Face à la Migros, de l’autre côté de l’avenue de La Harpe, il a été fait table rase de l’Hôtel de La Navigation, qui doit laisser la place à une résidence cossue, avec vue sur le lac. Le souvenir de repas pris ici, en sous-sol, dans le cadre de La Pompe, l’association des étudiants mécaniciens de l’EPFL, vient taquiner ma mémoire et me rajeunir de quelque quarante ans… C’était au temps où le GM s’appelait encore La Chaloupe.
Après avoir posté une lettre je traverse la route à la hauteur de la station du M2 , qui a remplacé la Ficelle, et du kiosque à journaux, son vis-à-vis. Je me dirige vers le lac, longeant le château d’Ouchy, où mes parents descendaient quand ils me rendaient visite et qui a bien changé depuis. Il y a là derrière un parc à deux roues. Une motocycliste vient d’arriver, tout de cuir noir vêtue. Elle ôte son casque et ébroue sa chevelure blonde qui se répand sur ses épaules, d’un mouvement que ne renierait pas Valérie Kaprisky.
Plus loin, à la hauteur de pédalos à louer l’été, me croise une autre jeune femme, en tenue de cycliste, lunettes noires, chevelure tout aussi noire, dissimulée sous une casquette, qui laisse échapper une queue de cheval ... noire. Mon œil est attiré par sa démarche athlétique que je jalouse un peu, parce que j’ai mal au pied droit, que de temps à temps je sens une pointe au ventre et que bientôt, dans deux semaines, j’ajouterai une année de plus à ma collection inattendue.
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne voudrez guère mieux.
Avec sa conclusion pondue sur un autre ton par Tristan Bernard :
Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant.
Quelques photos plus tard ma marcheuse athlétique, de retour, me dépasse à bonne allure, qui ne me permettrait pas de la suivre si seulement l’envie m’en prenait. J’ai toutefois le temps de mieux
voir qu’elle porte sur le haut du corps une veste matelassée et sur le bas, rien d’autre, comme une seconde peau, que ce pantalon de cycliste, une chemise bleu tendre lui descendant juste
au-dessus du postérieur, dont les muscles, avec netteté, paraissent bien vigoureux pour une partie charnue.
Après la tour Haldimand commence le Sentier des rives du lac. Je quitte Lausanne et suis désormais à Pully. Je passe devant le domaine de Verte-Rive, la demeure où est mort il y a tout juste 50 ans le bien-aimé Général Guisan, celui qui dirigea avec force la défense nationale helvétique lors de la seconde guerre mondiale. Je marche encore un peu, au-delà de la station de relevage de Verney et croise d’autres inconnues. Car, curieusement, il n’y a que des promeneuses en cette tombée du soir. Je prends d’autres photos de paysage et doit cesser, non pas faute de pellicule mais faute de courant, l’objectif resté bloqué en position prise de vue.
La rive du lac Léman, à Lausanne , est d’une beauté fulgurante en fin d’automne. A l’aube, les eaux scintillent dans un dégradé de bleu jusqu’à la Savoie violette, dont la montagne se précise à la lumière montante. Les saules, les ormeaux, les petits peupliers de la côte sont jaunes, émettant des rayons concentrés dans la fraîcheur, où appellent les oiseaux des parcs et de l’eau qui lèche les galets blancs.
Un sentiment de calme, de sérénité, gagne le promeneur de ces lieux. La profondeur du paysage, l’étendue lacustre, le découpage des cimes qui agrandissent le ciel, l’étrange paix même des eaux mouvantes, gratifient celui qui en jouit d’une immédiate dilatation de tout l’être.
Ce matin il fait gris. Quelques flocons de neige confirment que ce n’est pas encore le printemps...
Francis Richard
Nous en sommes au595e jour de privation de
liberté pour Max Göldi, le dernier otage suisse en Libye