(V)entre toi et moi

Par Daddysoon

S’il y a tout un monde entre un homme et une femme, il y a un ventre entre un bébé et son futur père. Un ventre qui ne lui appartient pas. Une forteresse de chair sans pont-levis, d'où s'érige un nombril d'une ridicule arrogance. Même sa peau, tendue comme un arc avant le tir (ce n'est pas la seule), peine à contenir la pression. Mais, croyez-moi, pas besoin de l'attaquer à la flèche indienne pour recevoir un accueil des plus hostile. De la mère bien sûr, parce que bébé lui, il s'en fout. C'est tout juste s’il est conscient de sa propre existence (le suis-je?).
Un soir, il a suffi que j'approche tendrement mes orteils de son appendice pour que ma femme se retourne d'un mouvement sec: "ton pied est beaucoup trop grand, tu lui fais peur." Comment mon petit 46 pourrait-il effrayer un être qui barbotte dans le noir, entouré d'organes non identifiés?
N'essayez pas non plus de le tapoter timidement du bout de l'index comme si vous vouliez vérifier que la bête est toujours vivante. Enfin, malgré sa forme évocatrice, il est fortement déconseillé de l'attraper comme un ballon en faisant mine de le décrocher.
Outre son rôle évident de contenant, ce ventre représente aussi pour ma femme une fantastique bouée identitaire. En d'autres termes: "c'est moi la mère" sous-entendu "pas toi", sous-entendu "c'est moi qui souffre, c'est moi qui décide." Par chance, les femmes les mieux éduquées parviennent à éviter le fameux mais destructeur "c'est le mien, pas le tien."
Mais je dois me faire une raison. Bien que l'ayant commandé (je n'ai pas dit payé), ce bébé ne m'appartiendra vraiment qu'une fois fabriqué et livré (et encore).
Un peu comme le canapé que je viens tout juste de recevoir d'Interio. Mais là, au moins, j'ai le droit d'y mettre les pieds.