée lors de la publication des résultats OJD 2009 du fait que l’organisme considérait comme de la vente non payée un abonnement à 10 € par mois et ne le comptabilisait donc pas en VPT. « Comment peut-on décemment soutenir qu’un abonnement à 120€ par an est gratuit », s’indigne Valérie Decamp, directrice générale de la Tribune. Pour elle, « la vente aux tiers est un vrai réseau qualifié qui, en plus, permet de faire du buzz autour de la marque ». Elle plaide donc pour un assouplissement des règles de l’OJD et propose que dès qu’un exemplaire est « payé, même dix centimes » il soit comptabilisé.
L’autre polémique est venue d’un confidentiel du Point sur Le Figaro. L’hebdo assurait qu’au mois de novembre les ventes par tiers du Figaro avait dépassé les ventes au numéro. Ce qui n’était pas tout à fait exact. Les ventes par tiers atteignaient 97 960 exemplaires et les ventes au numéro 101 911 exemplaires. Par contre, si l’on ajoute aux VPT la « diffusion non payée », c’est-à-dire ne correspondant pas aux critères de la ventes par tiers, alors l’information se révèle exacte. La diffusion gracieuse ou par tiers du Figaro a effectivement dépassé la vente au numéro au mois de novembre. « Cette argumentation est un peu fallacieuse, conteste Etienne Mougeotte, directeur de la rédaction du Figaro, car elle laisse croire que les exemplaires vendus aux compagnies aériennes sont gratuits. C’est faux. Aucun exemplaire du Figaro n’est gratuit ! Mieux, nos ventes aux tiers sont rentables ! ».
C’est justement là, le cœur du problème. Dans quelle mesure ces exemplaires sont-ils réellement payés ? S’il est normal de faire une ristourne quand un client achète une grosse quantité, de combien est-elle exactement sur les 1,30 € affichés (prix moyen d’un quotidien) ?
« C’est effectivement là que le bât blesse », note un expert du secteur. « Si les exemplaires sont bel et bien facturés à 50% du prix aux compagnies aériennes par exemple, celles-ci prélèvent en plus des frais de mise à bord et de prise en charge qui font considérablement baisser ce pourcentage ». Ainsi, selon différentes sources, les exemplaires seraient effectivement cédés pour une somme variant entre 8 et 20 centimes sur 1,30 €. Dans d’autres réseaux, il est clair que les titres sont cédés gratuitement. Notamment au sein des grandes écoles où l’on confirme que les journaux ne sont pas achetés. Ainsi, une partie non négligeable de la presse, notamment quotidienne, est cédée à titre gratuit ou quasi-gratuit. « Les éditeurs tentent de se rembourser par la publicité », explique Nathalie Godinot, directrice de l’expertise presse chez Reload.
Du côté de l’OJD, Patrick Barthement, son directeur, s’explique : « Nous contrôlons l’ensemble des exemplaires mis en vente aux tiers et nous vérifions les factures. La façade est parfaite ». Et de préciser que sur l’ensemble de la presse française inscrite à l’OJD, la VPT a augmenté de 1,1 % en 2009 par rapport à 2010. «On est loin d’une envolée», relativise-t-il.
« Cela s’apparente toutefois à du dopage. Tout le monde le fait, donc il faut suivre », note un éditeur. Tout le monde, vraiment ? En tout cas pas dans les mêmes proportions (voir encadré) puisque, par exemple, quand la Tribune a 33,1% de sa Diffusion France Payée (DFP) réalisée grâce aux ventes par tiers, L’Equipe n’en a que 7,4 %. « Le problème, note Jean-Clément Texier, expert média indépendant, c’est que l’on s’habitue à la gratuité des quotidiens, et que comme pour la drogue, il est toujours difficile d’arrêter ». Et de poursuivre : « Ces ventes par tiers sont justifiées quand les recettes d’un titre viennent essentiellement de la publicité, moins quand celles-ci viennent de la vente ». De fait les éditeurs utilisent aussi cette pratique pour attirer des annonceurs et gonfler l’audience. « Les éditeurs sont entrés dans cette pratique de la vente au tiers pour masquer la baisse tendancielle de leur DFP, mais de fait ils ont, sans le savoir, fait preuve d’une grande modernité puisque le marché publicitaire est aujourd’hui axé sur l’audience », analyse Jean-ClémentTexier. Au sein des agences médias, on convient que « l’on apprécie cet indicateur des ventes». « Cela nous en dit plus sur la mise en place d’un titre et sur sa santé », souligne Sophie Renaud, directrice de l’expertise presse chez Carat. « Ce type de diffusion a sa raison d’être, même si on la scrute pour voir si elle ne masque pas une baisse de la DFP », poursuit l’experte. Un constat partagé par Nathalie Godinot. « Il y a une bonne vente au tiers, celle des parentaux dans les maternités, ou des quotidiens dans les avions. Il y en a aussi une mauvaise car elle ne s’adresse absolument pas à une audience qualifiée. On ne sait pas bien à qui elle est destinée ». En clair, « l’important est que cette diffusion ne vienne pas modifier le profil des lecteurs d’un journal», renchérit Jean Minost son homologue chez Havas Media. Toutefois, les acheteurs médias n’hésitent pas à utiliser la proportion de ventes par tiers comme un levier dans la négociation tarifaire avec les éditeurs. Quoiqu’il en soit, la course à l’audience coûte cher. Que ce soit pour les ventes aux tiers que pour le recrutement d’abonnés (avec des cadeaux) dans les hebdos notamment. Il n’est donc pas dit que le secteur pourra très longtemps tenir en détruisant quelque peu la valeur de son produit. En 2008,
Frédéric Filloux, éditeur chez Schibsted prédisait sur son blog, qu’ « à l’horizon 2012, les journaux distribueront plus de la moitié de leurs exemplaires gratuitement ». Les éditeurs français sauront-ils le faire mentir ?
David Medioni”
La proportion de la vente par tiers des quotidiens (2007-2009)
2007 2009
1- La Tribune 29,5 %La Tribune : 33,1 %
2. Le Figaro : 24,8Libération : 30
3. Les Echos : 24,4 Le Figaro : 27
4. Libération : 22,2 Les Echos : 26,6
5. Le Monde : 15,9 France Soir : 24,8
6. France Soir: 14 Le Monde : 17,5
7. L’Humanité : 8,1L’Equipe : 7,4
8. L’Equipe : 6,5 La Croix : 5,4
9- La Croix : 2,7L’Humanité : 3,1
10. Aujourd’hui en France:2Aujourd’hui en France : 2,3