« Absence prolongée oui, mais pour mieux retrouver une forme de présence intérieure ! »
Un matin, le besoin de gratter la surface camouflée par le quotidien devient une nécessité impérieuse pour sa propre survie.
La pression se fait si forte qu’on peine à ne pas perdre de vue le principal, ce qui nous ancre dans la réalité : respirer en pleine conscience, contempler les nuages galopant dans le ciel ou prêter attention aux nuances du soleil pendant sa course diurne.
Etouffé à petit feu par les convenances et le tourbillon du quotidien artificiel, on finit par se retrouver prisonnier d’un carcan insidieux façonné par la société. Son armature blessante se fond dans notre propre chair et se gorge goutte après goutte à la source de la sève écarlate, tiède et au goût âpre.
La réalité apparait dans sa nudité salace, dévêtue de ses beaux habits menteurs : se faire berner par les flagorneries de ceux qui vous manipulent pour mieux servir leur ambition et leur dessein crasseux.
Ces derniers temps, la carapace déjà très amincie a cédé. De larges plaques se sont détachées, laissant apparaître le pâle épiderme. Des doigts nerveux ont arraché les derniers lambeaux qui bloquaient la pleine respiration.
Tout était là, finalement. Juste en dormance, prêt à émerger de sa torpeur.
Captive au bois dormant, j’ai été saisie par la léthargie mais dans un sursaut, je me suis souvenue de ce que j’ai oublié.
L’oubli de tout, de moi, de vous, d’eux, comme de l’oubli de la vie.
Mais aussi…
…j’ai oublié de regarder la plantule qui perce sa graine et qui, millimètre après millimètre, s’épanouit jusqu’à faire exploser ses cellules dans l’ivresse de la vie.
J’ai oublié de me perdre volontairement dans mes chères montagnes alpines, de suinter le long des roches enneigées puis de m’infiltrer dans les gouffres les plus obscurs.
J’ai oublié de respirer, cacher sous l’écorce d’un arbre centenaire et de plonger mes mains dans la terre fraîchement retournée pour goûter au festin sauvage.
J’ai oublié de laisser mon manteau ouvert au vent frais. Il n’est pas venu saisir mon épiderme pour mieux me laisser profiter de l’engourdissement de la chaleur du foyer retrouvé.
J’ai oublié de mettre mon esprit à l’unisson des rires des enfants. Alors, ils se sont tus avant de se muer en pleurs.
J’ai oublié d’être la vibration primale de la colonne d’air qui anime le long tube de mon didjeridoo et j’ai oublié de répandre la chanson de terre-mère.
J’ai oublié de me laisser emporter par les notes de la voix surpuissante et musquée d’un ténor magnifiant un opéra italien… « la donna e mobile… » : je l’ai oublié également.
J’ai oublié d’être l’encre d’où jaillit la fable des terres oubliées et qui macule les doigts plus surement que le fiel de la vieille sorcière.
J’ai oublié de feuilleter Le Livre et de m’accrocher à ses pages avant qu’il ne prenne son envol.
J’ai oublié d’être la flamme qui vacille sous la brise, manque de s’évanouir dans le néant mais qui pétille de plus belle, la vigueur revenue.
J’ai oublié d’évacuer le trop-plein de vide, celui qui aspire l’existence.
J’ai oublié d’être pour moi, pour vous, pour eux, pour la vie.
Après ces temps passés au bois dormant, j’ai senti le baiser du réveil et de l’éveil des sens.
J’ai ouvert les yeux, j’ai cligné, les paupières alourdies. C’était presque douloureux après cette période de dormance.
Mais… vous êtes là ? Et moi aussi.
Je ne me suis plus vue depuis une époque si lointaine et je n’ai pas plus eu le loisir de vous rencontrer.
Respirons ensemble si vous le voulez bien.
Votre souffle est délicieusement chaud et enveloppant, le mien est encore un peu tiède…