L’Asie, c’est fini !

Publié le 06 juillet 2009 par Sylvie_bigant

Hamamatsu – Tokyo … 11/10 – 22/10

Nous partons tendus et fatigués. Chris nous regarde charger nos vélos en nous disputant pour des riens, il doit se dire que le voyage à vélo ne fait rien pour les relations de couple ! Nous tentons une piste cyclable le long de la mer, pompeusement nommée, ‘piste cyclable du Pacifique’. Elle est en mauvais état avec encore ces passages en béton qui ralentissent les cyclistes pour éviter qu’ils ne renversent les piétons sortant de la plage. Au bout de 2 km, on craque et on rejoint la route, comme la plupart des cyclistes qu’on croise. C’est bien la peine de dépenser les impôts pour une piste que personne n’utilise ! Après une journée de ville et de feux rouges, nous arrivons à une petite ville en bord de mer. Renseignements pris à une station-service, il n’y a pas de route le long de la mer, il faut passer par les montagnes sur 30 km. Il est 16h et il nous reste encore une soixantaine de km jusqu’à Numazu… Un homme en complet crème et lunettes noires nous aborde et propose d’aller chercher un camion pour nous transporter nous et nos vélos sur cette partie montagneuse ! Il y a vraiment un ange gardien qui veille sur nous. Il monte dans son gros 4x4 flambant neuf et revient 5 min plus tard avec une grosse camionnette. A l’arrivée, nous le remercions chaleureusement et lui demandons son nom. ‘John Smith’ répond-il gravement. Nos antennes frétillent, serait-on tombé sur un de ces fameux yakuza (mafia japonaise) ? Le complet crème, le gros 4x4, les lunettes noires qu’il n’a pas quitté et surtout ce nom d’emprunt gros comme une maison… Yakuza ou pas, nous lui devons en tout cas, une fière chandelle. La nuit est tombée, nous appelons Will pour le tenir au courant de notre avancée : ‘Pas avant 22h chez toi !’. Une piste cyclable en bord de mer nous permet de longer l’autoroute. Elle est en sens inverse, les phares des voitures nous éblouissent et plusieurs fois, nous devons rouler une centaine de mètres sur l’autoroute. Dans le noir, avec les voitures qui nous arrivent droit dessus, adrénaline garantie. Ce cauchemar se finit quand nous bifurquons dans un petit village. Il y a fête aujourd’hui, de grosses lanternes rouges se balancent devant les maisons et illuminent les rues pavées. Quelques dizaines de km plus loin, un cycliste nous fonce dessus, c’est Will ! Après notre dernier coup de fil, il s’est décidé à monter sur son vélo pour venir nous encourager. Plus besoin de réfléchir à la route… Mais les ennuis continuent. Sylvie a mal derrière le genou, une douleur qui ne passe pas avec les étirements. La douleur se transforme en décharges électriques (un nerf ?) et elle doit pousser son vélo sur les dernier 100m. Nous avons fait 152 km aujourd’hui, 420 km dans les trois derniers jours et nous nous sentons plus à plat qu’après les montées de Kyushu.

Will et Chrissy habitent une petite maison typiquement japonaise, une ‘18 tatamis’, c’est-à-dire trois pièces de 6 tatamis chaque (entre 12 et 15 m2), une cuisine et une salle de bains. Ils vivent à la japonaise, table basse et coussins dans la salle à vivre. Ils ont deux chambres à l’étage, une ‘à l’occidentale’ et une ‘à la japonaise’. Nous choisissons la japonaise avec matelas au sol. Eux préfèrent dérouler leur matelas tous les soirs dans la salle à vivre. Nous les régalons de crêpes, tartes à la tomate, brownie, tarte au citron meringuée… notre rituel de ‘boustifaille’ à chaque fois que nous nous posons. Ils nous invitent un soir dans un petit resto typiquement japonais. Comme c’est la coutume dans beaucoup de restaurants classe en Asie, nous dinons dans une salle fermée, assis sur des coussins posés sur les tatamis. La pièce donne sur un jardin japonais, bonsaïs, galets et haies taillées à la perfection. Une serveuse en habit traditionnel dépose les plats sur la table basse. Chaque plat est disposé avec goût et minutie dans de petits bols ou des assiettes turquoises. C’est non seulement une expérience gustative mais aussi un enchantement des yeux. Will et Chrissy habitent depuis deux ans au Japon. Ils sont (un peu !) plus jeunes que nous et travaillent comme professeurs d’anglais. L’été prochain, ils rentrent chez eux, près de Seattle et comptent démarrer une ferme bio.

La veille du départ, Will nous emmène sur une colline derrière chez lui. Au bout de 3 km, le genou de Sylvie se réveille… elle le pourra donc pas pédaler jusqu’à Tokyo. Sans compter le fait qu’elle ne pourra pas finir à vélo, c’est assez catastrophique comme notre expérience à Kyoto nous a montré. Nous nous creusons la tête tous les 4, une solution serait de louer une voiture, emmener les vélos à Tokyo et revenir déposer la voiture, le tout en moins de 24h pour économiser des sous (250km). Nous appelons Richard, notre hôte de Tokyo, pour lui expliquer la situation.

La sonnerie du téléphone nous réveille en sursaut le lendemain à 6h du matin. C’est Richard : ‘Je peux être à 10h à Numazu par le train et j’emmène le vélo de Sylvie à Tokyo !’. Ben est dubitatif : ‘Tu es sûr, c’est un vélo couché, tu n’en as jamais fait et il y aura au moins deux sacoches…’. Mais Richard est catégorique, il peut le faire. On sent surtout qu’il n’a pas fait de vélo depuis longtemps et qu’il ne veut pas rater cette occasion. A 10h du matin, nous voyons arriver un homme d’une cinquantaine d’années avec une énorme valise pour que Sylvie transporte quelques sacoches par le train. C’est un cycliste confirmé et en quelques minutes, il manœuvre le vélo avec confiance. Sylvie les regarde s’éloigner avec un petit pincement au cœur, pourvu qu’il ne leur arrive rien. Quand on roule à deux, on pense pouvoir protéger l’autre mais quand on est séparés, il n’y a rien à faire à part espérer… On comprend un peu mieux l’inquiétude de nos parents maintenant. En milieu d’après-midi, Ben l’appelle : ‘On a fait à peine 20 km, Richard a du mal à pédaler en montée’. Ils doivent passer la montée de Hakone, un volcan, et Richard n’arrive pas à garder l’équilibre à petite vitesse. Ben tente de lui donner plus de stabilité en lui donnant ses deux sacoches (le petit malin !) mais sans succès. Pour finir, Ben monte son vélo en pédalant puis redescend en courant aider Richard à pousser le vélo de Sylvie. Heureusement Richard est très sportif et il tient le coup même s’il rage et râle dans la montée ! Passée la montée, ça descend et Richard va même plus vite que Ben. Après, ce n’est plus que du plat jusqu’à Tokyo, Richard apprécie enfin le vélo couché et c’est encore lui qui mène la danse. Les deux cyclistes arrivent à 1h du matin, épuisés et heureux d’avoir fini. Entre temps, Sylvie s’est fait réceptionner à la gare par Jordan et Evan, la fille de 16 ans et le fils de 12 ans de Richard. Il a un autre fils de 14 ans, Gabriel. Ils habitent tous les quatre dans un minuscule appartement d’une chambre au sommet d’une tour, au sud de Tokyo. Les loyers sont tellement chers… Richard nous laisse gentiment sa chambre que nous partageons avec deux de ses vélos. Il en a aussi deux ou trois sur les balcons ! Un vrai passionné de cyclisme. Richard est Américain mais habite depuis plusieurs années au Japon. Il est pilote pour une compagnie aérienne locale. Deux jours parti, deux jours à la maison, on pourrait penser que ce sont des drôles d’horaires avec des enfants mais ils se débrouillent très bien. Nous passons une semaine super chez eux, notre seul regret est de ne pas avoir passé plus de temps avec Richard, nous avons vraiment bien accroche avec lui, mais le connaissant, il pourrait bien nous rejoindre quelque part en Amérique du Nord, c’est un gars étonnant. Deux mois après cette fameuse journée ‘découverte du vélo couché’, il nous a écrit pour nous annoncer que le vélo couché qu’il avait acheté sur ebay était arrivé !

Entre trouver des boites et du scotch, démonter et emballer les vélos, nous trouvons quand même le temps de visiter un peu Tokyo. C’est bien comme nous l’imaginions : les grands buildings, l’architecture moderne et esthétique, les passages piétons qui partent dans tous les sens, noirs de monde, les ruelles autour du marché au poisson de Tsukuji qui regorgent de petits restos… Tokyo c’est aussi la mode extraordinaire, on dirait que les filles expérimentent tous les jours ici… les Anglaises ne nous semblent plus si excentriques. Nous dinons un soir avec Yoshihide, le cycliste japonais que nous avions croisé au Khirghistan. Il nous emmène dans un petit resto où il est un habitué. Il nous fait goûter le saké, cet alcool de riz qui se vend dans des briques de carton, comme du lait. C’est très bon ! A la sortie, photo rituelle avec le patron du resto.

Le dernier jour, c’est jour de repos pour Richard. Grâce à lui, nous réussissons à faire envoyer les vélos et la plupart des boites par un transporteur à l’aéroport. Reste une grosse boite que Ben et Richard s’échangent entre la maison et la station de métro, et deux sacoches. Richard nous étouffe à moitié en nous disant au revoir (ça, on avait vu qu’il faisait de la muscu!) et nous nous promettons de nous revoir, en Amérique du Nord, en Europe ou ailleurs…

A l’aéroport, nous rencontrons Emi, une Japonaise qui a rencontré le grand-père et la sœur de Sylvie dans le jardin de Bagatelle, à Paris, il y a deux ans. Nous sommes un peu gênés, elle doit patienter pendant que nous parlementons avec la compagnie aérienne. Nos boites ne sont pas assez solides, nous devons donc signer une décharge. On paye mais ils ne peuvent pas nous garantir que nos bagages arriveront entiers ! Nos vélos sont mesurés au cm et pesés… heureusement, on nous fait grâce des 500g de dépassement.

Nous déjeunons avec Emi puis il est déjà l’heure d’embarquer. Les départs sont toujours émouvants surtout celui-ci, nous quittons un pays et un continent après 17 mois de voyage…

A Toronto où nous avons 8h d’attente, Philippe et Carole, le père et la sœur de Ben, nous attendent. Grosses retrouvailles, Carole nous avait rejoint dans un camping en Allemagne l’an dernier mais nous n’avons pas revu Philippe depuis trois ans. Les 8h d’attente passent trop vite, il faut déjà rembarquer, encore 10h de vol… l’équivalent de trois films pour Ben !