Je m'étais résolu à ne pas écrire d'article sur le procès d'Yvan Colonna avant son terme afin de ne pas participer du climat passionnel qui ne manque pas d'accompagner ce type de rendez-vous judiciaire exceptionnel. Et fort heureusement, la constitution d'une cour d'assise spéciale n'est pas chose ordinaire en France.
J'ai changé d'avis à l'écoute de la chronique du 14 novembre dernier d'Alexandre ADLER sur France Culture intitulée « La France au cœur du cyclone ». Ce dernier l'a en effet conclue sur l'idée qu'il était « nécessaire » de condamner Yvan Colonna afin d'éviter une radicalisation de la jeunesse corse.
Qu'une personne aussi avertie qu'Alexandre ADLER se commette dans de tels propos en dit long sur les confusions qui se font jour dès lors qu'un procès prend une telle dimension et qu'on le charge de symboles qui lui sont extérieurs.
Je ne commettrais donc pas l'erreur de commenter l'analyse des conséquences de la décision à venir sur la situation interne de la Corse car c'est justement ce lien que je voudrais dans un premier temps critiquer avant d'élargir la question à ce que doit être la justice pénale.
Le vice initial qui participe de la confusion qui a régné sur le premier procès dit « Erignac » et qui risque de ternir également celui d'Yvan Colonna réside justement dans le fait que l'on confère au procès pénal une portée qu'il ne doit pas avoir. La justice ne doit jamais faire d'exemple mais elle doit être exemplaire. La justice ne doit pas être un instrument de politique.
Dès lors que l'on veut juger pour l'exemple, on déjuge, voir on commet l'injustice.
Dans ces conditions, peu importent les conséquences de la décision judiciaire. Elles n'ont en aucun cas à être prises en considération dans l'œuvre de vérité que constitue le procès d'un homme.
Peu importe également, au risque de choquer, la douleur de la victime.
Il convient de rappeler que le procès pénal n'est pas le procès de la victime mais bien celui du prévenu. Du reste, la victime, appelée partie civile, n'est qu'une partie rapportée au procès pénal mené par le parquet en sa qualité de représentant de la société.
L'essence du procès pénal consiste à juger de la culpabilité d'un individu et, une fois celle-ci acquise, de sa dangerosité et de sa capacité à se réinsérer à terme dans la société dont il a troublé l'ordre public.
Pour autant, il est vrai que le procès pénal comporte également un enjeu de société. La sanction d'un individu doit également servir de leçon donnée à l'ensemble des citoyens lesquels ont à en sentir le poids et la portée. En un mot, elle doit avoir un caractère dissuasif.
Mais c'est là qu'il convient d'éviter l'erreur. Elle ne doit pas être crainte pour sa lourdeur mais pour sa justesse. Du moins en démocratie. Il suffit de relire ce livre fascinant « Surveiller et punir » de Michel Foucault pour mesurer le changement d'optique de la sanction dans nos sociétés devenues avant tout disciplinaires.
La justice doit certes tomber de haut mais la sanction pour être efficace doit avant tout susciter l'adhésion de tous, et en premier lieu du prévenu. Le procès doit donc être exemplaire, la culpabilité ne pas faire de doute, et l'appréciation du quantum de la peine être adapté à la personnalité du coupable.
C'est cette mécanique subtile de la raison qui est à l'œuvre dans le procès pénal. Car c'est de raison dont il s'agit et non d'émotion. Je voudrais vous faire partager ce qui constitue sans doute l'un des plus beaux textes du code de procédure pénale (art. 353) et porte sur l'intime conviction aux assises, laquelle se distingue de l'exercice d'un arbitraire :
« La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ».
C'est donc à cet exercice difficile et exigeant que nous devons procéder tout au long de ce procès, à ce cheminement intellectuel rigoureux d'analyse à travers ce que nous pourrons lire des compte-rendus d'audience en nous défiant de ce qui constitue déjà des interprétations. Surtout, soyons vigilants à ne pas nous laisser porter par nos émotions, à ne pas nous égarer dans des débats qui n'ont pas lieu d'être sur la Corse, les corses, et l'ensemble des clichés éculés qui ne manqueront pas de réapparaître durant ce mois spécial à plus d'un titre.
Je conclurai sur une phrase de l'éditorial rédigé à l'occasion du centenaire de la Ligue des droits de l'homme, par son Président d'alors, Maître Henri Leclerc et qui constitue son nouveau manifeste :
« La liberté ne se divise pas : ni la sauvegarde d'un ordre moral, ni les exigences de l'opinion, ni même le souci d'un avenir plus juste ne peuvent justifier que l'on sacrifie une liberté ou un droit. »
La qualité du procès en cours ne concerne pas seulement Yvan Colonna, elle garantit également la plénitude de notre liberté.