Revenons sur l'affaire de « la jungle de Calais ». On a rasé ce campement de fortune( ?) avec une détermination, une brutalité, qui a beaucoup à voir avec une énergie sacrificielle ou communie honteusement tout un peuple qu’il soit de droite ou de gauche. L'émotion suscitée par cette affaire nous révèle une forme de non-dit, de refoulement collectif sur ce qu'on peut appeler « le ressentiment contre les étrangers », du désarroi dans laquelle nous vivons la mondialisation en cours.
Cet obscur ressentiment gagne en force dans nos sociétés aux structures et contours flous, ouvertes et liquides ou s'effacent les classements sociaux, les nations, les frontières d'un monde ordonné désormais obsolète. L'instabilité permanente des positions sociales oblige les sociétés occidentales à des redéfinitions constantes du statut de chacun qui fragilise les anciennes sécurités routinières, favorise une atmosphère de peur diffuse de devenir « étranger » à son propre environnement, un exilé de l’intérieur du jour au lendemain.
Dans ce contexte, les étrangers, les réfugiés, pire encore, les clandestins font office d'effigie du spectre de l'effondrement d'un monde dont désormais les limites se distendent à l'infini sous l'effet de la mondialisation marchande et d'une division planétaire du travail. Ils sont le double obscur, inversé, répulsif de nos vies ordonnées et donc la cible privilégiée de rituels d'effacement de leur présence : on ne doit pas les voir, ils doivent demeurer invisibles pour conjurer nos peurs de leur ressembler.
Surtout on ne veut pas voir qu'ils apportent avec eux des rumeurs de guérilla, de famines, de massacres où ils s’entre-tuent, si jeunes, dans des guerres qui ne sont pas des jeux, des échos de leur incapacité à travailler, d'être dépourvu de tout avenir dans leur pays d'origine. On ne veut pas voir qu'ils sont des centaines de milliers à se faire chasser de chez eux faute d’y avoir une place. Ce qu’on ne veut pas voir ce sont les résultats d'une « globalisation négative » qui nous effraie et risque de toucher une vie qu’on n’imagine pas si éloignée de la leur.
Parmi ces inconnus, ces bannis, la place d'honneur revient la figure du « clandestin » forcément sans visage, race, origine ; symbole à lui seul de tous les exilés des régions laissées pour compte de la planète. En venant frapper à nos portes il nous rappelle combien est vulnérable notre civilisation.
Ces clandestins sont des apatrides d'un nouveau genre. Ils le sont doublement, d'abord en raison de la non-existence de l'État auquel pourrait renvoyer leur citoyenneté et ensuite du fait que nous ne voulons ne leur en accorder aucune. Pourvu qu’ils ne fassent que passer…N'ayant ni départ, ni arrivée, Ils forment une espèce nouvelle de parias en situation de flottement permanent, dans un état de mouvance sans fin : ils représentent toutes les prémonitions qui hantent les insomnies l'homme occidental.
Les clandestins sont les étrangers absolus, ceux qu'on ne peut, ni ne veut voir dans nul endroit où alors dans des « non-lieux » des lieux eux mêmes déplacés tels que les marges portuaires, espaces incertains, fantomatiques en déshérence urbaine. Une fois à l'extérieur, ils y restent indéfiniment...C’est bien cela notre cauchemar ! D’être définitivement déterritorialisés, exclus de notre humanité.