Le patient dans tout ça ? : la suite

Publié le 07 mars 2010 par Cmdjd
Dans le conflit entre papa-qui-tient-la-bourse - le gestionnaire au nom du citoyen-contribuable - et maman-qui-met-du-baume-sur-les-plaies - le soignant au nom du citoyen-patient -, on a vu comment Papa s'est débrouillé pour ramener Maman dans sa cuisine pour qu'elle s'occupe de ses affaires. Mais ce qu'elle voit de la fenêtre de sa cuisine, Bobonne, ce n'est pas très compliqué (dans ce qui suit, les histoires décrites sont modifiées de manière à rendre impossible la reconnaissance des patients).

Elle voit l'histoire de Monsieur A., 80 ans, habitant Viry-Chatillon avec son épouse, arrivé à l'Hôpital Rotschild par une connaissance de sa fille pour l'exploration d'un amaigrissement suspect. On lui découvre un cancer colique que son état général ne permet pas de traiter autrement qu'en prenant soin de son confort. Des demandes d'admission en Unité de Soins Palliatifs sont lancées. Une première réponse positive arrive d'une USP de Paris. L'acceptation de l'USP de Joffre-Dupuytren arrive la veille du transfert, mais la date d'admission proposée est de peu postérieure à celle prévue dans Paris. Le transfert dans Paris est maintenu par l'hôpital pressé de libérer un lit. L'épouse, qui ne peut imaginer ni laisser son mari sans visite une seule journée ni s'imposer les trajets quotidiens en transports en commun, se délocalise dans une chambre d'hôtel du quartier. Après une semaine, la famille épuisée appelle au secours. Une place se libérant rapidement, le transfert est organisé. Après divers aléas et la correction de manifestations inconfortables, l'état de santé de Monsieur A. se stabilise, permettant son passage en SSR, au même étage que l'USP, avec une prise en charge par une équipe ayant déjà eu contact avec le patient. Le décès survient deux mois et demi après l'entrée dans l'établissement.
Bobonne voit l'histoire de Madame B., 70 ans, habitant Paris mais sans autre famille qu'une nièce résidant à proximité de l'hôpital Joffre-Dupuytren. Madame B. entre en urgence à la Pitié-Salpétrière pour détresse respiratoire dans le cadre d'une maladie neuro-dégénérative d'évolution rapide. L'évaluation et les premiers soins sont organisés à La Pitié, et le transfert est organisé à Joffre-Dupuytren. Après quelques semaines et quelques ajustements de traitement, la situation se stabilise suffisamment pour envisager une prise en charge dans une structure plus légère, et le transfert peut être réalisé vers une maison de retraite du secteur avec l'aide et la présence soutenue de la nièce de la patiente.
Bobonne voit l'histoire de Madame C., 85 ans, hospitalisée en SSR dans le cadre d'une perte d'autonomie progressive sur maladie d'Alzheimer évoluée. Quelques jours après son admission survient un accident vasculaire cérébral avec hémiplégie rapidement compliqué d'une épilepsie rebelle. Devant la répétition des crises rendant l'épilepsie permanente, définition de l'état de mal épileptique, le Samu est appelé à la rescousse mais s'avoue rapidement en échec. Dans le contexte, une place en réanimation est inenvisageable et la patiente est laissée aux bons soins du SSR, avec une proposition de traitement de base. Devant l'échec de ce traitement, la seule solution restante, ne serait-ce que pour faire cesser l'état de mal, réside dans des acrobaties thérapeutiques habituellement réservées aux services de Réanimation, avec leurs moyens lourds de surveillance. En quelques heures et au terme de ces mesures exceptionnelles, l'état de mal cède, laissant la place à une somnolence paisible.

Bobonne voit l'histoire de Madame D., 76 ans, porteuse d'un cancer colique en phase palliative, avec une hémorragie rebelle a priori fatale à cour terme. Outre divers ajustements du traitement destinés à améliorer le confort de la patiente, un traitement hémostatique est institué et permet l'arrêt du saignement. L'état général s'améliore sensiblement. Madame D. retrouve progressivement goût au quotidien puis à la possibilité de quelques projets. Une permission en famille à l'occasion des fêtes de Noël concrétise les choses, et le retour au domicile peut finalement être organisé, ainsi que la reprise d'une chimiothérapie légère. Un an après, un nouvel épisode hémorragique conduit la patiente aux Urgences de son hôpital, qui appellent le service en disant sans y croire « Elle saigne abondamment, mais elle n'a pas l'air inquiète. C'est elle qui nous demande de vous la confier en disant « Ils sauront quoi faire » ». Le transfert est organisé, et le traitement hémostatique qui avait été interrompu est réintroduit. Le saignement cède à nouveau, et Madame D. regagne son domicile quelques jours plus tard. Elle décèdera dans le service un an plus tard, lors de son troisième séjour à l'occasion d'une complication différente de son cancer.
Elle pourrait en raconter comme ça jusqu'à la fin des temps, Bobonne. Pas pour se glorifier, parce qu'elle pourrait aussi raconter des histoires d'échec, de douleur, de drame, comme dans tout hôpital. Mais simplement pour faire toucher du doigt ce qu'il veut, le patient, ce qu'il attend, ce dont il a besoin.
Et ce qu'il attend, ce n'est pas si compliqué. Il attend des soins, des soins qu'on lui administre mais tout autant, et en même temps, du soin qu'on prend de lui. Il attend de la compétence, de la douceur, de la compréhension, de la réassurance, du respect. Il attend de pouvoir être entouré par ses proches, de pouvoir continuer à faire partie de la société, qu'il soit malade, handicapé, ou guéri. Il attend que sa vie conserve son sens, le sens qu'il lui voit, son goût, sa saveur, un sens qui lui donne l'envie de la poursuivre. Il attend qu'on le soigne et aussi qu'on l'accompagne, qu'on accompagne ses proches, lui qui de sa place continue à accompagner les autres.
Les uns diront : « C'est bien beau tout ça, mais a-t-on réellement besoin de l'hôpital pour s'occuper de tous ces aspects ? ». Les autres diront : « Ce n'est pas tant que chacun de ces aspects doit relever de l'hôpital. C'est que puisque l'hôpital est chargé de soigner des patients, il ne peut faire de bonne médecine qu'en se préoccupant globalement de leur situation, sous tous ses aspects ».
Les uns diront : « Vous savez combien ça coûte la compétence, la réassurance, la proximité, le goût de vivre ? ». Les autres diront : « Vous savez combien ça coûte l'incompétence, la peur, la solitude, le désespoir ? »