Temuco – San Martin de los Andes … 05/12 – 14/12
Enfin, nous sommes de retour sur nos vélos ! Pour notre premier jour de vélo après sept semaines d’arrêt, nous sommes gratifiés d’un beau soleil. Nous prenons le petit-déjeuner à Temuco. Un petit vent frais souffle et nous échangeons nos sandales pour nos grosses chaussures. Nous le regretterons quelques heures après quand nous pédalerons en pleine chaleur. Comme beaucoup de Chiliens nous diront par la suite, ‘on trouve les quatre saisons dans une journée en Patagonie !’. Nous roulons 40 km sur la Panaméricaine, une grande route sans intérêt où les gens roulent vite, très vite. Heureusement qu’il y a un bas-côté. L’avantage ce sont les stations-services avec le wifi gratuit. Nous nous arrêtons pour déjeuner d’un énorme hot-dog. C’est cher mais tellement gros que nous en partageons un. Et en profitons pour regarder nos emails. Les Chiliens élisent bientôt leur nouveau président, premier tour mi-décembre, deuxième tour un mois plus tard, mi-janvier. Les bords de route sont couverts d’affiches pour les candidats à la présidence ainsi que pour les sénateurs. Deux candidats semblent émerger : Frei, un candidat de gauche qui a déjà été président (à entendre les Chiliens, ce n’était pas une réussite) et Piñera, un candidat de droite, propriétaire de LAN Chile, la compagnie aérienne. Il a aussi créé un Parc National dans le sud de l’île de Chiloé, inspiré par Douglas Tompkins (ancien propriétaire de la marque de vêtements Esprit) qui a, lui, fondé le parc Pumalin, une réserve en face de l’île de Chiloé. Rendez-vous le 17 janvier pour connaitre les résultats… Nous roulons ensuite sur une petite route de campagne plus tranquille et arrivons à Villarica en fin d’après-midi. C’est un peu étrange d’être pour la deuxième fois en deux semaines au même endroit. Cette fois-ci, pas de bungalow, il faut faire attention au budget, nous retrouvons notre petite tente avec plaisir. La tente est moins confortable qu’un lit dans un hôtel mais c’est une constante dans notre voyage, un peu comme notre maison. Nous n’avons pas collé de photos sur les parois comme certains cyclistes mais nous y avons nos petites habitudes, chacun toujours du même côté, la petite corde à linge au-dessus de nos têtes où nous mettons serviettes et torchon à sécher pendant la nuit. Quand on voyage longtemps et qu’on change souvent d’endroit, c’est important d’avoir quelques repères qui ne changent pas. Voyager à deux aide aussi ! Nous parlons souvent de la famille et des amis, des gens qui nous suivent sur le blog, de ce que nous ferons en rentrant, de nos prochains voyages à vélo. D’ailleurs, à tous ceux qui se poseraient la question (le changement d’année a déjà suscité des commentaires tels que : ‘bientôt le retour ?’), nous pouvons vous dire que nous envisageons le retour avec sérénité ! Nous aimons voyager mais un peu de stabilité nous fera du bien et nous permettra de lancer d’autres projets…
En quelques semaines, nous avons perdu nos bonnes habitudes acquises au Japon et nous partons tard le matin. Comme au bon vieux temps des premières semaines du voyage quand nous pédalions 5 km et nous arrêtions pour manger une pizza ! Nous passons voir le propriétaire des bungalows. Il a travaillé une vingtaine d’années en Hollande sur les plates-formes pétrolières comme chef cuistot et parle parfaitement anglais. Comme il est très sympa, nous avions promis de revenir le voir avec les vélos. Nous perdons du temps en courses et internet et pour finir, démarrons à 16h30 ! Heureusement il fait beau et les 30km jusqu’au village de Lican Ray sont avalés facilement. Le camping est superbe, belle pelouse, table et bancs à chaque emplacement. Nous sommes encore hors-saison, les Chiliens ne prennent leurs vacances qu’à partir de janvier, mi-janvier cette année à cause des élections. Du coup, on marchande facilement et nous n’avons que l’embarras du choix pour planter la tente. Tous les gens que nous rencontrons sont très gentils avec nous. Nous ne comprenons d’ailleurs pas très bien pourquoi les voyageurs nous disaient qu’ils passaient en Argentine parce qu’ils en avaient marre des Chiliens. L’effet bent continue…
Le lendemain matin, deux hommes nous abordent alors que nous sommes en train de plier la tente. Comme d’habitude nous expliquons notre voyage et l’un d’eux nous donne l’adresse d’un carabinero (policier) qu’il connait, plus au sud du Chili.
Ben a instauré un petit jeu qui nous amuse beaucoup. Les gens nous demandent :
‘- D’où êtes-vous ?
- De France.
- Ah, vous avez volé de France avec vos vélos…
- Non, on a volé de Tokyo sur Santiago !’
Il faut voir les yeux ronds des gens, complètement déconcertés. Ben leur explique alors comment nous avons traversé à vélo de la France au Japon. Beaucoup de gens ont du mal à réaliser et certains ne nous croient pas au premier abord !
Nous changeons de trajet en cours de route et du coup, faisons un détour inutile pour atteindre Panguipulli. Nous déjeunons dans un petit village. A l’heure du café, rugissements des nuages. Le patron du resto à qui nous demandons est réconfortant : ‘Non, non, il ne devrait pas pleuvoir cet après-midi’. Nous nous convainquons qu’il a raison mais ne sommes pas très surpris quand il se met à pleuvoir quelques km plus loin. Juste au moment où nous attaquons notre première portion de ripio (route en terre). La route longe un lac mais quelles montées ! Dignes du Laos ou même du Japon. Combinées avec des cailloux et la pluie, voilà une belle remise en jambes. Dire que nous nous étions promis de recommencer doucement parce que Sylvie a encore un peu mal aux genoux depuis le Japon…. Nous sommes déçus de rater les belles vues sur le lac et arrivons trempés à Panguipulli. Le camping est déprimant, pas du tout entretenu, le responsable a l’air plus occupé à vider des bouteilles que tondre la pelouse. Pour ajouter à l’ambiance, nous rencontrons un couple français un peu bizarre, le père et la fille apparemment. Le père dit qu’il n’aime pas parler de son travail et nous sort une histoire abracadabrante. Normal que les gens lui posent des questions s’il parle en termes mystérieux ! Nous nous couchons, demain est un autre jour… Ensoleillé ! Nous reprenons la route, goudronnée sur une vingtaine de km puis à nouveau du ripio. Mais quand le temps est sec, ça ne nous dérange pas. Avec l’entraînement, nous supportons très bien les montées et les routes en terre et nous avons même appris à les apprécier. Qui dit montées dit paysage vallonné et jolies vues. Physiquement, nous nous blessons plus souvent (aux genoux, aux tendons) sur le plat que dans les montées. On ne sait pas trop pourquoi, peut-être le rythme de pédalage est différent ou les muscles sollicités. Quant aux routes en terre, quand il y a du soleil, nous trouvons qu’elles ajoutent au charme du voyage à vélo. Elles nous donnent une impression de bout du monde et aussi de retour en arrière dans le temps. Pour un peu, nous nous attendons à voir surgir un pionnier à cheval avec un chapeau à larges bords et un lasso attaché à sa selle. Nous croisons d’ailleurs quelques gens à cheval dans les jours qui suivent. Nous longeons le lac de Panguipulli par le nord dans un paysage typiquement suisse : maisons en bois, prés verdoyants, bords de route fleuris. La région des lacs a été colonisée principalement par des Allemands, des Suisses et des Autrichiens et ça se voit. Non seulement à l’architecture mais aussi à tous les petits cafés qui proposent des kuchen (gâteaux). De loin en loin, perché sur le poteau en bois d’une barrière, un rapace attend patiemment sa proie. Nous n’avons pas pris assez d’eau, avec tous ces villages nous avons perdu l’habitude de prévoir. Nous nous éloignons vers l’est, vers la frontière argentine et à part quelques maisons de vacances vides, il n’y a plus rien. Nous arrêtons une voiture de carabineros et ils nous indiquent un ruisseau quelques km plus haut. Avec notre filtre, nous sommes sauvés. Nous avions l’intention de faire le tour du lac mais nous obtenons la confirmation par plusieurs sources que la route côté sud est impraticable, effondrée pour être clair. Refaire 60km de ripio ? Inconcevable ! Déjà que nous n’aimons pas revenir sur nos pas alors en plus sur une route inconfortable… C’est là que Ben lance l’idée : ‘Pourquoi ne pas passer en Argentine et faire la région des lacs de ce côté-là ?’. C’est vrai, ce n’est pas l’Asie ici, pas besoin de préparer ses visas en avance. On se présente à la frontière, un petit tampon et voilà, facile, l’Amérique du Sud ! En fin d’après-midi, nous arrivons à l’intersection avec Choshuenco, un petit village, et nous hésitons. Des cantonniers nous disent qu’il y a un camping pas loin, sur notre route et que ça ne monte pas beaucoup. Heureusement une voiture de carabineros s’arrête et nous donne l’info inverse, la route monte sur plusieurs km ! Ils ‘grondent’ même les cantonniers pour nous avoir induits en erreur ! Ils sont très sympas et demandent s’ils peuvent prendre une photo de nous et de nos vélos. Nous faisons donc le détour par Choshuenco, un petit village aux rues en terre qui compte quand même trois petits magasins et un débit de boisson. Les magasins sont dans la pièce de devant des maisons. On rentre, la porte fait sonner une clochette et une dame accourt. Le choix n’est pas trop difficile : ‘Pâtes et sardines ou sardines et pâtes ?’. Enfin, heureusement qu’il y a ces mercados particulars comme ils disent ici, les petits magasins de village, nous n’avons pas à faire de gros stocks de nourriture. Ensuite, nous avisons quelqu’un qui prévient le responsable du camping. Nous sommes toujours hors-saison, le camping est envahi par les mauvaises herbes, ‘On est en train de le préparer pour l’été’ nous dit le gars. On se demande comment ils seront prêts à temps vu l’état du camping. En attendant, il réussit à allumer l’électricité, nous prenons une douche glacée mais avec de la lumière ! Ben s’est bien endurci, il préfère maintenant prendre une douche froide plutôt que de se coucher plein de sueur et de poussière…beaux progrès pour un grand frileux! Nous plantons la tente juste à côté de l’abri cuisine mais déménageons tout dans l’abri en milieu de soirée, il pleut des cordes. Encore une fois, vive les tentes autoportantes.
Nous nous félicitons de nous être arrêtés à Choshuenco, la route monte presque tout du long sur 30km jusqu’à Puerto Fuy. Nous roulons en pleine forêt, les eucalyptus embaument l’air et seulement quelques voitures nous dépassent dans un nuage de poussière. Nous apprécions vraiment nos deux petits sièges achetés au Japon. A l’heure du déjeuner, nous les déplions et pique-niquons au bord de la route…allons, au bout de 20 mois de voyage, nous avons bien le droit à un peu de confort ! Ben a rêvé de ces sièges pendant des mois depuis qu’il avait vu celui de Dimitri en Turquie. Les jours où il y a du vent, nous mettons les vélos en travers, les sacoches font un bon pare-vent. Dans l’après-midi, nous voyons une pancarte ‘Salto de Huilo-Huilo’. Encore une cascade, mérite-elle le détour ? Juste à ce moment, une fille passe, un énorme sac d’avoine dans les bras. Elle n’a pas l’air Chilienne mais nous lui parlons quand même en espagnol. C’est une Française ! Elle et son copain font une balade à cheval d’une dizaine de jours, ils campent un peu plus bas dans un pré. Elle nous recommande la cascade. En fait, c’est à 500m, une cascade de 40m de haut qui glisse entre deux pans de lave noire… superbe et le responsable nous fait une petit ristourne ! Nous arrivons en fin de journée à Puerto Fuy, un village au bord du lac Pirihueico d’où nous devons prendre un bateau. Il n’y a aucune route le long de ce lac qui s’étire tout en longueur jusqu’à la frontière. Pas de camping mais un habitant nous propose un de ses terrains mais sans rien, pas de toilettes, pas de douche, on ne va quand même pas payer pour un peu d’herbe ! Un marin du bateau ancré au bord de la plage nous indique une petite pelouse au-dessus de la plage. Nous y plantons la tente et, il fallait s’y attendre, une voiture de carabineros s’arrête à notre hauteur une demi-heure plus tard. Ouf, ils nous confirment qu’il n’y a pas de problème, nous pouvons camper là. Nous imaginons facilement qu’en Europe nous nous serions fait virer avec perte et fracas si nous avions campé sur la place du village ! Une autre bonne surprise nous attend : le marin nous apprend qu’en plus du voyage de l’après-midi, il y a une traversée spéciale le lendemain matin à 8h pour des employés du gouvernement. C’est une excellent nouvelle, nous serons à pied d’œuvre à 10h du matin pour faire les 50 km jusqu’à San Martin de los Andes et nous pourrons faire la route en une fois au lieu de camper au milieu. Nous serrons étroitement la capuche de nos sacs de couchage, un petit vent s’est levé et, avec l’humidité du lac, l’air est glacial. Se souvenant d’insomnies par nuits glacées, Sylvie enfile bonnet et grosses chaussettes et dort comme un loir. Avec le temps et à force d’être tassés dans des sacs, nos duvets ont perdu de leur gonflant et de leur pouvoir chauffant.
Le lac est lisse comme un miroir au petit matin et le volcan enneigé dans le lointain prend une belle couleur orangée avec le lever du soleil. Nous prenons notre petit-déjeuner avec polaire, gants et bonnet et plions rapidement. Il ne s’agit pas de rater le bateau ! Ce serait difficile étant donné que nous avons campé à moins de 20m de l’embarcadère. Le capitaine nous invite à le rejoindre dans le poste de pilotage et nous bavardons avec lui. Encore un côté agréable de l’Amérique du Sud, nous pouvons bavarder facilement avec tout le monde et avoir de vraies conversations. Nous n’avons plus ce léger sentiment d’isolement que nous éprouvions souvent en Asie. La traversée dure une heure et demie. Le bateau glisse sur le lac bleu entouré de forêts vert sombre. Pas une maison, pas une route, l’endroit est vraiment à l’état sauvage, les animaux doivent vivre en paix ici. Avant de descendre, nous nous apprêtons à payer mais le capitaine nous arrête d’un geste : ‘C’est gratuit, le voyage est payé par le gouvernement !’. Décidément c’est notre jour de chance. La route en terre monte et descend jusqu’à un petit hameau aux maisons en bois, probablement un village de bûcherons à en juger par le nombre de troncs d’arbres empilés dans les prés. Un petit magasin bleu nous tend les bras sur le bord de la route. Peu de choix mais c’est suffisant pour nous garder en vie : des crackers et des sardines à la tomate. 500 m plus loin, nous arrivons au poste frontière chilien. Le douanier est très sympa, nous donne quelques infos sur la route mais se trompe de date et tamponne deux fois le passeport de Sylvie. Zut, elle va déjà être juste pour finir le voyage ! La route devient vraiment mauvaise, gros cailloux mal dégrossis. La route est relativement plate mais nous poussons sur quelques centaines de mètres. Une grande arche en bois apparaît marquant la frontière avec l’Argentine et, comiquement, le gravier laisse la place à une piste plus lisse juste en-dessous de l’arche ! Nous passons la douane argentine un peu plus loin, le douanier est tout aussi sympa que son collègue chilien et nous passons juste en même temps que deux autres cyclistes argentins. Nous ouvrons nos boîtes de sardines au bord d’un joli lac puis entamons la montée. Lacets très raides sur 5 km, tournants très inclinés, le vélo glisse, dérape dans le gravier et le sable. Heureusement que la piste est sèche. Nous nous retrouvons encore à pousser dans les parties raides. Heureusement, la route est superbe, en pleine forêt, bordée de buissons aux fleurs jaunes comme des genêts, avec de temps en temps, un aperçu du lac que nous longeons. Une fois que toutes les voitures du bateau de l’après-midi nous ont dépassés, nous sommes seuls avec les oiseaux et les lièvres qui traversent la route en bondissant. En haut de la montée en lacets, surprise, un cycliste avec juste un petit sac à dos nous rattrape ! Il a pris le bateau de l’après-midi et a fait en 3h ce qui nous a pris la journée. Bon, on ne porte pas le même poids non plus. Nous arrivons en fin d’après-midi avec une belle descente à San Martin de los Andes, une petite ville pleine de charme avec ses chalets en bois. On se croirait dans une station de ski avec tous les magasins de camping et de chocolats ! Le camping en ville est fermé. Il y en a un autre mais il faut remonter sur 5 km ! Après tous les km de piste que nous avons fait, nous décidons que nous méritons bien une guesthouse. La première est la bonne, nous tombons sur le Bike Hostel de Maxi (Maximiliano). Le rêve pour des cyclistes : une grande maison en pierre et en bois où nous nous sentons comme à la maison, un atelier de vélo et surtout Maxi, un Argentin extrêmement chaleureux, fou de vélo, avec qui nous accrochons immédiatement. Il est tellement gentil et énergique que notre fatigue s’envole. En plus, il nous donne la chambre avec l’unique lit double de la maison ! Nous nous plaisons tellement chez lui qu’au lieu de rester une journée comme prévu, nous y passons quatre jours. A chaque fois, nous trouvons un prétexte : il y a du vent, il va pleuvoir… Un soir, nous bavardons tard dans la nuit avec deux cyclistes allemands très sympas. Ah, pas de chance, nous n’avons pas eu le temps de faire nos sacoches, allez, on reste un jour de plus ! Le matin nous bavardons avec Maxi dans la cuisine devant un grand plateau de croissants et un vrai café. Dans la journée, nous rattrapons nos emails, faisons quelques courses. Nous faisons une soirée crêpes pour Maxi, Vanina, son amie et Pedro et Felipe, les deux petits de Vanina. Puis une soirée pizza avec Maxi et Lorenz et Johannes, les cyclistes allemands. Nous rencontrons aussi Anita, une jeune Argentine de Buenos Aires qui vient travailler quelques mois à San Martin et Claude, un Français qui voyage depuis trente ans. En Amérique du Sud depuis quatorze ans, il nous donne quelques bons conseils. C’est grâce à Laura et Uli (Ullrich), un couple français en vacances, que nous réussissons à quitter Maxi et sa guesthouse trop confortable. Ils veulent faire la route des Sept lacs à vélo. Nous adorons rouler avec d’autres cyclistes et c’est ce qui nous décide à partir.