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Le petit Nicolas est beaucoup plus naïf que son homonyme de Goscinny et surtout moins symphatique. Ce sale gosse est capable de dire tout haut ce que les stratèges des dominants ont eu tant de mal à mettre en place depuis les années 70. « Il faut tuer 68 ». Il révèle le pot aux roses... Il cafte...
« Tuer 68 » c'est tuer la politique. Autrement dit assurer le triomphe de l'idéologie dominante et des moyens de sa pérennisation. Celle-ci le sait. Ce sera son premier souci dès la fin des années 68. Et elle le fera d'une manière ironique : elle proclamera dès la fin des années 70 « la fin des idéologies » ils seront tous mobilisés et ils y parviendront... Le pluriel est indécent : par fin des idéologies, il faut entendre essentiellement la fin d'une seule idéologie : le marxisme.
Pour cela, il faut organiser la disparition des classes sociales. Tout doit disparaître ! De fait, qui aujourd'hui qui emploie encore ce terme désuet? qui est capable d'identifier, de définir ce qu'on appelait « classes sociales »? La droite classique, comme la gauche démocrate sociale y sont parvenus. On ne cesse de mettre en scène une" grande classe moyenne" bornée à ses extrémités par des "très riches" et des "exclus"...
Ouf ! Plus d'antagonismes ! Mais un discours sur l'inégalité, l'équité etc. nous connaissons tous ce vocabulaire... Exit le prolétariat, vive l'exclusion !
Bravo l'artiste... car sous-jacent à cette manipulation spectaculaire se dessine logiquement un pas de plus dans la disparition du politique.
La nouvelle thématique qui apparaît quinze ans plus tard avec l'effondrement de l'URSS, sera celle de la très fameuse « fin de l'histoire »... Cette thématique née aux USA et célébrant la victoire du libéralisme fera grand bruit. Nouvelles incantations toutes dédiées vers le triomphe sans limites du capitalisme planétaire. Plus d'opposition de quelque nature que ce soit donc coup décisif qui met un terme à la politique. Disparition du réel...La survie des dominants est à ce prix.
La politique doit être ici entendue, comme le souligne Luc Boltansky, comme la capacité à tirer parti des contradictions immanentes à un ordre social et prendre appui sur ceux que cet ordre exploite ou opprime. Par ce coup de force du spectacle ne demeurent plus que « des injustices », mieux « des inégalités » résorbées par des actions assurant « l'égalité des chances »...
On le voit, plus de contradictions ! Plus de luttes : alors s'ouvre un champ sans limites pour les dominants jusqu'à en perdre la raison : soyons avides sans entraves !
La dépolitisation qui résonne comme une incantation nostalgique de la gauche réformiste peut être envisagée autrement, si on ne la considère pas comme une tendance de fond qui émanerait mystérieusement de la société, avec son fameux « individualisme contemporain »,mais comme le résultat d'une stratégie constante, déterminée, au long cours, transcendant tous les courants politiques, orientée tout entière vers la fin du politique entendue comme une mise au pas par tous les moyens de toute critique qui tendrait à s'opposer à l'idéologie dominante.