Cochrane – El Chalten … 07/02 – 13/02
Le matin de notre départ, le soleil brille. Nous resterions bien encore quelques jours d’autant plus que Petra et Detlef sont revenus mais il faut avancer. Nous partons un dimanche, le bateau traverse mercredi, nous avons donc trois jours pour arriver à Villa O’Higgins, ce qui est le minimum. Le ripio est encore plus mauvais qu’avant Cochrane mais les montées ne sont pas trop raides. Les genoux souffrent quand même. Cette fois-ci nous avons fait le plein d’anti-inflammatoires à la pharmacie. Enfin, le Voltarène est tombé dans le domaine générique et une tablette de 10 comprimés ne nous coûte que 1 euro alors qu’à Puerto Varas, Ben avait payé 10 euros pour une tablette de Voltarène ! Nous prenons tous les deux notre ‘drogue’ matin et soir, pas vraiment avec plaisir mais il faut bien finir cette route. Nous plantons la tente dans un camping abandonné comme un cycliste allemand nous a recommandé le jour-même : ‘Sur la droite, tu verras, il y a un cadenas mais il est cassé’. Le camping est envahi par les mauvaises herbes mais nous plantons la tente sous un abri, au sec, car il recommence à pleuvoir. Une source coule juste à côté. Nous filtrons l’eau mais elle ressort quand même rouge-orangé, le fer probablement. La cartouche de notre filtre est propre, bizarre.
Nous démarrons sous le crachin. Ben a toujours mal au mollet. Le médecin de Cochrane a jeté un œil mais il a juste vérifié qu’il n’y avait pas d’os cassé. Il a manipulé sa cheville, ‘c’est bon, un peu de paracétamol et d’Ibuprofen et dans deux jours vous serez sur pied’. En fait, il lui aurait fallu un peu plus de repos… Les averses s’espacent et nous avons la chance de rouler sous un ciel nuageux. Nous retrouvons la même végétation luxuriante qu’au nord de Coyhaique, dans le parc de Queulat. Nous montons d’ailleurs une côte similaire, après la bifurcation pour le village de Tortel, un village dont les maisons sont reliées par des pontons en bois au lieu de rues tellement le terrain est marécageux. Nous pique-niquons à la bifurcation, face à la route qui monte à flanc de montagne. Les gens qui ont construit la route n’ont pas eu le choix, pas de col, il a fallu tailler la route dans le roc. C’est très impressionnant. La route est raide sur les trois premiers km puis elle s’aplanit. Le temps est ensoleillé quand nous arrivons au col et nous pouvons admirer glaciers et montagnes enneigées. En bas de la descente, nous arrivons à Puerto Yungay, un minuscule village au bord du fjord Estero Mitchell. Un ferry gratuit (pour une fois !) nous fait traverser et nous dépose à Rio Bravo où là, il n’y a rien du tout à part une cabane toute neuve. Cette cabane est célèbre parmi les cyclistes bien qu’elle soit toute récente. Certains ont eu la chance de dormir dedans mais depuis quelques jours, elle est fermée à clef. Le propriétaire n’a pas dû apprécier que des dizaines de cyclistes en fassent leur auberge ! Ce soir-là, nous avons beaucoup de chance. Les deux hommes qui s’occupent de la cabane travaillent sur le réservoir à eau qui alimente les toilettes. Ben leur offre des biscuits et du coup, ils nous proposent de laisser la cabane ouverte la nuit. Tout ce qu’on a à faire en échange c’est de fermer le robinet du réservoir à eau 20 min plus tard et de passer un coup de balai avant de partir. Apparemment, ils avaient fermé la cabane parce que les toilettes ne fonctionnaient pas ! Nous sommes vraiment contents, une forte tempête souffle toute la nuit, notre tente n’aurait probablement pas résisté sans les sardines, sous l’auvent. Même à l’abri, nous ne dormons pas très bien, nous pensons déjà à la journée qui s’annonce…
Ben vérifie le baromètre au lever : ‘Il est remonté d’un millibar !’. Les nuages flottent bas, gris sombres. Le vent est un peu tombé mais nous ne nous faisons pas d’illusions, la journée va être difficile. Les 20 premiers km sont relativement plats, vite avalés. Nous passons de petites maisons, parfois de l’autre côté de la rivière. De la fumée s’élève de la cheminée, comment les gens peuvent-ils vivre aussi retirés ? Ce sont les hommes qui viennent là l’été, les femmes et les enfants restent à Villa O’Higgins et les hommes reviennent le week-end à la maison ou les femmes les rejoignent. L’hiver, tout le monde se retrouve au village. Viennent ensuite les montées annoncées. Sylvie ne prend plus de risque avec ses genoux. Il y a trois montées sur 30 km (et descentes bien sûr) puis 50 km de ‘plat’ jusqu’à Villa O’Higgins. Le but étant de couvrir les 100 km dans la journée, elle économise les genoux dans les montées et pousse son vélo. Quand elle se retrouve trop à la traîne, Ben pose son vélo, redescend en courant et l’aide à pousser. Un vent violent s’est levé, vent de dos heureusement mais les bourrasques nous poussent plusieurs fois dans le fossé. Le vent est tellement fort que Sylvie doit freiner dans les montées pour retenir son vélo. Il doit vraiment être fort pour entraîner 60 kg dans une montée raide. Dans la première descente, nous croisons deux marcheurs français. Ils marchent depuis El Chalten (150 km) et ont quitté Villa O’Higgins il y a trois jours. Nous regrettons de ne pas pouvoir discuter plus longuement avec eux mais le vent et la pluie nous fouettent et le froid commence à nous gagner insidieusement. Un mini-van arrive à toute allure et s’arrête dans un crissement de freins. Femke en sort en courant : ‘Allez, courage, nous aussi on a eu du mauvais temps, vous pouvez le faire !’. Elle s’ennuyait alors elle a sauté dans le minibus de l’auberge et profite de la balade. Nous repartons réconfortés d’autant plus que le minibus repasse dans notre sens plus tard dans l’après-midi, nous pourrons toujours mettre les vélos et nous avec dedans s’il y a un problème. Nous grignotons un sandwich dans un minuscule abribus en bordure d’une ferme. Ben discute avec le fermier qui habite là tout seul toute l’année pendant que Sylvie grelotte derrière lui, il aurait pu nous inviter au chaud quand même ! Mais repartir aurait été très difficile. Femke nous redépasse dans la montée. La route pour Tortel est fermée, personne ne sait pourquoi et le ferry que nous avons pris hier ne fonctionne pas. Elle nous apprend aussi qu’il y a déjà une dizaine de cyclistes à Villa O’Higgins, le départ du bateau ayant été annulé samedi et lundi. Il y a de fortes chances pour que le départ de demain (mercredi) soit repoussé à jeudi vu le mauvais temps. Nous nous accrochons à cet espoir, une journée de repos ne sera pas de trop. La route est censée être plate après les trois montées mais elle ondule et les pentes sont toujours assez raides. Avec la pluie et le vent violent, nous commençons à fatiguer. Retenir le vélo et combattre le froid demande beaucoup d’énergie. Nous n’avons pas fait beaucoup de pauses et deux sandwiches ne sont pas suffisants pour autant d’efforts. Les arbres se balancent de façon inquiétante au-dessus de nos têtes. La route est dégagée mais il y a beaucoup d’arbres tombés de part et d’autre dans la forêt. Peu de maisons sur la route, nous commençons à nous inquiéter, qu’allons nous faire si nous le vent forcit ? Planter la tente et risquer de se prendre un arbre sur la tête ? Une voiture de carabineros nous croise, gyrophare allumé et nous nous promettons de les arrêter s’ils repassent dans l’autre sens. Comme le ferry de Puerto Yungay ne fonctionne pas, il n’y a aucune circulation, nous ne pouvons même pas compter sur un camion pour nous aider. Finalement, nous arrivons en vue de Villa O’Higgins, le village est là, de l’autre côté du marais. Et là, mauvaise surprise, nous avions oublié que la route fait un détour de 20 km pour éviter les marécages. Nous pédalons sur une digue avec le vent de côté. Ben essaie d’abriter Sylvie mais c’est encore plus dangereux, le vent le pousse sur Sylvie et nous nous écroulons tous les deux par terre, le vélo de Sylvie s’arrêtant à quelques cm du bord. Un peu plus et elle finissait dans le marécage. Un énorme nuage noir nous fonce dessus, poussé par le vent et nous commençons à paniquer. Le vent est déjà fort, un orage nous ralentirait encore plus. Nous parvenons au bout de la digue, moitié roulant, moitié poussant. La route est ensuite un peu plus abritée, dans la forêt. Une grande branche qui pend en travers de la route nous fait accélérer, pourvu qu’un arbre ne nous tombe pas dessus ! C’est avec soulagement que nous voyons le panneau ‘Villa O’Higgins’. On l’a fait ! Nous avons fini la Carretera Austral et nous avons fait la dernière étape en une journée par un temps épouvantable. Nous posons nos affaires chez l’ami d’Olaf, chouette, une grande chambre double avec salle de bain à un prix d’ami ! Puis nous fonçons à l’auberge où logent la plupart des cyclistes. Patrice et Céline, Femke et Mateo, Neil et Harriet… ils sont tous soulagés de nous voir arriver : ‘On commençait à regarder l’heure et à se demander si vous alliez arriver aujourd’hui’. Ils ont tous fait la dernière étape en deux jours, wow, un bon point pour les vélos couchés ! Le départ du bateau est effectivement repoussé à jeudi, demain, grasse matinée !
Alfredo, notre hôte habite ici depuis 18 ans. Il fait partie des soldats qui ont aidé à construire la route. Il nous raconte comment la reconnaissance se faisait à bord d’un petit avion puis à pied : ‘On mettait beaucoup de nourriture dans un sac à dos, des fruits secs, des vêtements de pluie puis on partait à pied chercher le meilleur passage’. Nous avons vu quelques panneaux de bois avec des noms ‘Soldado xxx’. Ce sont les soldats qui sont morts lors de la construction de la route, accidents d’explosifs, chutes, accidents d’avion… Alfredo ne veut d’ailleurs plus remettre les pieds dans un de ces petits avions. Nous avons beaucoup d’admiration pour ces hommes. Nous venons de faire la route en trois jours pour le plaisir mais à l’époque, il fallait huit jours, à cheval, pour aller à Cochrane. Maintenant, Alfredo est politicien à Coyhaique. Il passe l’été ici, il a cet hostel comme un hobby comme il nous dit. Nous détectons quelques rivalités. Le propriétaire d’El Mosco, l’auberge où sont tous les cyclistes, n’était pas heureux que nous soyons chez Alfredo : ‘C’est un corrompu, il a volé plein de gens ici !’. Pour un corrompu, on trouve que sa maison n’est pas très confortable, il n’a même pas le gaz ! C’est un fourneau à bois qui chauffe la maison, l’eau pour la douche et sert de cuisinière. Alfredo est plus relax quand on lui demande s’il s’entend bien avec les gens du village : ‘Le village est trop petit, on croise les mêmes gens tous les jours, ce n’est pas possible d’avoir des ennemis’. Il nous apprend qu’il est en relation avec le gouvernement argentin pour finir la route vers l’Argentine. En fait, la route est presque finie, il ne manque qu’un pont du côté argentin ! Nous sommes assez écœurés de l’apprendre, le bateau pour traverser le lac nous coûte 40.000 pesos chacun, c’est-à-dire 56 euros. Pour 2h30 de traversée. Par comparaison, le bateau qui nous avait emmené de Quellon (Chiloé) à Chaiten avait pris la bonne partie d’une nuit et nous avait coûté moitié moins cher. Sous prétexte qu’il y a peu de monde, la société qui gère le bateau a doublé les prix chaque année dans les trois dernières années.
Le lendemain, nous nous levons à l’aube. Le bateau part à 8h30 et l’embarcadère est à 8 km du village, on ne prend pas le risque de le rater ! Nous sommes douze cyclistes à traverser ainsi que quelques piétons. Les sacoches sont envoyées à fond de cale et les vélos solidement arrimés autour du pont avant. La plupart de la traversée se fait le long d’un fjord. Le bateau s’arrête deux fois pour déposer des gens. Nous les regardons descendre, ébahis. Les premiers remontent parait-il le soir même sur le bateau, ils vont rendre visite à des gens. L’homme qui descend ensuite habite seul toute l’année sur le rivage du fjord. Quatre chiens courent sur la plage, avancent dans l’eau jusqu’au poitrail, ils savent que leur maître est de retour. Le fjord s’élargit et rejoint le lac. Le vent souffle de travers, les embruns (de l’eau douce, Ben a vérifié auprès du capitaine !) arrosent les vélos, zut, on a oublié d’enlever les coussins des sièges ! Un pauvre chien est attaché sur le pont, côté au vent en plus. Le pauvre animal pleure, on enrage contre son maître, il pourrait quand même sortir rassurer son chien. A l’arrivée, ceux qui attendent le bateau depuis quatre jours se joignent à la chaîne pour débarquer les vélos et les sacoches. Les chevaux qui doivent nous aider à transporter nos bagages ne sont apparemment pas disponibles aujourd’hui. On a l’impression que l’homme a autre chose à faire aujourd’hui, marquer son bétail, et comme il fait rarement beau, on le comprend. Il n’y a qu’une famille qui habit ici, à Candelario Mancilla, un couple âgé et leurs deux fils. Ils ont habité ici toute leur vie et pourtant il n’y a rien à part leur maison. Enfin rien… le ‘camping’, un grand pré au-dessus de leur maison, fait face au lac bleu clair et aux montagnes au loin. Il y a pire comme endroit pour patienter ! Nous passons l’après-midi au soleil à bavarder avec deux cyclistes sud-africaines très sympas. Il y a la bande habituelle d’Israéliens et aussi un Américain à moto qui nous aide à pousser nos vélos en haut de la côte. Nous pensions que les motos ne pouvaient pas passer mais lui a réussi. Quatre cyclistes décident de partir le jour-même sans les chevaux. Notre noyau de huit (Femke, Mateo, Patrice, Céline, Neil, Harriet et nous deux) décide que paresser au soleil pendant un après-midi vaut mieux que s’échiner sur un mauvais chemin avec tous ses bagages. On risque d’abîmer vélo et sacoches et nous ne sommes plus à un jour près…
Nous démarrons tard. Ben va plusieurs fois à la maison voir si le conducteur des chevaux est réveillé. Sa mère refuse de le réveiller sous prétexte qu’il est rentré tard hier. Les Chiliens vivent vraiment à l’heure espagnole. C’est vrai que nous aussi, nous avons du mal à nous lever tôt le matin avec le froid. Finalement, nous n’avions pas tout compris, nous aurions pu partir plus tôt. Le fils nous dit de mettre tous nos bagages dans son pick-up, il fait les 15 premiers km en voiture et les chevaux ne font que la partie la plus difficile, les 7 derniers km. La première partie du chemin est relativement facile. Nous passons la douane chilienne juste après le camping puis empruntons une sorte de chemin de randonnée caillouteux qui s’élève au-dessus du lac. Nous poussons le vélo sur les 6 premiers km, trop de cailloux et de sable et ça monte. Le chemin s’aplanit ensuite et passe dans une belle forêt. C’est probablement là que Jay et Jenny ont campé et on pêché leur énorme saumon. Il n’y a personne pour vérifier les permis ici ! Après la forêt, nous nous retrouvons d’un coup sur une piste d’aérodrome. C’est bien la première fois (et probablement la dernière) que nous pédalons sur une piste d’atterrissage ! Ensuite l’aventure (ou le cauchemar selon les points de vue !) commence. Un panneau annonce l’Argentine et, juste derrière, nous sommes accueillis par un bourbier et des buissons très serrés. Les autres sont partis devant, dommage, nous pensions que nous ferions la partie difficile tous ensemble. D’un autre côté, comme ça, on n’a pas la pression pour aller vite. Enfin Ben nous met la pression : ‘Allez, il ne faut pas trainer, il est 14h et le bateau part à 18h’. Il n’y a que 7 km mais il nous faut 3h pour arriver au bout ! Nous nous autorisons un sandwich chacun debout avant le bourbier puis nous y allons. Nous enfonçons jusqu’aux chevilles dans la boue, heureusement que nos chaussures sont bien étanches, tant que la boue ne passe par-dessus, nous gardons les pieds secs. Nous sommes les seuls à avoir les pieds secs le soir ! La boue monte au-dessus du moyeu de notre roue avant (20 pouces), nous n’avons jamais vu ça ! Après le bourbier, nous passons plusieurs petites rivières. La plupart se traversent sur des ponts de troncs d’arbres. Pour un de ces torrents, le pont ne nous semble pas assez solide. Ben traverse puis Sylvie se déchausse, rentre dans l’eau glacée et pousse les vélos sur le pont. Ben les réceptionne de l’autre côté. Le temps qu’elle se rechausse, Ben avance les vélos dans la forêt jusqu’au prochain pont ! Les deux derniers km sont une rigole de terre, trop étroite pour que nous y passions avec les vélos. Nous alternons : une fois nous sommes sur le haut de la rigole, nos pieds à la hauteur du guidon et poussons le vélo au fond de la rigole ; 100 m plus loin, nous posons le vélo en haut et marchons au fond de la rigole. Ben tente aussi, le vélo au fond de la rigole et lui assis sur le porte-bagages ! Les chevaux nous rattrapent à la fin, juste comme nous découvrons une superbe vue : la Laguna del Desierto, bleu turquoise et au fond, le Mont Fitzroy, un rocher aux arêtes acérées. Nous arrivons une heure avant le départ du bateau, juste le temps de faire tamponner notre passeport par le douanier argentin et nettoyer nos vélos dans la rivière. Une demi-heure plus tard, nous sommes de l’autre côté de la lagune et nous trouvons un superbe endroit pour mettre nos quatre tentes au bord de la rivière.
Les 40 km jusqu’à El Chalten sont vite avalés. Le ripio est toujours très mauvais mais il fait beau et la route est presque plate. Nous retrouvons les autres à l’entrée du village, ils se sont arrêtés à la première maison, une boulangerie ! Nous nous jetons sur les croissants de la veille. C’est moitié prix et ça fait tellement longtemps qu’ils nous semblent délicieux. Nous fêtons la fin de la Carretera Austral le soir même dans un bar, pizzas à volonté !