C’est un film d’histoire, en témoignent les images d’archives et le grand souffle épique de la première partie du film ; mais en même temps, j’ai lu chez Dasola qu’il y avait des inexactitudes historiques voire des écarts sérieux avec la réalité, et le réalisateur joue tellement des bonds temporels, des rapprochements de deux scènes éloignées dans le temps (et les acteurs, en tout cas l’héroïne, ne vieillissent guère au long du film) qu’il est souvent difficile de situer exactement une scène.
C’est avant tout un film d’esthète, d’amoureux du cinéma. Ce sont des séances de cinéma qui rythment l’action, que la salle soit le cadre d’affrontements politiques, que le film se fasse l’écho des préoccupations des personnages (Mussolini blessé à la guerre regarde avec ses compagnons d’infortune une adaptation du calvaire du Christ, sous l’œil mouillé de Marie-Madeleine ; plus tard, ce sera au tour d’Ida de pleurer devant Le Kid de Chaplin, qui transpose sa propre solitude de mère séparée de son enfant). Dans la 2e partie du film, quand Mussolini écarte sa maîtresse et l’empêche de le revoir, il devient lui-même une image pour Ida qui raconte à son beau-frère qu’elle a vu Mussolini – au cinéma, où on le voit poser avec sa famille, la « vraie ». Et la boucle est bouclée quand son fils devenu grand se livre à une caricature de l’orateur, surjouant ses tics, nouveau Chaplin jouant au « dictateur ».
Et c’est une histoire d’amour. Une histoire que le cinéaste ne cherche pas à expliquer, à justifier. Lorsqu’Ida voit pour la première fois Benito défier le ciel de le foudroyer devant une assemblée hostile pour prouver que Dieu n’existe pas, c’est elle qui est foudroyée. On sent qu’elle est attirée par son énergie féroce, par son insolence. Il est son dieu, elle est prête à tout sacrifier, et même, un temps, à s’aveugler sur la défection de son amant. Lui ne voit en elle qu’une liaison passagère ; quand la passion d’Ida devient encombrante, il l’exile. Il est une force en mouvement : à son revirement amoureux correspondent ses revirements politiques, son choix de la guerre à l’opposé de son pacifisme premier, son mariage à l’église quand il professait auprès d’elle le plus grand mépris pour le clergé, son ingratitude alors qu’elle lui a donné toute sa fortune. Ida, elle, ne change pas : inconditionnellement fidèle à l’homme qu’elle aime et déteste tout à la fois, passionnément attachée à la dérisoire vérité de cette passion ancienne, elle se refuse au compromis (que lui conseille pourtant, dans une grande leçon de pragmatisme, un psychiatre de l’asile où Mussolini l’a fait placer).
Ce qui fait la force du film, c’est que malgré ses excès (parfois on s’agace de surimpressions insistantes, de ce côté « mélo ») il n’est jamais complaisant : on a du mal à comprendre la « passion » d’Ida, attachée à un homme veule et sans scrupules. Mais son chemin de croix, sa lucidité qui l’enferme toujours plus entre les murs de l’hôpital n’en sont pas moins émouvants, comme la rébellion sans espoir de son fils, condamné à n’être que le portrait craché d’un père qu’il voudrait faire tomber de son piédestal.