«Diantre, ma fille est moche!». Combien de pères se sont-ils retrouvés, à la naissance de leur bébé voire plusieurs années plus tard, devant ce cruel fait accompli? (car notez bien qu’il n’y a pas de retour possible à l’envoyeur) Evidemment, le père en question jurera sur cette affreuse bouille qu'il va l'aimer et la chérir car telle est sa mission, mais jamais il ne pourra balayer de son esprit que sa gamine a une sale gueule.
Je dis père, car la femme (toujours elle) possède ce petit rien génético-subjectif lui permettant de faire fi de la potentielle, mais quelques fois prodigieuse laideur de sa progéniture.
On la baptise Pamela, Carla ou Laetitia, dans l’évidente perspective d’une naissance avec strass et paillettes. On l’imagine sur les podiums avant même ses premières chutes dans l’escalier. Et franchement, je me vois mal prénommer ma fille Chantal en prévision d’un handicap esthétique majeur.
Ne riez pas, l’angoisse m’envahit depuis plusieurs jours.
Pour me rassurer, j’envisage parfois son apparence comme le simple prolongement de la beauté de mon couple, mais sans succès. Oui, on est beau et on vous emmerde.
Et puis d’ailleurs, pour quelle raison la laideur ne bénéficierait-elle pas de la même attention prénatale que toute autre difformité physique ou mentale? Croyez-vous sincèrement qu’une vilaine tronche soit mieux armée pour affronter la vie qu’un bras à qui il manquerait une paire de phalanges?
Vous imaginez un peu la scène chez le gynéco? «Madame, j’ai la tristesse de vous annoncer que votre bébé sera moche. A la vue des derniers résultats, je vous conseille fortement d’envisager l’avortement.»
Ma femme se fend la poire quand je lui en parle, car elle est évidemment confiante. Il faut dire qu’elle a passé sa vie affublée d’une gueule de Miss Camping (concours qu’elle a d’ailleurs remporté à plusieurs reprises dans son adolescence), ce qui, mais c'est une autre histoire, entaille sérieusement son capital modestie.
Merde! Tu as raison mon cœur, d'accord, soyons outranciers, arrogants et fiers comme des parents! Notre fille sera la plus belle. Et puis on s’en fout puisque l’EGOgraphie n’a pas encore été inventée.