C'était difficile de publier un article depuis Dakar avec la délégation du Conseil Parisien de la Jeunesse partie la semaine dernière pour inaugurer et aider un cybercafé communautaire qu'il avait financé. L'emploi du temps du groupe avait une amplitude horaire qui laissait trop peu de temps au repos et aux activités personnelles. Je vais en profiter maintenant pour réfléchir aux quelques enseignements possibles lors d'un séjour d'une semaine à Dakar, une semaine bien courte au vue de la vivacité de ce coin du monde. On a à peine le temps de s'habituer à la Teranga sénégalaise qu'il faut déjà partir.
Première surprise en arrivant à Dakar, c'est la manière dont les Dakarois conduisent. C'est frappant de voir combien ils conduisent bien mieux que les Français, plus lentement et tellement plus détendus. Durant tout le voyage, je n'ai d'ailleurs vu qu'un seul accident alors que j'aurais pu en voir dans la même période au moins deux ou trois autres si j'étais resté à Paris. J'ai aussi remarqué peu de Dakaroises au volant, certainement la marque des traditions. À part les taxis quand ils voient des blancs, peu de sons de klaxon sse font entendre : peu stressé, moins égoïste, chaque conducteur semble respecter davantage ses voisins et la conduite plus lente est aussi moins dangereuse.
Puis on se rend compte que le ciel est aussi bleu qu'à Paris. C'est-à-dire pas vraiment bleu. Ce bleu très pâle n'a rien à voir avec le bleu de la Côte d'Azur alors qu'à Dakar nous sommes aussi à côté de la mer : la pollution paraît donc équivalente à celle de Paris.
Tous les jeunes relais du Kpote Kiosque ont été très mobilisés durant toute la semaine pour nous accompagner et nous montrer, concentrées sur une semaine, toutes les activités organisées tout au long de l'année. Si pour nous le choix d'aider la luttre contre la propagation du VIH participait plus à un effet de mode qu'à une réelle réflexion, nous avons pu en apprendre davantage sur le contexte dakarois. La prévalence est faible, juste le double de celle de la France mais ce pays fait face à d'autres défis.
La promotion du préservatif doit toujours se prémunir de la critique de l'incitation à la débauche. C'est pour ça qu'il était inenvisageable d'aller distribuer des préservatifs (sans compter qu'en plus nous ne sommes pas sénégalais). On aperçoit aussi l'intérêt des tests rapides utilisés depuis des nombreuses années au Sénégal alors qu'on vient tout juste de l'expérimenter en France. Enfin, comme de nombreuses personnes l'ont remarqué, il est curieux d'avoir choisi le VIH alors que la paludisme est de loin le virus le plus mortel au Sénégal.
Au-delà de ces remarques sur le contexte sénégalais, notre petit projet tournait plus autour de la création du cybercafé. L'idée venait des jeunes relais eux-mêmes et à part les problèmes de maintenance habituels pour le commencement, tout devrait bien se passer une fois que tout sera rôdé. J'ai été d'ailleurs étonné de voir à quel point les jeunes sont aussi en pointe que nous sur les nouvelles technologies avec le nombre de réunions qui commencent par des powerpoints.
Par contre, je suis un peu plus réservé sur l'impact de ma formation de formateurs pour animer le cybercafé. J'avais en tête de former des personnes-ressources pour qu'elles puissent organiser des formations d'initiation à Internet (création d'adresse électronique, recherche en ligne,...). Finalement, je me suis consacré à la création de blogs, ce qui est aussi utile, mais cela ne va pas contribuer à fidéliser des visiteurs dans le cybercafé.
Dans le contexte mondial, il est cependant important de mieux redistribuer le pouvoir de diffuser de l'information. Un moyen d'éviter les clichés sur l'Afrique est de faciliter la prise de parole des gens. Les blogs contribuent à cela à France et je n'ai même pas eu le temps de me renseigner sur ce qu'il se fait au Sénégal. Une autre initiative est développée par Enda autour de la formation de jeunes journalistes citoyens sénégalais. Je leur ai parlé du coup de la réalisation des films des téléphones portables avec le festival Pocket Films. Chaque mois, cet outil démontre la capacité de démocratiser l'information et la capacité de filmer.
La rencontre avec Enda a été formidable : leur conception du changement participatif converge avec tout ce qui m'intéresse sur Paris. Ils nous ont bien mis en garde sur le contexte de la société sénégalaise, le fait qu'il fallait renégocier le contrat social, et accepter les valeurs, l'innovation pédagogique.
Les gens qui composent ce réseau semblent faire un travail exceptionnel sur le renforcement des capacités (empowerment) et j'ai bien senti qu'il y aurait tant de choses à apprendre auprès d'eux (comme volontaire comme le soufflait l'ambassade ?). Notamment sur l'évaluation, nous avons une discussion à table sur la nécessité d'organiser des évaluations non-formelles, en misant sur le caractère convivial. Leur boutique d'objets issus du recyclage nous a par ailleurs mené à nous interroger sur ce qui est attendu de nous : lorsqu'il s'agit d'acheter "solidaire", on ne sait plus s'il faut recommencer le rituel de la négociation des prix.
Toutes les associations rencontrées font à la fois un vrai travail de terrain, mènent des réflexions, et il y a cette attention portée à l'informel qui me ravirait si elle n'était pas en lien direct avec un État-providence faible. Au lieu du défaitisme, les Sénégalais montre une certaine vivacité dont on manque un peu en France.
Durant ce séjour, il y a eu des moments d'apprentissage pour comprendre un peu mieux ce pays et l'impact de notre projet, il y a eu des moments d'enseignements autour du cybercafé, ainsi que des moments surréalistes et des moments de grand embarras.
Quelles perspectives ?
La fin du séjour n'avait pas que le parfum de la nostalgie : Mass Kodjo de l'association Action pour le Civisme et la Citoyenneté nous explique que la grande majorité des Français une fois repartis en France ne donnent plus de nouvelles. C'est d'autant plus injuste qu'il se donne beaucoup de mal pour nous accueillir, nous accompagner (sans d'ailleurs qu'on se préoccupe trop de savoir à quel point on perturbe sa vie personnelle). C'est ce même regard que j'ai eu aussi l'impression de retrouver avec les personnes du Kpote Kiosque venues nous souhaiter un bon voyage à l'aéroport. Puisque cette méfiance doit être justifiée, j'espère que nous serons plusieurs du groupe à faire mentir cette réputation d'égoïsme.
Tout cela me rappelle la critique du tourisme occidental : on consomme de l'exotisme, puis tout part à la poubelle. Cependant nous ne sommes pas partis faire du tourisme.
À court-terme, il y a une multitude d'initiatives que certains membres du Conseil Parisien de la Jeunesse pourront aider autant que possible à distance. Durant toute la semaine, je me suis demandé si d'une part l'objectif principal du voyage a été réussi : est-ce que le cyber est bien parti pour assurer la pérennité des activités du centre communautaire ? Pleins de petits détails qui renforcent ou diminuent la pertinence du projet sont apparus durant notre séjour. Ce sont ces petits détails qui montrent combien nous étions en décalage en pensant "depuis Paris". Une visite intermédiaire aurait permis d'affiner les besoins bien davantage. Quand on voyage, il y a les effets non-prévus, les rencontres qui nous aident à percevoir d'autres limites de ce petit projet.
A moyen-terme, difficile de ne pas prévoir d'y retourner. Une semaine à Dakar ou ailleurs, on réalise qu'on ne peut pas construire grand chose sans connaître les habitants. Je considère a posteriori cette petite expédition comme une visite de faisabilité. C'est pour cette raison que j'ai acheté une carte de Dakar et un dictionnaire wolof-français.
L'idée de réaliser un volontariat (d'ici mes 28 ans donc) va continuer de me trotter dans la tête.