Les halles de Paris vers 1890 : le personnel

Publié le 09 mars 2010 par Lafeste

La vie quotidienne des Halles de Paris vers 1890

Carreau des halles.

« On comprend sous ce nom les voies couvertes qui séparent les pavillons et les espaces découverts (rues, places, carrefours) situés autour des halles dans un rayon d’environ 4 kilomètres, Les approvisionneurs de ce marché forain sont les jardiniers et horticulteurs de Paris et de la banlieue, qui le fournissent de primeurs, de roses, de lilas,de plantes de serre chaude; les cultivateurs de Seine, Seine-et-Oise et autres départements limitrophes qui apportent les gros légumes, les choux, les carottes, les fraises, les cerises, les groseilles ; certaines localités y envoient leurs produits spéciaux: Gonesse ses artichauts, Montlhéry ses potirons, Thomery ses raisins, le Midi ses fleurs. Le marché désabonnés contient 1518 places, dont 1,118 pour les jardiniers-maraîchers, 32 pour les horti­culteurs et 68 pour les marchands de cresson. Les produits des droits de place du carreau ont été, en 1892, de 175,645 fr. A partir de dix heures du soir, les voitures des maraîchers commencent à entrer dans Paris par toutes les barrières ; elles se placent rue Rambuleau, rue Pierre-Lescot, rue Berger, rue Baltard, rue de la Cossounerie, rue Montmartre, rue Saint-Denis, rue de la Lingerie, etc. On trouve un marché aux plantes officinales dans la rue de la Ferronnerie, des légumes dans la rue des Halles, des fruits rue Turbigo. Le stationnement des voitures est concédé à un industriel dont les nombreux agents et gardeuses surveillent toutes voitures venues soit pour la vente, soit pour l’achat de denrées et stationnant entre l’hôtel de Ville, les quais, le Palais-Royal, la rue Mandar et le square des Arts-et-Métiers. Les bons do place coûtent de 0 fr. 30 à 0 fr. 40. A huit heures du matin en été, à neuf heures en hiver, un coup de cloche donne le signal de la dislocation de cette agglomération de véhicules évaluée, en 1892, à 567,900. Le carreau appartient alors aux marchands au petit tas qui se placent prés des pavillons VII et VIII et sur lesquels la ville perçoit encore 7,900 fr. 35 de droits. Les places du carreau sont concédées soit à la journée, soi au mois par abonnement.


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En somme, le mouvement des halles est perpétuel. Une fois la vente finie, à la tombée de la nuit, et accomplis les travaux de rangement et de nettoyage, les arrivages commencent. Dés neuf heures du soir, l’activité est déjà considérable; elle redouble vers minuit, s’exaspère jusqu’à neuf heures du matin, tombe progressivement de deux heures de l’après-midi à neuf heures du soir et reprend de plus belle.

Le personnel spécial des halles.

L’administration y est représentée par des agents de la préfecture de la Seine et des agents de la préfecture do police. Deux inspecteurs principaux, dépendant du bureau de l’approvisionnement, sont chargés du service des perceptions municipales. La surveillance des ventes et à l’inspection de la salubrité des denrées sont confiées à cinq inspecteur principaux répartis dans les divers pavillons.

Un chef de service et un contrôleur chef de laboratoire s’occupent spécialement de l’inspection des viandes.

Les ventes à la criée et à l’amiable se font par l’intermédiaire des facteurs(…)

Les dames de la halle sont les marchandes au détail des divers pavillons, celles surtout des pavillons de la marée, des fruits, légumes, fleurs, de la volaille et de la triperie. On les appelait jadis les poissardes, et la verdeur de leur langage est légendaire. On connaît aussi leur enthousiasme séculaire pour la famille royale de France. Elles avaient le privilège de complimenter le roi dans les grandes occasions (naissance d’un fils de France, mariage royal, victoire, jour de l’an), Elles lui portaient des bouquets, et, admises dans la galerie du château de Versailles, elles faisaient à genoux leurs compliments. Elles dînaient au grand commun : un des premiers officiers de la maison du roi leur faisait les honneurs. Elles pouvaient encore occuper la loge du roi et de la reine aux représentations gratuites. Leur royalisme subit une sérieuse atteinte aux débuts de la Révolution, car elles furent les premières à courir à Versailles les S et 6 octobre pour en ramener « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Mais elles revinrent aux bonnes traditions. Napoléon 1er les admit aux Tuileries. Napoléon III leur donna un bal splendide après le 2 décembre. Files ont été boulangistes. Elles sont (…) russophiles. Elles ont deux syndicats datant de 1887 : la chambre syndicale des marchands et marchandes de fruits et légumes des pavillons des Halles centrales qui comprend 120 membres; la chambre syndicale des dames détaillantes du pavillon à la marée qui comprend 103 membres.


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Forts de la halle. Les forts de la halle sont les porteurs attachés à lu vente en gros, avec la qualité d’ouvriers privilégiés, en nombre limite, formant une corporation régie par des statuts et gouvernée par des syndics, ayant une caisse commune. Ils sont placés sous l’autorité dé la préfecture de police, nommés par elle, par elle subordonnés à l’inspection des halles et marchés. Les aspirants aux fonctions de forts ont à faire une déclaration à leur mairie, à justifier de leur moralité. La mairie leur délivre une médaille; la préfecture leur remet de son côté une commission et une plaque aux armes de la ville, qui doit être suspendue au côté droit de leur veste. L’insigne de leurs syndics est une médaille d’argent. Outre les garanties de moralité, ils ont, au point de vue de l’aptitude professionnelle, à fournir la preuve de leur force physique. Ainsi l’on montre, déposé sur le sol dans la halle de la volaille, dite encore aujourd’hui Vallée, le cageot destiné aux épreuves. Le postulant, pour être accepté, doit le descendre à la cave et le remonter chargé de 200 kgs. L’institution des forts remonte à saint Louis. Il les établit pour servir les chasse-marée des côtes de la Manche qui, poussant devant eux de solides bidets, venaient approvisionner la halle de poisson de mer. Aussi la confrérie des forts avait-elle adopte le saint roi comme patron, tandis que les autres groupes de portefaix s’étaient mis sous la tutelle de saint Christophe.

Il y a des équipes de forts pour chaque division de la vente on gros. Aux forts sont exclusivement réserves la décharge et le rangement des apports dans les lieux ou se fait cette vente, soit sur le carreau, soit dans les pavillons. Seuls, avec le personnel du factorat, ils ont accès dans les resserres dépendantes de cette vente (arrêt du 6 mai 1861 ). Les marchandises étant sous la responsabilité des facteurs et subsidiairement des forts, il fallait réduire autant que possible les chances de détournement ou de perte. Particulièrement au marché de la volaille, une consigne sévère interdit la sortie de tout panier de toute espèce qui ne serait pas entre les mains d’un fort. C’est à la porte que livraison en est faite par lui, soit aux acquéreurs, soit aux porteurs. Ce service est tarifé; le minimum pour les petits poids est de 40 cent., avec augmentation proportionnelle; pour 600 kgs. la taxe est de 1 fr. Dans la resserre de la volaille, la responsabilité est partagée par les gaveurs, catégorie d’employés que l’on peut rattacher aux forts. Ce sont eux qui ont à garnir le jabot des pigeons, et à les empêcher de périr faute de nourriture : eux et leurs chiens font en outre une guerre d’extermination aux chats qui, en dépit de toute vigilance, parviennent souvent à décapiter la volaille assez, mal avisée pour allonger le cou à travers les claires-voies des cages.

L’équipe dite des grands fruits est en possession du carreau. Chacun des arrivants se dirige vers le kiosque où il se fait délivrer par un agent de la perception municipale un bulletin de placement, qu’il présente au syndic des forts chargé d’assigner les places. Le pourvoyeur opère lui-même la décharge s’il s’agit de gros légumes ; le fort, moyennant un salaire fixe, lui prête son concours pour les sacs et les paniers. Il faut se hâter, la besogne presse, surtout lorsqu’à la saison des fraises les jardiniers forment une ininterruption jusqu’à Montrouge, et le carreau doit, à -cette époque de 1 année, être libre à neuf heures. Mais le fort des grands fruits ne plaint pas sa peine et plus d’un camarade envie son emploi. Le bénéfice annuel d’un fort est de 1,300à 3,000 fr. ; depuis 1864 une rente viagère de 600 fr. est allouée au fort âgé ou malade qui compte trente ans d’exercice et dont le service a été satisfaisant.

Il n’a été jusqu’ici question que delà corporation des forts proprement dits, qui compte cinq à six cents membres; mais les halles occupent encore d’autres manœuvres. Il y a des forts livreurs cl des forts de ville. Les forts livreurs, également privilégiés, sont en nombre limité comme les forts proprement dits ; ils sont médaillés et munis d’un certificat délivré par le commissaire do police. Ils reçoivent des forts la marchandise vendue par les facteurs ou les approvisionneurs. Les forts de ville sont les porteurs occupés dans Paris à décharger les farines destinées a l’approvisionnement des boulangeries. Le nombre n’en est pas limité; leur médaille doit être renouvelée annuellement par le commissaire de police ; leur travail n’est pas tarifé: ils traitent de gré à gré. Il ne leur est pas permis d’exhiber leur médaille sur le carreau et d’y quêter du travail. Pour qui n’est pas un habitué des halles, ils représentent le type classique du fort, à la belle carrure, il l’aplomb libre. Toutefois, les plus beaux spécimens de forts se trouvent aux halles, particulièrement aux pavillons de la volaille et des beurres. eux aussi portent ordinairement le chapeau aux larges ailes; ils passent de plus à leur cou le colletin de gros velours destiné, avec le chapeau frotté de craie, à empêcher les fardeaux de glisser. Ils conservent ainsi la liberté des mains et l’aisance rie l’allure; leur cou de taureau, leur puissante musculature, toute leur personne vigoureusement charpentée, quoique tassée, pour ainsi dire, par la pesée continuelle des lourdes charges, prouve la force ; la souplesse, l’élasticité des mouvements, l’adresse leur sont tout aussi nécessaires pour se faire jour, sans causer d’accidents, à travers l’encombrement et le tourbillon do notre gigantesque marché ; cariatides vivantes et mobiles, ils en sont les physionomies les plus frappantes. »

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Source :

Marcel Charlot – BNF – Gallica