La Culture représente 5 % du budget de la région, mais où est-elle présente dans la campagne que vous menez actuellement pour les prochaines élections ? On en entend que peu parler depuis le début de la campagne…
Jean-Paul Huchon : J'ai fait, pour ma part, plusieurs sorties culture. Et vous pouvez voir, dans mon programme, qu'elle prend une place importante. Mais j'entends ce que vous dites. En effet, ce qui inquiète les Franciliens aujourd'hui c'est l'emploi, les transports et le logement. Je les comprends. Depuis 2004, nous avons beaucoup parlé avec les professionnels de la culture. Ils nous connaissent, ils connaissent mon bilan et notre action. Je sais qu'ils ont eux aussi des difficultés, que certains artistes connaissent des situations de grande détresse. J'essaie, avec notre projet, de les aider plus encore.
Le secteur du livre se porte très bien, assurent les éditeurs, mais les libraires, pour leur part accusent de plus en plus le coût des hausses de leurs charges. Que peut faire la Région pour leur venir en aide ?
Jean-Paul Huchon : D'abord, le secteur ne se porte pas si bien, et vous êtes bien placé pour le savoir. Beaucoup d'éditeurs indépendants souffrent, et ils constituent pourtant le vivier de la diversité culturelle. Les auteurs ne vivent pas de leur plume et n'ont pas les droits qu'ont les salariés. Notamment pour la formation professionnelle, même si, avec le MOTif et la Région, nous avons mis en place un nouveau dispositif de formation pour les auteurs. Les premières formations auront lieu en avril.
Je crois que les libraires doivent être le coeur de notre politique en faveur du livre. Aussi ai-je inscrit dans mon programme que je voulais mettre en place un mécanisme d'aide aux loyers des librairies et un mécanisme de caution régionale des emprunts bancaires des libraires. J'ai aussi annoncé que je créerais un poste de développeur de la librairie en Île-de-France, c'est-à-dire une personne qui sera spécifiquement chargée de suivre les problèmes de transmission et de reprise des librairies, complexes comme j'ai pu le constater à Bourg-la-Reine, de formation des libraires et de création de nouvelles librairies.
« Je crois que les libraires doivent être le coeur
de notre politique en faveur du livre. »
Je veux que le MOTif soit maître d'oeuvre de notre politique de soutien aux libraires, en lien étroit avec le service livres de la Région. J'ai bien conscience que cela supposera des moyens importants pour la librairie : j'y suis prêt.
J'aimerais que le gouvernement, lui, réponde pour ce qui le concerne aux difficultés du livre. Il n'y a toujours pas de loi sur le prix unique du livre numérique et on ne voit absolument rien venir non plus sur un lobbying auprès de Bruxelles pour que le livre numérique bénéficie d'une TVA à taux réduit.
Pourtant, Madame Pécresse siège au gouvernement. Si elle veut réellement que les choses bougent pour les libraires et les éditeurs d'Île-de-France, elle n'a pas besoin de faire des promesses de candidate. C'est comme ministre qu'elle peut conduire ces combats au sein du gouvernement Fillon. Que ne le fait-elle pas ?
Au cours de vos années de présidence de la Région, comment le milieu a-t-il évolué : plus de librairies, de bibliothèques ou d‘éditeurs même ? Et quid du lectorat de la région Île-de-France ?
Jean-Paul Huchon : Écoutez, je n'ai pas l'habitude d'être un démagogue. Je ne vous dirai jamais que le livre va mieux grâce à la seule action de la Région. Le livre va bien si les gens lisent des livres, si de bons livres sont écrits, se publient et se vendent.
Mais ce qui est vrai, c'est que la Région a eu une vraie influence sur les bibliothèques. Quand je suis arrivé, j'ai constaté que nous étions sous-équipés. Alors, j'ai décidé d'aider les communes à bâtir des médiathèques. Nous sommes la seule Région de France à le faire, il faut le savoir. Et aujourd'hui, nous avons rattrapé à peu près notre retard. Maintenant, nous devons réfléchir avec les communes, les bibliothèques départementales, les bibliothécaires, à l'arrivée du numérique. Je voudrais que la Région Île-de-France soit à la pointe de la numérisation dans les bibliothèques.
Vous savez, le service livres de la Région Île-de-France a beaucoup œuvré pour la chaîne du livre. Et je constate que nous avons permis, avec notamment l'expertise de l'ADELC, l'ouverture de nombreuses librairies. Je constate que nous avons permis à une centaine d'éditeurs d'Île-de-France d'aller au Salon du Livre de Paris chaque année. Je vois que le service livres et le MOTif préparent ensemble une présence des éditeurs franciliens à Francfort. Alors, certes, il faut rester modeste, mais c'est vrai : nous avons vraiment agi pour le livre en Île-de-France.
C’est pour cela que le maintien de la clause de compétence générale et des moyens inhérents sont nécessaires. C'est parce que cette politique est fondamentale que je veux la poursuivre et l'amplifier.
En matière de politique du livre, quel est votre positionnement
concernant le livre numérique. Quelle place prévoyez-vous de lui accorder ?
Jean-Paul Huchon : Je suis comme tout le monde. Je sais, je vois qu'une révolution se prépare ; je sais, je vois qu'elle sera un changement d'ère peut-être aussi important que Gutenberg, mais je ne sais rien de plus. Nous devons revendiquer, en matière de numérique, le droit au tâtonnement et le droit à l'erreur.
Nous avons axé toute notre politique du livre sur le maintien d'une diversité culturelle, une forme de résistance à l’uniformisation. Moi, même si je fais la différence entre Gallimard et Hachette, évidemment, je ne pense pas qu'Antoine Gallimard ait besoin des aides de la Région. De notre lobbying, oui, évidemment. De l'aide que nous pouvons éventuellement apporter à des projets structurants pour le métier, comme le portail des libraires indépendants, oui, évidemment. Mais de nos aides directes, non.
En revanche, nous pouvons agir dans le domaine du numérique de deux manières, au-delà d'un soutien que je tiens acquis de notre part au portail de la librairie indépendante et de notre priorité, que je viens de rappeler, à la numérisation en bibliothèque.
D'abord en prenant en compte le besoin de formation des professions du livre, notamment des éditeurs indépendants et des libraires, sur ces questions du numérique. Faire un fichier numérique s'apprend.
« La révolution numérique ? Je sais, je vois qu'elle sera un changement d'ère peut-être aussi important que Gutenberg, mais je ne sais rien de plus. »
Ensuite, en inventant un lieu d'expérimentation du livre numérique en Île-de-France, sans doute piloté à la fois par le MOTif, le pôle de compétitivité Cap Digital et la future Agence régionale du Numérique, qui permette de financer les expériences pilotes dans ce domaine. Il ne s'agit pas pour moi seulement de financer des liseuses ou des applications Ipad, même si je ne l'exclus pas, de sociétés franciliennes. Il s'agit aussi, pour prendre des exemples, de pouvoir soutenir de nouveaux modèles économiques comme celui de François Bon et de Publie.net, éditeur en ligne, ou comme la librairie en ligne Bibliosurf. Je ne sais pas encore comment cela doit précisément prendre forme, mais je m'engage, dès le début du mandat, à réunir, autour du MOTif et du service livres de la Région, ceux qui font pour inventer avec eux notre plateforme d'expérimentation.
Parmi les compétences de la Région, on retrouve la mise en valeur des archives régionales : les questions de numérisations du patrimoine sont-elles à l'ordre du jour dans votre programme culturel ?
Jean-Paul Huchon : La Région a en charge l'inventaire du patrimoine. La numérisation du patrimoine écrit, elle, existe dans certaines régions grâce aux contrats de Plan signés avec l'Etat. En Ile-de-France, nous n'avons pas contractualisé sur ce sujet ; nous n'avions alors pas de politique du livre. Je le regrette et je suis prêt, si l'État nous saisit de cette question, à étudier ce que nous pourrions faire ensemble. Je voudrais pouvoir aller, comme c'est par exemple le cas en Aquitaine, vers une banque numérique du savoir régional. Pour moi, on ne peut pas se contenter de passer par Google et s'en laver les mains. Le patrimoine est notre bien commun, il ne peut pas appartenir à une société privée, si puissante soit-elle.
Que (re?)lisez-vous actuellement - question en passant… ?
Jean-Paul Huchon : Récemment, j'ai beaucoup offert Shutter Island, de Lehane, que j'avais beaucoup aimé. Sinon, en ce moment, j'ai très envie de relire le Monde Perdu de Joey Madden, de David Payne, une oeuvre formidable sur ce que vieillir peut vouloir dire, soudain, un jour. Et aussi sur comment l'amour ne suffit pas, parfois. Un de mes collaborateurs m'a offert l'autobiographie de Johnny Cash, je me la garde pour après la campagne. Et j'ai lu le livre de Cécile Duflot aussi. Cela m'a beaucoup plu. Je ne suis pas d'accord avec tout, mais c'est un engagement sincère, fort, une personnalité courageuse et opiniâtre qui se découvre dans ces pages.
Comment considérez-vous place de Mme Pécresse, ministre de
l’Enseignement supérieur, dans le gouvernement Fillon pour ces élections ? Avantage ou nuisance ?
Jean-Paul Huchon : Ben, vous voyez, elle, je n'ai pas lu son livre... Cela répond à votre question, non ? (rires).
C'est mon adversaire, j'affronte quatre ministres en Île-de-France, le Président de la République s'est engagé personnellement dans la campagne francilienne. Ma foi, j'ai le dos large, un bon bilan et un excellent projet. Alors, qu'elle soit ministre ou pas, pour moi...