Jean-Loïc Le Quellec, spécialiste de l’art rupestre saharien et directeur de recherche au CNRS, vient de déconstruire un mythe : celui de la Dame blanche de Namibie. L’abbé Breuil, antique référence en préhistoire de l’époque (78 ans), voyait dans un personnage au centre d’une fresque une sportive de l’Atlantide, venue de Crète minoenne, pour dominer les Noirs. Les années 1950, au sortir de la Seconde guerre mondiale, aspiraient à la paix et cherchaient dans l’histoire les valeurs féminines. Arthur Evans, britannique qui fouilla Knossos en Crète, féminisait ainsi les jeunes garçons aux poitrines lisses mais aux cheveux longs.
D’où l’idée mythique du matriarcat et des jeunes femmes de Crète égales des jeunes hommes dans les pratiques sportives. Les poètes prennent le relais des historiens et des anthropologues pour imaginer de toutes pièces une « Déesse blanche » (titre du livre de Robert Graves en 1948), une déesse mère d’avant le patriarcat monothéiste. L’Irlande celte, selon ce rêve, aurait été peuplée de matriarches, magiciennes venues de Grèce en fuyant une invasion syrienne vers 1450 avant. L’époque y voyait une sorte de revanche romantique contre la trop rationnelle technique, contre le pouvoir du mâle blanc dominateur et guerrier.
Or aucune trace d’un éventuel matriarcat n’est attestée dans l’histoire ni dans l’ethnologie. La filiation matrilinéaire oui (transmission de l’héritage par les femmes), mais non le matriarcat (pouvoir politique et religieux des femmes sur les hommes). Peut-être les temps préhistoriques des chasseurs-cueilleurs étaient-ils plus équilibrés en ce qui concerne la représentation symbolique des sexes ? Les dites « vénus » qui sont des femmes fécondes aux attributs outrés, répondent aux chasseurs ou « magiciens » qui affrontent, dans le réel ou l’imaginaire, les animaux puissants et nourriciers sur les parois des grottes.
Il est attesté aujourd’hui que l’infortuné Evans, issus des collèges anglais et archéologue de Knossos, s’est trouvé filouté par de géniaux faussaires qui suivaient simplement ses préjugés. Préférait-il les androgynes, « garçons effilés, à la taille mince et aux longs cheveux bouclés » ou les « filles sans poitrine se livrant à la tauromachie » ? Les faussaires les lui ont donnés. Soit par des statuettes inventées de toutes pièces, soit par la reconstitution de fresques hasardeuses pour ne pas dire imaginaires (voir l’illustration). Les hommes à cheveux longs étaient incongrus du temps d’Evans… ils le sont beaucoup moins après 1968 comme ils l’étaient beaucoup moins 1400 ans avant JC. Exit les garces minoennes comme la déesse blanche de Namibie, égarée depuis la mythique Atlantide.
A trop vouloir prouver, on tord l’observation scientifique pour réécrire l’histoire selon ses idées reçues. D’autres l’ont fait à propos des « races pures » ou de l’origine germanique des classes féodales en France. Ce qui est curieux est qu’il faille deux générations pour que l’information soit enfin admise, que le préjugé cède le pas devant la critique et qu’on accepte la déconstruction. Ces théories des années 1950 ont couru dans les manuels universitaires jusque dans les années 1980 et ce n’est qu’aujourd’hui – 30 ans plus tard ! – que l’on veut bien admettre qu’il s’agissait d’illusions idéologiques… J’ai moi-même eu fin 2003 en randonnée une discussion épique entre une féministe routarde ex-68 et un sympathique accompagnateur prêt à croire que tout le monde est beau, féminin et gentil.
Non, le matriarcat mythique n’a jamais existé dans les faits attestés. En cette période de célébration des femmes, il n’est pas inutile de le rappeler. Cela n’enlève absolument rien à la complémentarité des sexes ni au pouvoir du genre féminin. S’il apparaît peut-être moins politique, il n’en est pas moins réel. Nous sommes au XXIe siècle, ce n’est pas le passé reconstruit qui dicte notre conduite dans les affaires publiques, mais notre volonté. Le contrat social républicain rend égaux en dignité et en droits les deux (voire trois ?) sexes. Qu’il doive y avoir plus de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises, comme patronnes de PME, dans les instances politiques ou à la Présidence de la République, n’a rien à voir avec les faits de la science historique. Cessons de tenter d’inscrire dans l’immobilité éternelle ou génétique la volonté que nous avons de voir évoluer les mœurs !
Jean-Loïc Le Quellec, La Dame blanche et l’Atlantide Ophir – enquête sur un mythe archéologique, Actes Sud 2010, 404 pages
Compte-rendu dans La Recherche n°439, mars 2010, 6€ en kiosque
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