"The Ghost Writer"

Par Loulouti

J’ai déjà eu l’occasion de vous dire que je n’appréciais pas trop Roman Polanski en tant que personne. Sa manière de fuir les conséquences de ses actes il y a 35 ans, les soutiens artistico gouvernementaux reçus au moment de sa récente interpellation (donnant l’impression qu’il y avait la Justice des puissants et celle du commun des mortels) n’ont pas redoré un blason déjà bien terni.
Mais je sais faire la part des choses et quand une œuvre m’est proposée, c’est l’artiste que j’essaye d’évaluer, pas l’individu. Les faits divers ne m’intéressent pas dans l’absolu.
Et force est de reconnaître que Roman Polanski est un excellent cinéaste, un prodigieux raconteur d’histoires et un directeur d’acteurs hors pair.
Et une nouvelle fois le cinéaste frappe un grand coup avec "The Ghost Writer", adapté du roman "L’homme de l’ombre" de Robert Harris.
Un nègre littéraire (Ewan McGregor) est engagé par l’entourage de l’ancien Premier ministre britannique Robert Lang (Pierce Brosnan) pour terminer les mémoires de ce dernier. Mais le nègre littéraire s’attaque à une tâche bien périlleuse puisque son prédécesseur à ce poste, l’un des collaborateurs directs de Lang, a trouvé la mort mystérieusement quelques jours avant son embauche.
L’écrivain tombe au beau milieu d’un triangle amoureux explosif entre Lang, sa femme Ruth (Olivia Williams) et son assistante personnelle Amelia Bly (Kim Cattrall).
En tant qu’ancien Premier ministre du Royaume Uni, Robert Lang se voit accusé de crimes de guerre à l’occasion d’actions ciblées contre le terrorisme.
"The Ghost Writer" est un thriller politique de haute volée, un modèle du genre. Roman Polanski maîtrise son sujet de A à Z sans jamais donner l’impression que la créature échappe à son démiurge. La leçon de cinéma est brillante. Le cinéaste va droit à l’essentiel sans pour autant négliger les développements annexes.
Nous plongeons avec délice au cœur de jeux de pouvoirs, de luttes d’influences et de sombres histoires d’espionnage. Le réalisateur fait s’entrechoquer l’Histoire et les destinées individuelles avec une étonnante facilité. L’univers dépeint est très loin d’être reluisant. Manipulations, mensonges, coups bas composent le quotidien des personnages du film de Roman Polanski.
Cependant toute ressemblance avec la réalité…
L’histoire de "The Ghost Writer" est passionnante, puissante, pleine de force. Le récit est d’une fluidité admirable. Difficile de rester insensible à un propos étonnamment contemporain. Roman Polanski évite d’accumuler les péripéties et les rebondissements forcément inutiles. Son œuvre bascule à deux ou trois moments charnières extrêmement forts. Ces minutes quand le long métrage s’emballe sont réellement intenses.
Le film a un rythme et un déroulement qui lui sont propres. Roman Polanski impose un style tout ce qu’il y a de personnel.
Le propos politique se double aussi d’une enquête policière qui n’en a pas le nom. Le nègre se retrouve au beau milieu d’une énigme insoluble. La personnalité de l’ancien Premier ministre Robert Lang est au centre d’un jeu de dupes extrêmement inquiétant.
Le spectateur ne peut être que captivé par un film aussi surprenant et haletant. Nous sommes aux antipodes d’un long métrage d’action à la cadence effrénée. L’art de Roman Polanski ressemble au travail d’un écrivain : avec assurance et patience il jette les bases d’intrigue principale et laisse ses personnages occuper l’espace disponible.
Sans jamais dévier de ce fil conducteur, le cinéaste se permet de nous gratifier de scènes assez captivantes entre le nègre et l’homme politique souriant et amical en public, cynique et calculateur en privé.
Roman Polanski se permet d’évoquer sa situation personnelle en deux coups de pinceau si j’ose dire. La solitude du nègre littéraire isolé et enfermé sur l’île où réside Robert Lang et la presse montant la garde à l’extérieur de la propriété de ce dernier sont des paraboles évidentes de l’isolement helvète du metteur en scène.
"The Ghost Writer" est un long métrage où règne une atmosphère vraiment pesante. La nature hostile donne au rendu un aspect singulier. Le climat, au propre comme au figuré, finit par déteindre sur les protagonistes.
Une bonne partie de l’action se déroule dans une maison anguleuse au possible. Le tout prend des airs de geôle de luxe. Le nègre doute de tout et de tout le monde. Son travail devient accessoire et l’homme s’enferme dans une sorte de solitude paranoïaque.
L’un des éléments essentiels du film est la superbe partition musicale signée Alexandre Desplat. Chaque situation est soulignée par une mélodie bien précise.
Roman Polanski n’abuse pas d’effets de caméra vains et préfère se concentrer sur les visages et surtout les regards.
Si le film marque autant les esprits, il le doit pour beaucoup a sa tonalité d’ensemble. Difficile de se montrer très optimiste après avoir vu "The Ghost Writer". Roman Polanski braque son objectif sans concession et sans faux semblants sur une société politique bien malade. Le regard du metteur en scène est lucide et sa caméra est acérée comme un scalpel.
Ewan McGregor interprète ce nègre littéraire avec sobriété. Son jeu est sans tâches.
Pierce Brosnan, qui se construit au fil des ans une filmographie post-007 diablement intéressante, mange littéralement la pellicule dans une interprétation débordante d’énergie d’un homme politique cerné de toutes parts.
Le personnage joué par Olivia Williams est d’une rare complexité et doit donc se lire à au moins deux niveaux. Quand sonne l’heure du coup de théâtre final, il serait plus qu’intéressant de revoir "The Ghost Writer" afin de pouvoir analyser et mettre en perspective chaque pièce du puzzle.
A titre anecdotique j’ai eu l’immense surprise de voir à l’écran le légendaire Eli Wallach.
Tom Wilkinson et Timothy Hutton campent des personnages secondaires si importants dans ce genre de production.
"The Ghost Writer" est un thriller politique efficace parfaitement maîtrisé. La démonstration de Roman Polanski résonne encore et encore tant la modernité du sujet nous éclate au visage. Le spectateur est interpellé par un long métrage qui mise beaucoup sur les interactions entre les protagonistes et qui met de côté des effets de manche inutiles.
Quand la sobriété ne rime pas avec pauvreté, le résultat final ne peut être que brillant.