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Projection et idiorythmie

Publié le 08 mars 2010 par Marc Lenot

Comment nommer une exposition de photographies où on ne voit pas de tirages, mais seulement des projections de diapositives aux murs ? Après la première surprise, on se souvient des projections de photos sur plaques de verre aux débuts de la photographie, ou du contexte académique quand des photographes y présentent leur travail à des étudiants, ou des conférences-performances de Pierre Leguillon. Dans une salle obscure, quatre projecteurs montrent une quarantaine d’images de Valérie Jouve : c’est l’exposition annuelle des étudiants du Master ‘curatorial’ de l’université de Rennes, qui chaque année, présentent le travail d’un artiste (précédemment Martha Rosler, Victor Burgin, Christian Marclay et Sarkis) et publient à chaque fois un livre dense sur le sujet. Et l’exposition a pour titre ‘Expositions temporaires’ (jusqu’au 9 avril).*

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Ici, le parti-pris a donc été de montrer ces images dématérialisées dans une semi-obscurité, comme des fenêtres lumineuses au mur. On y voit bon nombre des photographies d’architecture et de passants qui ont rendu Valérie Jouve célèbre. On y voit aussi pour la première fois ses récentes photographies de Jérusalem et de Palestine qui seront dévoilées au Centre Pompidou en juin (et ce sera alors l’occasion, plus qu’ici, de vraiment parler de son travail). Sans Titre (Les Figures, avec Mourad Bougherra), 2003.

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Forcément, au milieu de ces quatre projections, le spectateur s’interroge sur l’enchaînement des images, sur leur durée de projection, sur l’entre-temps qui en ressort. Et c’est là que le regard tant soit peu attentif, voyant la même image sur un mur, puis sur un autre, mais précédée d’une autre ou restant ici plus longtemps projeté que là, commence à questionner le dispositif, à tenter de déceler des séquences, des affinités. Sans titre (Les Paysages), 1997.

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En fait, chacun des treize étudiants du Master a conçu son propre enchaînement à partir de tout ou partie des quarante images, a réalisé son propre montage, parfois apparemment logique, parfois passant par des chemins détournés, a instauré son propre rythme, parfois nerveux et vif, parfois plus contemplatif. Et ces treize séquences, qu’on ne saurait identifier précisément, mais dont on perçoit les existences séparées, se succèdent sur chacun des projecteurs dans un ordre toujours différent. Sans Titre (Les Façades), 2001/2002.

Etrangement, il m’est alors revenu un souvenir de la règle monastique idiorrythmique aux premiers siècles du christianisme, règle que cénobites et bénédictins épris d’ordre et de discipline ont vite fait disparaître : idiorrythmique (ou idiorythmique) désigne un système où chacun suit son rythme propre, où les moines mènent une vie solitaire de prières, mais se retrouvent parfois pour une liturgie commune, où il n’y a pas d’abbé, mais seulement des anciens. Ce concept religieux oublié fut redécouvert par Roland Barthes dans sa leçon inaugurale au Collège de France ; il s’applique fort bien à la danse postmoderne américaine (Deborah Hay par exemple).

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Dans cet exercice d’exposition rennais, il m’a semblé qu’on pouvait retrouver cette liberté au sein d’une communauté, cette dimension collective laissant s’épanouir les créations individuelles : chacun apporte sa couleur propre à la partition commune.

Un voyage à Rennes est aussi l’occasion de voir un autre travail de Valérie Jouve, au tréfond du parking Charles de Gaulle : ensemble de panneaux décomposant l’image d’un arbre devant un immeuble, avec cette discrète mention en bas à gauche.

* Leurs collègues à l’Université de Sud Californie, eux, réaccrochent les collections du musée.

Photos 1, 2 et 3 courtoisie du Master Professionnel Métiers et Arts de l’Exposition, Université Rennes 2 - Haute Bretagne et Galerie Xippas. Photo 4 de l’auteur. Valérie Jouve étant représentée par l’ADAGP, les reproductions seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.


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