Je vous fais part de l’entretien auquel j’ai assisté.
Ce qui l’a menée à la politique
Cécile Duflot s’est tout d’abord intéressée à la vie de sa commune. En effet, Villeneuve Saint-George a la particularité d’être située à côté de l’aéroport Charles de Gaulle, en zone inondable et à côté d’un centre de tri. Elle s’est rapprochée des Verts locaux et était deuxième de liste pour l’élection municipale, mais n’a pas été élue.
Elle a adhéré au parti des Verts en 2000, a participé à un poste opérationnel, puis s’est portée candidate au secrétariat des Verts, qui ont voulu une nouvelle figure pour les représenter. Après une période difficile de 10 ans pour les Verts, les élections européennes ont été la consécration du regroupement Europe Écologie.
Faut-il être utopiste pour entrer chez les Verts ?
Avoir un idéal demeure nécessaire pour que la société aille dans le bon sens : partager les richesses, s’entraider, vivre confortablement et durablement sur Terre… Mais il faut savoir devenir pragmatique pour progresser sur des sujets comme la santé ou les retraites. Certaines utopies sont déconnectées de la réalité : en 2000, on ne parlait que de la nouvelle économie virtuelle ; cette utopie était déconnectée du réel et ce monde s’est écroulé.
Par ailleurs, l’engagement politique n’est pas réservé à des syndicalistes étudiants ou de métier ; plutôt que de considérer la politique comme une carrière, il vaut mieux exercer un métier à côté. Mais l’engagement associatif de jeunes tels que Julien Bayou – Jeudi Noir et Génération Précaire – , Safia Lebdi – Ni putes ni soumises – , ou Augustin Legrand – Les Enfants de Don Quichotte – , peut se transformer en engagement politique (ils ont rejoint la liste Europe Écologie Région Île-de-France).
Est-ce plus dur de faire de la politique en tant que femme ?
La parité est obligatoire chez les Verts depuis longtemps, ce qui facilite les choses. Dans notre société actuelle, il faut lutter pour faire admettre que l’on peut tout avoir et tout faire, à condition de s’organiser et de partager les tâches au sein du couple. Élizabeth Badinter se trompe donc de combat quand elle affirme que l’écologie traduit un recul des droits de la femme.
La loi sur la parité est bonne rétrospectivement : même si elle applique une sorte de discrimination positive, on constate que la mixité change l’atmosphère. Les réunions entre hommes seulement, qui aiment se mettre en valeur et rivaliser, sont beaucoup plus pénibles. Malheureusement, on constate que si la parité n’est plus imposée, elle n’est plus respectée.
La vie politique actuelle : exécutif fort, cumul des mandats, abstention…
On vit une personnalisation extrême de la vie politique et une obsession pour l’élection présidentielle. On parle déjà de la présidentielle de 2017 ! La France a un taux de cumul des mandats de 83% chez les parlementaires, un record en Europe. Le pouvoir exécutif est très fort, avec en plus des barons locaux qui empêchent le renouvellement. Cette situation n’est pas saine ; le cumul devrait être limité, voire interdit. Si Cécile Duflot est élue à la région Île-de-France, elle quittera son poste de maire-adjointe.
Aujourd’hui, les jeunes se désintéressent de la politique, qui n’est plus aussi valorisée qu’avant. Mais le pire danger, c’est le cynisme et le renoncement. Il faut prendre sa place dans le débat en votant, participer à la vie citoyenne… L’écologie est un problème de société global !
Les Français ont-ils compris l’urgence écologique ? Sont-ils prêts à sacrifier une partie de leur confort, à retourner en arrière ?
Les Français ressentent déjà les effets de la pollution : l’asthme, favorisé par la pollution (particules fines émises par le transport routier), a augmenté de 40% depuis 15 ans ; le nombre de cancers s’accroît…
Ce qu’il faut comprendre maintenant, c’est que l’écologie peut se vivre à confort égal. Car vivre dans un bâtiment bien isolé sans chauffage est économique et procure le même confort. Et quand on travaille près de son lieu d’habitation, on diminue le temps passé dans les transports. Enfin, l’écologie n’est pas un retour à l’âge des cavernes : les écologistes sont favorables au progrès et à la recherche, si cela permet l’amélioration de la qualité de vie pour tous.
En proposant le Grenelle de l’environnement et le paquet énergie-climat, le gouvernement ne se met-il pas à l’écologie ?
Seul le Grenelle I, qui ne contient que des intentions, a été voté. Même s’il a eu le mérite de commencer les discussions, dans les faits il apparaît plutôt comme une pure opération de communication, cachant un immobilisme et un manque de volonté. Ainsi le fret ferroviaire a été amputé, la prime à la casse est une opération totalement anti-écologique et les aides à l’isolation du logement restent faibles. Quant au Grenelle II, qui comporte les actes, on attend toujours qu’il soit voté… Pour que celui-ci soit vraiment efficace, il faudrait se concerter avec les plus gros pollueurs – sidérurgistes, entreprises de raffinage, transporteurs – pour arriver à des solutions concrètes.
Plus grave encore, la contribution climat-énergie est stupide si elle exonère les pollueurs, affecte les ménages les plus pauvres et promeut le chauffage électrique – cet hiver, on a dû importer de l’électricité malgré notre parc nucléaire. Il faut une contribution directement adaptée, affectée aux bonnes économies d’énergie. La taxe carbone qui se prépare est donc injuste socialement et mauvaise écologiquement.
Et en matière d’énergies renouvelables, il y a d’énormes progrès à faire. On est le seul pays au monde aussi nucléarisé. Problème : les ressources d’uranium vont sans doute disparaître dans 80 ans. Les surrégénérateurs, censés réutiliser plusieurs fois les ressources radioactives, sont inactifs parce qu’instables. Mais contrairement à l’Espagne, nous tardons à rattraper notre retard dans la production d’énergies renouvelables. Notre potentiel éolien et photovoltaïque est pourtant énorme : il y a toujours du vent sur au moins un de nos trois bassins éoliens. La commission énergie des Verts explique bien la situation.
Enfin, le sommet de Copenhague était un échec prévisible car les dirigeants manquaient d’écologistes convaincus. Ils n’ont eu le courage de prendre des décisions exigeantes et nécessaires. Il est difficile de ne pas être catastrophiste devant la gestion des risques par nos gouvernants : en 2007, le Président de la République voulait assouplir les règles de construction dans le littoral. Après la tempête Xynthia, il s’indigne désormais devant les constructions en zone inondable…
Europe Écologie, à droite ou à gauche ? Qu’est-ce que ça change par rapport aux Verts ? Allez-vous vraiment emporter des régions ?
Le problème avec la vision de droite, c’est qu’elle favorise la compétition, le libéralisme et la dérégulation. Or, le marché est incapable de gérer le moyen terme et le long terme. Il y a donc une obligation de régulation pour garantir un équilibre social et écologique. C’est pourquoi Europe Écologie se place naturellement à gauche.
Europe Écologie, c’est la capacité de mettre en route un réseau de gens qui ne se reconnaissent pas forcément chez les Verts, mais qui veulent agir face à l’urgence écologique. Cette dynamique pragmatique dépasse les partis, mais n’est pas toujours facile à gérer. L’élément fédérateur, c’est l’élaboration d’un projet politique commun, non la réalisation d’une ambition présidentielle qu’on constate dans d’autres partis. Les Verts, qui furent longtemps une force d’appoint, sont aujourd’hui en avance et en action ; ils rééquilibrent la vie politique.
Dès lors, les listes Europe Écologie sont candidates pour arriver en tête : elles ont le potentiel pour mettre en oeuvre des solutions concrètes, comme doubler le programme pour les logements. Au second tour, il sera toujours possible de fusionner avec la gauche. Les voix obtenues au premier tour permettront alors de peser dans les solutions.
Le projet d’Europe Écologie pour la région Île-De-France comporte beaucoup de dépenses. Où se trouvent les ressources nécessaires ?
La région Île-De-France, c’est 8,5 milliards d’euros de budget, avec des politiques élus pour 4 ans. Les surfaces agricoles recouvrent 50% de la région. La région gère les lycées, la formation et les transports. Avec la clause de compétence générale, il est normalement possible d’intervenir sur d’autres activités (logement, culture…). Cependant, la réforme des collectivités a obligé les régions à se recentrer sur ses compétences.
Il est possible de mieux orienter ces investissements pour préparer l’avenir et vivre durablement sur la planète. L’éducation et de la formation sont des postes prioritaires. Comme la taxe professionnelle n’existe plus, il ne reste malheureusement que la carte grise comme impôt. Et les régions, bien qu’efficaces dans leurs dépenses, vont être privées d’initiatives fiscales.
Qu’en est-il des transports ? Que pensez-vous d’un péage urbain comme à Londres et à Stockholm ?
Le déplacement de banlieue à banlieue demeure le problème principal. 1,2 millions d’usagers transitent chaque jour par le RER A, ce qui en fait la ligne la plus saturée au monde ; elle est en limite de charge et souffre de sous-investissements depuis 30 ans. Le même problème se pose pour les voitures, parce que la capitale est devenu un passage obligé pour de nombreux routiers.
Le péage urbain n’est donc pas une solution : il faut plutôt construire des alternatives avec un réseau périphérique. Pour rénover les transports, la région a la possibilité de souscrire à un emprunt de 500 millions d’euros, mais il s’agit d’un long chantier. Par contre, développer les autoroutes demeure un combat d’arrière-garde ; on ferait mieux d’affecter ces investissements aux transports en commun.
Le trafic des voitures a baissé de 20% en 5 ans à Paris. On peut progresser encore plus avec l’autopartage, où l’on met des véhicules à disposition dans chaque quartier. Ce système est plus efficace et moins coûteux que l’autolib’ – analogue au vélib’ mais pour les voitures.
L’agriculture : le Salon et les OGM
Le Salon de l’agriculture, représentatif de l’agriculture productiviste telle que pratiquée actuellement en France, est un drôle d’exercice pour les politiques. Auparavant les agriculteurs lançaient des tomates sur les écologistes ; maintenant ils viennent les voir après avoir accepté le surendettement, les centrales d’achat et la gestion externe de leurs cultures.
La Commission Européenne a autorisé dernièrement la pomme de terre OGM AMFLORA, dont la seule valeur ajoutée réside dans sa concentration en amidon. Il existe pourtant d’autres variétés non OGM aussi riches en amidon, qui elles ne présentent pas de risque écologique ! Mais les lobbys agro-industriels ont plus de poids que les écologistes pour persuader les instances européennes.
Nous sommes dans une logique productiviste : obsolescence programmée, désir suscité chez le consommateur… On a développé nos capacités de production à un point tel qu’on est obligé de stimuler le besoin pour entretenir la production. On atteint à présent les limites d’un système contraire aux logiques de recyclage et de biens durables.
L’individu face à l’écologie
L’écologie, ça n’est pas que l’environnement. C’est aussi la question de l’égalité des droits et du partage des richesses ; le paquet fiscal renforce les inégalités. On doit inverser la tendance et mettre en place un revenu minimum et un revenu maximum.
En outre, quand on considère les problèmes de chauffage et de santé, on constate que les principales victimes de la crise économique sont aussi victimes de la crise écologique… Il est important de mettre rapidement en place des solutions pratiques, comme investir sur fonds publics pendant 10 ans pour isoler les copropriétés, ce qui n’affectera pas le revenu des ménages.
Pour plus d’information, je vous invite à lire le programme d’Europe Écologie pour la région Île-De-France. Et si cet article vous a plu, je vous invite à lire ma synthèse de la conférence « Croissance verte, mythe ou réalité ? », qui réunissait la secrétaire d’État Nathalie Kosciusko-Morizet, l’ancien député européen des Verts Alain Lipietz, le directeur général de Véolia Propreté Denis Gasquet et l’économiste Pierre-Noël Giraud.