Chaiten – Coyhaique … 09/01 – 18/01
Nous débarquons au pied de hautes falaises. De lourds nuages noirs sont accrochés aux sommets. La ville a été quasiment ensevelie sous les cendres en mai 2008 après une éruption volcanique. Le temps menaçant ne fait que renforcer l’atmosphère lugubre de ce qui est passé d’un bourg de 4.000 habitants à un village de moins de 200 âmes. Le vent se lève en tempête, la pluie suit, nous fonçons chez Chaitur, l’agence qui aide les voyageurs à démarrer sur la Carretera Austral. Nous perdons les Américains et la Néo-Zélandaise, dommage à sept, nous aurions pu partager les frais. Vu le temps, il n’est pas question que nous roulions aujourd’hui. Nous trouvons une cabana, relativement hors de prix mais tout est plus cher ici. Il n’y a effectivement plus d’électricité depuis l’éruption comme Nicolas de Chaitur nous l’explique autour d’un café. Le gouvernement aimerait ‘fermer’ le village et tente de décourager les quelques irréductibles qui s’accrochent. Pas d’eau courante non plus, ceux qui ont des puits partagent l’eau avec leurs voisins. Tout le monde se chauffe au bois comme partout en Patagonie et le soir, les générateurs ronronnent, apportant lumière et eau chaude. Les cuisinières fonctionnent au gaz donc l’inconfort est limité mais pas d’électricité demande quand même une certaine organisation. Le village est relié à internet mais si on veut consulter ses emails, il faut d’abord allumer le générateur… Pour une raison que nous ne comprenons pas très bien, les habitants payent leur essence plus chère qu’ailleurs. Pourtant les camions qui approvisionnent les villages au sud transitent par Chaiten. Les denrées alimentaires sont deux à trois fois plus chères qu’ailleurs et, devant le prix exorbitant du pain, nous décidons de le faire nous-mêmes. Sans recette ni levure, ce n’est pas une réussite mais ça nous nourrira le lendemain. Nicolas nous explique que ce sont les gens du village qui ont décidé de partir quand l’éruption a eu lieu. Le volcan était éteint depuis très longtemps, beaucoup avaient même oublié son existence. Quand les habitants ont averti le gouvernement qu’il y avait des secousses, ils n’ont pas été pris au sérieux. Un beau jour, le volcan est entré en éruption, La lave, très visqueuse, a formé un dôme au sommet du volcan et un énorme nuage de cendres a recouvert le village, détournant le cours de la rivière qui a emporté plusieurs maisons et bouché la rue sur le front de mer. Les cendres ont été emporté par le vent jusqu’à une cinquantaine de km plus au sud. Les rues sont encore recouvertes d’une épaisse couche qui ressemble à du sable gris. Les maisons proches de la mer ont été dégagées mais celles au fond, près de la rivière sont encore ensevelies, certaines jusqu’au toit. Les habitants n’ont eu que le temps d’acheter des billets pour le ferry et de partir pour Chiloé et Puerto Montt. Heureusement, c’était le jour où le ferry passait et il y avait aussi le ferry qui remontait de Puerto Natales sur Puerto Montt. Beaucoup ne sont pas revenus, les meubles, les ordinateurs, les ustensiles de cuisine se distinguent à travers les fenêtres, recouverts d’une couche de cendres. L’éruption a été un choc pour les habitants. Habitués à leur village, beaucoup n’étaient même jamais allés à Puerto Montt et ils ont dû se reconstituer une nouvelle vie. L’après-midi, le ciel se dégage et nous partons explorer le village. Le niveau du sol a tellement monté que nous pouvons toucher les fils électriques !
Nous quittons Chaiten le lendemain matin sous le crachin mais le ciel se dégage et nous roulons bientôt sous le soleil. Nous croisons nos premiers cyclistes quelques km après Chaiten et ralentissons tout contents. Eux freinent à peine et nous saluent avec nonchalance… pfff, ce sont juste des vacanciers ! Ce jour-là nous croiserons neuf cyclistes. Un seul s’arrête, Alvaro, un Chilien très sympa sur un VTT avec une remorque Bob. C’est son premier voyage à vélo et il compte aller jusqu’à Ushuaia. Nous découvrons à nos dépens la célébrité de la Carretera Austral auprès des cyclistes. Il y a tellement de monde que personne ne s’arrête pour échanger des infos. Nous sommes un peu déçus. 30 km après Chaiten, le goudron se transforme en ripio. Nous le savons, nous en prenons pour 200 km. Nous déjeunons juste après un pont suspendu orange vif, en plein soleil. Nos galettes sont un peu dures, trop de farine, mais ce sont nous qui les avons faites ! Un peu plus loin, nous découvrons notre premier glacier suspendu, le Ventisquero Yelcho. Alvaro et deux autres cyclistes vont y grimper cet après-midi. Le temps se couvre et il y a encore une bonne montée, nous continuons. La montée est assez raide mais sans trop de gravier, elle se monte facilement. Quand on pense à ces montées au Kirghizstan où nous en avons un peu bavé (Sylvie avait à chaque fois une crise de faiblesse !), on se dit que maintenant, nous souffririons probablement beaucoup moins. Plus les mois passent, meilleur est notre mental. Et plus forts nos muscles !! Mais c’est surtout dans la tête que ça se joue. Après la montée, quelques km de descente nous amènent à Villa Santa Lucia, un petit village aux rues pavées de plaques de ciment. La Carretera Austral a été lancée dans les années 70 sous l’impulsion du général Pinochet. Le but était d’avoir une voie de communication et de coloniser le sud du Chili pour empêcher les Argentins de s’y installer. En plus des quelques villages démarrés par les colons (comme Puyuhuapi, démarré par des colons sudètes dans les années 30), des villages ont été bâtis tous les 60 ou 70 km. Les rues sont larges, les maisons en bois ou en tôle, au milieu de grands jardins, une atmosphère de pionniers qui nous plait beaucoup. Les magasins sont, comme dans l’ancien temps chez nous, dans la pièce de devant des maisons. Quand on pousse la porte, une clochette sonne et la commerçante accourt de sa cuisine. Nous plantons les tentes sur des pâturages près de la rivière. Deux hommes y entraînent leur cheval. Deux jeunes Brésiliens à vélo nous rejoignent bientôt. Ils ont 16 et 19 ans et pédalent une semaine. Leurs parents les rejoignent en voiture pour les vacances d’été un peu plus au sud. Ils n’ont pas choisi le plus facile pour un premier voyage à vélo. Nous nous amusons à les écouter nous parler espagnol avec leur accent chantant.
Le lever est difficile. Il pleut, il est si tentant de rester au chaud dans notre sac de couchage à écouter la pluie battre sur la tente. Mais nous ne sommes pas seuls et c’est ce qui nous motive à nous lever finalement. Nous rangeons tout et déjeunons dans la tente. Nous avons pris l’habitude de faire chauffer l’eau du petit-déjeuner le soir et de la conserver dans les thermos. Le matin, s’il fait froid ou qu’il pleut (ou les deux !), nous déplions la ‘nappe’ (un sac poubelle) dans la chambre et sortons thé, café, flocons d’avoine, lait en poudre, chocolat et sucre. Les flocons d’avoine sont le seul petit-déjeuner à nous éviter les fringales. Nous pouvons même nous passer de biscuits ! Nous plions la tente mouillée, elle prend bien un kilo avec la pluie. Grosse erreur, nous ne pensons pas à enlever la tente intérieure et le soir, tout est trempé. On en apprend tous les jours… Nous hésitons à partir une bonne partie de la matinée. Un coup, le ciel est bleu et ensoleillé, un autre coup, il pleut à verse. Nous déjeunons en compagnie de deux cyclistes hollandais. Eux remontent vers le nord. Il fait soleil quand nous terminons nos sandwichs, allez, on y va. Une heure plus tard, il pleut des cordes ! Nous sommes en train de batailler contre la pluie et les cailloux glissants quand Sylvie entend un gros choc : le long tube protecteur de sa chaîne a glissé vers l’arrière et s’est coincé dans le dérailleur. Le choc, c’est la patte de dérailleur qui a cassé. La patte est une petite pièce métallique qui fait office de fusible. Elle casse pour protéger le dérailleur. Les garçons passent trois quart d’heure sous la pluie à démonter la roue, la patte, décoincer la chaîne qui a sauté. Pendant ce temps, les voitures passent, nous éclaboussent sans ménagement et personne ne s’arrête pour demander si nous avons besoin d’aide. Il faut dire que les Brésiliens se sont gentiment arrêtés pour offrir leur soutien moral. Les gens doivent se dire qu’à six on peut s’en sortir. La roue remontée, Sylvie remet toutes ses sacoches et démarre. Pas pour aller très loin. Le dérailleur a pris un coup, la chaîne saute et se coince côté pignons. Ben et Patrice s’y mettent à deux pour la dégager. Re-essai, la chaîne saute à nouveau… Pour finir, Sylvie n’utilise pas le plus grand plateau, un peu gênant étant donné que c’est la vitesse la plus facile pour les montées. Nous ne faisons que 15 km ce jour-là. Un fermier sympa nous prête une cabane en bois. Une fois la poussière et les souris mortes balayées et un bon feu ronflant dans le poêle, la cabane nous semble bien douillette. Il y a trois pièces, celle avec la poêle est assez grande pour étaler nos quatre matelas (les Brésiliens nous ont distancé). Dans la deuxième, ce qui était la chambre, nous mettons toutes nos sacoches et dans la dernière, les toilettes, nous suspendons les tentes. Une Américaine sur un Bike Friday (vélo pliable) avec une valise en remorque nous hèle du chemin : ‘Vous voulez des infos sur le chemin ?’. Nous bavardons une bonne demi-heure de chaque côté de la barrière puis elle reprend son chemin pour le nord. Nous admirons son énergie. Elle a bien la soixantaine et voyage seule à vélo ! Nous passons une bonne soirée, bien au chaud, cuisine sur le poêle et dodo dans des duvets bien secs. Il y a du bois dans la grange à côté. Pas de hache mais nous coupons quelques planches au pied. Cette nuit-là, il pleut encore. Nous dormons mal à chaque fois que nous entendons la pluie la nuit… va-t-il aussi pleuvoir le lendemain ? Aura-t-on froid sur la route ? Les vélos seront dégoûtants, les sacoches aussi, nous ne pourrons peut-être pas cuisiner s’il pleut le soir et que nous n’avons pas d’abri. Tout est tellement plus simple et agréable quand il y a du soleil ou au moins quand il ne pleut pas ! Nous en venons à apprécier le temps nuageux…
Nous démarrons sous le soleil. Tous les cyclistes sont d’accord, il est plus facile d’avoir la pluie une fois sur la route que de démarrer sous la pluie. Une vingtaine de km plus loin, nous tombons sur le café que la plupart des cyclistes nous ont annoncé. C’est un peu tôt dans la matinée mais nous n’avons pas de pique-nique et le ciel est couvert. Le déjeuner revient un peu cher, quand il fait froid, on a tendance à se réconforter avec la nourriture ! Mais c’est bien agréable de déjeuner au chaud. L’homme qui tient le café est professeur d’anglais à Santiago et il tient ce café dans la maison familiale l’été. Nous retrouvons les deux jeunes Brésiliens. Ils ne veulent plus pédaler et attendent un hypothétique bus. Pour finir, ils reprennent la route peu de temps après notre passage et nous rejoignent. Deux Italiens assez âgés en ‘tenue pro’ comme on dit (maillot fluo et marques partout) déjeunent aussi ici. Devant le café qu’on leur amène : ‘Mais c’est de l’eau, décidément, il n’y a que de l’eau au Chili !’. Ils ne sont pas trop chargés et nous disent qu’ils font 150 km/jour. En attendant, ils en ont marre de la pluie et ont décidé d’arrêter la Carretera Austral à mi-chemin et de repasser en Argentine à Chile Chico (Coyhaique). La route est superbe, prés verts, chevaux, vaches et moutons. Le ciel se couvre et se découvre et la lumière filtrant à travers les nuages est fantastique. C’est ce genre de temps mi-soleil, mi-brume, qui sied le mieux à la Carretera Austral. Nous finissons par 15 km de travaux, grosses pierres, trous, tôle ondulée. Nous arrivons le soir tout boueux à La Junta, un autre village bâti dans les années 80. La Junta est un peu plus grand que Villa Santa Lucia et les gens ont l’air de faire un effort pour les touristes. Les panneaux sont standard, il y a un square avec de la pelouse et des plates-bandes et l’office du tourisme est encore ouvert à 6h du soir. Nous trouvons une hospedaje pas trop chère et rencontrons Steve, le cycliste anglais dont Tom et Tom (les deux Hollandais) nous ont parlé la veille. Lui aussi a la soixantaine et voyage seul. Il y a quelques jours, il a fait une chute et s’est bien abîmé la figure. Il se demande encore ce qui s’est passé, d’autant plus que le premier réflexe est de se protéger la figure. Il pense qu’il était en train de remonter le zip de sa veste dans une descente et qu’il a perdu l’équilibre. Ça pourrait nous arriver aussi. En montée, on a trop chaud, on ouvre notre veste. En descente, le vent glacial s’infiltre partout et on remonte notre fermeture éclair. Comme la route est vallonnée, nous sommes continuellement en train d’ouvrir et fermer notre veste. Nous passons une bonne soirée avec Steve à parler de Londres, de vélo, de l’Angleterre.
Il ne nous reste que 45 km jusqu’à Puyuhuapi, un petit village bâti dans les années 30 au fond d’un fjord. La route se rétrécit en un petit chemin et passe au milieu du parc national de Queulat. La végétation nous rappelle la Nouvelle Zélande : feuilles immenses sous lesquelles nous pourrions nous abriter, fougères géantes, fleurs rouges… une végétation quasi-tropicale. Nous croisons trois cyclistes chiliens. L’un d’eux a carrément cassé son pneu. Juste comme nous sommes en train de chercher comment nous pourrions l’aider, un bus s’arrête. C’est une chance, il doit en passer un par jour au grand maximum ! Il monte dans le bus et nous bavardons avec les deux autres. Ils sont étudiants à Vina del Mar, un resort sur la côte au niveau de Santiago et c’est leur premier voyage à vélo. Encore des courageux … ou des inconscients ! Plus nous avançons et plus nous sommes heureux d’avoir presque deux ans d’expérience à vélo. Nous ne souffrons plus beaucoup sur les routes en terre, nous avons suffisamment de muscles pour affronter les montées caillouteuses si bien que nous pouvons concentrer nos efforts mentaux sur la pluie. Mais pour des débutants, il y a de quoi se décourager du voyage à vélo entre la pluie, le froid, les montées, les cailloux… Nous déjeunons au bord de la route, sous un arbre et même si l’arrêt dure moins de 15 min, c’est suffisant pour que nous soyons glacés jusqu’aux os quand nous repartons. Nous découvrons Puyuhuapi du haut de la dernière montée, quelques maisons au bord de la mer. Pour une fois, c’est bien la mer, pas un lac de plus ! Céline et Patrice reviennent du supermarché et nous guident vers le camping La Sirena. Nous attendons ce camping avec impatience depuis que nous avons rencontré Tom et Tom. C’est que ce camping est unique dans son genre, il a des abris pour les tentes et un abri fermé et chauffé pour cuisiner ! Nous plantons notre tente avec bonheur sur un lit de gravier sous un toit en bois recouvert d’une bâche. Evidemment, il ne pleuvra pas de la nuit, ni le lendemain, jour de repos… Il y a même des lignes de tous les côtés. C’est vraiment pensé pour les cyclistes qui ont plein d’affaires à faire sécher ! La famille est très sympa et nous prête sa barque le lendemain. Ben emmène Sylvie pour une petite promenade romantique sur le fjord.
Les familles des Brésiliens débarquent le lendemain après-midi. Un des garçons nous dit que leurs parents pensaient qu’ils craqueraient au bout de deux jours. On en profite pour glisser à un des mères que leurs fils ont été formidables sur la route !! Les Chiliens sont sympas mais peu démonstratifs. A côté les Brésiliens sont exubérants. On voit qu’ils ont le sens de la fête ! Ils habitent du côté d’Iguazu et nous invitent à venir les voir quand nous passerons là-bas. Les voir aussi gais et fêtards nous donnent déjà envie de les revoir. Nous profitons de l’arrêt pour nettoyer nos pauvres vélos tout crottés. La chaîne a déjà quelques points de rouille, pris en seulement quelques jours. Incroyable, les dégâts que pluie et sable peuvent faire. A La Junta, Ben ne pouvait plus faire tourner sa roue avant, trop de sable dans le moyeu. ‘Secoue-là !’ lui conseille un camionneur. Après quelques tours et coups, la roue repart. Les freins commencent aussi à se dérégler, bref nos vélos ont pris dix ans en quelques jours ! Et encore, quand on regarde par rapport aux autres vélos sur la route, ils sont en meilleur état que bien des vélos qui sont partis après nous. L’avantage de les bâcher tous les soirs et de les nettoyer souvent.
Nous quittons Puyuhuapi sous la brume. Une de nos plus difficiles journées au Chili nous attend mais heureusement nous ne le savons pas encore ! Nous envions Matteus et James, les deux Brésiliens qui voyagent maintenant dans les 4x4 confortables de leurs parents. Au moins, ils apprécieront ! Nous pique-niquons sous l’auvent des rangers, à l’entrée du parc pour le Ventisquero Colgante, un autre glacier suspendu. Vers 13h, le ciel ne s’est toujours pas dégagé, tant pis, nous n’allons pas payer l’entrée sans garantie. Surtout que les étrangers payent le double du prix (4 euros), apparemment pour embêter les Argentins. Ils pourraient mettre un prix Argentins et un prix ‘Autres’ ! 40 km après Puyuhuapi, nous entamons la fameuse cuesta de Queulat dont tout le monde parle avec une note de respect dans la voix. Bon, on ne va pas s’effrayer, ce n’est qu’une montée de 6 km ! Elle est effectivement moins pentue que celle du premier jour après Chaiten. Mais la route est dans un état épouvantable, gros cailloux rendus glissant par la pluie, sable, tôle ondulée et lacets en pente dans les tournants. Les Brésiliens nous dépassent alors que nous suons sous une pluie battante et nous encouragent dans un concert de cris et de coups de klaxon. On ne va pas dire qu’on est heureux mais on se sent soutenus et remontés ! En haut de la montée, un paysage superbe nous accueille, des cascades dévalent les sommets enneigés mais tout est dans la brume. Sylvie prend quelques photos maladroitement avec ses gants et nous entamons la descente. Nous sommes trempés de transpiration (les ponchos complètement imperméables n’aident pas !) et le vent de la descente nous glace. Nous arrivons tremblants de froid à la Piedra del Gato, l’intersection avec la route pour Puerto Cisnes. Nous retrouvons Patrice et Céline qui nous ont bravement attendus dans le froid et… Alvaro, le cycliste chilien ! Il est là depuis 13h et s’est réfugié dans une hutte de cantonnier. ‘J’attends que la pluie s’arrête’ nous dit-il, optimiste. Nous éclatons de rire : ‘Allez, Alvaro, tu rêves, viens avec nous !’. Nous repartons tous les cinq, sur le goudron, enfin, c’est la fin de cette maudite route de ripio jusqu’à Coyhaique (il ne faut pas rêver non plus !). Une dizaine de km plus loin, il pleut toujours et il est clair que nous n’arriverons pas à rejoindre Villa Amengual et une hospedaje. Nous avisons une ferme et Ben et Patrice vont demander un abri au fermier. Nous sommes rattrapés par les Brésiliens qui ont dû faire un détour. James nous tend un sac : ‘Pour le brigadeiro !’. C’est un dessert que les deux garçons nous ont fait la veille, un mélange de lait concentré sucré et de chocolat. James et sa mère débattent du nombre de cuillers de chocolat et nous rêvons déjà à notre dessert. Nous les saluons, nous ne les reverrons plus, ils seront ce soir à Coyhaique ! Nous, il nous faudra encore trois jours. Le fermier nous offre une grange un peu sale. Ne sachant pas ce qui se cache dans la sciure et la terre (des clous ? du fil de fer ?), nous plantons les tentes dans le pré et cuisinons à l’abri. Alvaro allume un feu dans une brouette et nous séchons tous nos vêtements jusqu’à une heure du matin. Nous sommes contents, notre espagnol est bien revenu, nous pouvons faire des blagues, rire, avoir une vraie conversation. Alvaro a notre âge, il est ingénieur en électricité et on est sur la même longueur d’onde.
Le lendemain, temps superbe. Nous commençons à avoir l’habitude des sautes d’humeur de la météo patagonienne ! La cuesta de Queulat nous a bien vidé, nous flanchons dans une misérable montée goudronnée de 2 km ! Allez, un Tang au citron et ça repart ! Nous décidons de faire une petite journée et après avoir déjeuné à Villa Amengual, nous nous posons au camping au bord du Lago de las Torres, un lac entouré de montagne enneigées. L’endroit est vraiment superbe, lac bleu dans lequel se reflètent les montagnes et nous sommes heureux de le voir sous le soleil. Les Brésiliens l’ont passé la veille de nuit, ça a des avantages de rouler à vélo ! Autre bonus, le camping est à 2.500 pesos/tente (3.5 euros) pour les cyclistes et 4.000 pour les autres. Nous apprécions l’effort ! Alvaro se sent en pleine forme et décide de continuer. Dommage, nous ne le reverrons plus par la suite et nous n’avons pas échangé les emails. Alors que nous sommes en train d’étaler toutes nos affaires à sécher au soleil et de récupérer tout ce qui s’envole avec les rafales, un minibus s’arrête. Un groupe de touristes en descend et l’un d’eux s’approche, intrigué par nos vélos. Surprise, il est Américain mais habite Tokyo et travaille comme pilote pour une compagnie aérienne locale ! Exactement comme Richard, le cycliste qui avait conduit le vélo de Sylvie sur 130 km et nous avait hébergé pendant une semaine. Mais il ne connait pas Richard. N’empêche, la probabilité pour que nous ayons rencontré ce touriste…
Nous nous réveillons sous la pluie, encore… Nous prenons le petit déjeuner dans un des abris en bois et plions sous la pluie, cette fois en séparant la tente intérieure de la tente extérieure. Une dizaine de km plus loin, nous retrouvons le ripio. Nous étions au courant mais nous nous demandons encore ce que font ces 20 km de graviers sur une portion goudronnée de 200 km… Nous arrivons à Villa Manihuales avec un bon contact, Jorge, un Chilien qui loge les cyclistes gratuitement. Malheureusement nous avons oublié de demander l’adresse à Steve. Nous tournons en rond dans le village en demandant aux habitants jusqu’à ce que nous demandions à une femme noire qui passe avec sa fille. Nous sommes très surpris de voir une Noire ici, c’est la première fois et dans un petit village, c’est encore plus étonnant. Il se trouve que c’est la femme de Jorge ! Elle est Colombienne et est venue s’installer avec sa famille au Chili il y a quelques années. Elle a épousé Jorge il y a un an. Diana et Nicole nous guident jusqu’à l’ancien campement de camionneurs que Jorge a récupéré. Nous sommes accueillis par son cousin Edgardo qui garde l’endroit. Jorge arrive un peu plus tard, tout sourire et plein d’énergie. Il est de Puerto Aysen mais ‘il y avait trop de pluie, il me fallait un endroit avec plus de soleil’. Il est venu s’installer ici il y a un an, a monté son étude de comptable, une salle de spinning (vélo en salle) et, depuis trois mois, ce refuge pour cyclistes. Nous sommes les premiers à arriver par le bouche à oreille, Jorge est tout content que son adresse commence à être connue. Comme il dit : ‘Vous êtes complètement fous de pédaler sur la Carretera Austral. Je sais que je suis fou d’offrir un logement gratuitement mais vous ne pouvez pas me traiter de fou ! Les cyclistes fournissent beaucoup d’efforts et je trouve qu’ils méritent de dormir au chaud gratuitement’. La logique se tient… Nous passons une très bonne soirée en sa compagnie et avec sa famille. Nous nous souviendrons notamment de la prieta, le boudin noir cuisiné par sa maman. Nous sommes juste un peu frustrés qu’il ait autant de projets en tête et que son travail ne lui laisse que peu de temps pour les mettre en œuvre.
Nous quittons Jorge un peu tristes de ne pas pouvoir rester plus longtemps. Mais Jorge travaille et vu les réparations que nous avons à faire sur les vélos, nous allons devoir rester quelques jours à Coyhaique. Le temps est couvert, la route monte et descend entre les montagnes. Nous suivons le Rio Maniguales jusqu’à l’intersection avec la route qui mène à Puerto Aysen. Une dizaine de km avant l’intersection, le vent et la pluie se lèvent, on nous a prévenus, il y a un microclimat à Aysen, il pleut tout le temps. Nous pique-niquons dans un abribus, trempés et gelés. Ils pourraient réfléchir, s’il pleut et qu’il fait froid ici pourquoi laisser les côtés de l’abribus ouverts ? Un jeune homme engage la conversation et on lui explique que pédaler sous la pluie, c’est vraiment ce qu’il y a de pire. ‘Ah bon, moi j’aurais plutôt pensé que c’est pédaler par 30C qui doit être difficile’ nous dit-il étonné. Après l’intersection, nous sommes assez dégoûtés de voir qu’il y avait des abribus fermés ! La route tourne vers l’intérieur des terres, le vent tourne, nous l’avons maintenant de dos. Plus nous nous éloignons de l’intersection et moins il pleut. Nous longeons une autre rivière, le Rio Simpson qui doit nous mener jusqu’à Coyhaique. La route est taillée entre des falaises du haut desquelles dévalent des cascades. Depuis Chaiten, nous avons passé beaucoup de cascades, elles tombent du haut des falaises juste à côté de la route. Nous ne faisons jamais de stock d’eau ici, il y a juste à s’arrêter et récolter ! Une montée de quelques km nous amène sur un grand plateau herbeux balayé par le vent. Quelques éoliennes pointent vers le ciel mais leurs pales sont immobiles. Nous arrivons à Coyhaique tout contents, nous sommes à la moitié de la Carretera Austral ! Nous tournons deux bonnes heures pour trouver une hospedaje. Soit c’est trop cher, soit on ne peut pas cuisiner, soit il n’y a qu’une chambre de libre… Pour finir, nous revenons à la première que nous avions vue. Nous prenons la dernière chambre de libre et Patrice et Céline se mettent au camping.