La proximité des élections agite la cour. La ruche bourdonne, vrombit. Tous sont sommés à nouveau de butiner le miel du pouvoir : la peur et son florilège anxiogène de discours sécuritaires. On doit toucher au cœur. On choisira donc les plus fragiles, les vieux, les jeunes, en fonction de quelques faits divers propices martelés en boucle sur les médias. la violence scolaire fera l'affaire. Dans l'urgence on proclamera un « Grenelle » comme il y en eut tant d'autres…
La violence scolaire frappe fort. Elle hurle les défaillances d'une société en crise dont elle est le miroir. Porteuse de barbaries annoncées, elle est d'autant plus spectaculaire qu'elle se déroule dans le sanctuaire même de la culture, de la connaissance, qui ont justement pour vocation dans tout groupe humain à la réduire, la réguler, pour permettre la vie commune. L'école est d'abord ce lieu de parcours initiatique, de rites de passage par lequel l'adolescent va apprendre « les contraintes de civilisation » que cela nécessite. Si ce processus, qui s'apparente au « refoulement » ne fonctionne pas, on obtient, comme l'écrivait Freud, des canailles et non des névrosés... C'est cela qui rend cette violence si énigmatique.
Il y a un profond désarroi de tous devant cette énigme qu'il est lâche d'instrumentaliser, devant ce refus pour les jeunes d'aller « vers le vaste monde », le tout nimbé de déliquescence du langage et de décrépitude de l'écrit. En fait les jeunes savent que l'école de la république n'est plus là pour tenir ses promesses : diplômes bradés inutiles, précarité et chômage annoncés, galères. Ils savent que ce n'est pas la culture, la connaissance qui leur apportera les désirs de faire, de construire, d'être quelqu'un : l'exemple vient de la France d'en haut...Eux, ils sont celle d’en bas. Alors cette violence n'est que la mécanique de la logique d’un désir mimétique qui produit des conduites de recherche apparemment volontaires de l'échec : détruire ce qui vous fait mal... Tout ce qu'ils perçoivent du monde le leur répète jusqu'à la nausée.
Jean Paul Delevoye, le médiateur de la république, évoque une société « fatiguée psychiquement », minée par « l'angoisse du déclassement ». Une société « fragmentée » ou le chacun pour soi remplace le désir de vivre ensemble. Une société en « grande tension nerveuse » formant « la France des invisibles »… Il ajoute que « la distanciation par rapport à eux [les politiques] n'a jamais été aussi forte ». « Trop d'émotions collectives, souvent médiatisées et pas de constructions collectives »….
Alors, face à cette déréliction de la vertu républicaine, face à un monde d'avidité compulsive sans précédent, comment s'étonner que des jeunes, témoins sensibles, écorchés, se jettent et s'abandonnent dans la violence scolaire comme refus d'un monde qu'ils vomissent. Comment s'étonner qu'ils ne soient pas tentés par des formes de brutalités mimétiques et substitutives d'une figure tutélaire de l'État, d'une figure d'un père le plus souvent absent en adhérant à des bandes agressives où ils trouveront ce qui leur manque : une identité, des règles, des valeurs, mêmes dévoyées. Ils s’y noient plus qu'ils ne les constituent. En cela ils sont en phase avec la société.
Les médiocres solutions électoralistes, les garrots sécuritaires opportunistes n'y changeront rien. La multiplication des caméras, des portiques, l'appel à des nervis, des milices troubles aux statuts incertains sont dérisoires. Pire ! Elles ne serviront qu'à discréditer encore plus la culture, le « penser par soi-même ». Elles saperont l'autorité des éducateurs, des professeurs héroïques qui servent encore de hautes valeurs dont on nous montre jusqu'au sommet de l'État qu'elles n'ont plus cours... Elles achèveront de fragiliser le modèle républicain déjà vacillant. Reprenons encore Delevoye : « se protéger de l'autre dans une société fragmentée, inquiète et sans espérance collective, politiquement cela peut mal tourner. L'histoire nous montre que le ressentiment et la peur nourrissent le populisme » et toutes ses dérives. Il devient urgent de resacraliser laïquement l'école républicaine constructrice d'identité, lui redonner ce rôle émancipateur de passeur d'une génération à l’ autre. Visionnaire, Anna Arendt écrivait : « l'autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut signifier qu'une chose : que les adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé leurs enfants. ».