Donc entre périph’ et boulevard extérieur (on a le Trianon qu’on peut), la République convoque en mars tout le fleuron du terroir, de la Beauceronne au Beaufort, et tout le gratin de ses élus pour en tâter. Il faut montrer -surtout avant des élections- comme on sait rester populaire en costume cravate et très « France profonde » de cœur quoique ouvert de raison à la diversité. Passons en revue les illustres visites qui ont émaillé cette semaine prodigieuse, sans jamais oublier la leçon de la fête : « Il faut sauver notre agriculture ».
Dimanche
On dit que
François Bayrou, pour bien rappeler qu’il en est, a d’abord songé à « monter » de
Pau en tracteur ; puis, craignant qu’on hurle au réchauffement, il a pensé qu’une arrivée à cheval serait d’un bon effet avec Sarnez en croupe, mais là c’est son épouse et la directrice de la SPA qui ont opposé un vigoureux veto. Comme le président du MoDem cherchait en vain le stand de l’ours des Pyrénées, on lui a fait admettre que la présence du plantigrade dans ce sanctuaire ne serait pas du goût des ovins, et que lui-même ne devait pas trop s’approcher de ces bêtes sensibles. Cette précaution a conforté l’excentrique centriste dans l’intuition que les paysans « sont en souffrance » et qu’«
il faut sauver notre agriculture. »
Lundi
Malgré tous les coups de rouge et de blanc qui l’ont fait repartir soutenu sous les aisselles,
Arion est passé inaperçu parmi les stands, mais pas dans le métro du retour, où il braillait sur l’air de La Madelon, au son d’un violon yougoslave, qu’«
il faut sauver notre agriculture ».
Mardi
Avec une
Cécile Du flot portée par la vague (verte),
José Bové, paysan transgénique depuis 76, a fait comprendre à des ruraux de 2010, conquis par ses bacchantes d’avant-guerre, que l’actuel « modèle va dans le mur » et que, pour nourrir la population pléthorique d’après-demain, il n’y a pas plus urgent que de revenir à la production de grand-papa. C’est à ce prix qu’«
il faut sauver notre agriculture. »
Mercredi
On a surpris
Martine Aubry -ça devient une habitude- repoussant avec morgue la horde des journalistes dont l’absence l’aurait outrée. Elle a trouvé méprisant que Sarkozy n’inaugure pas le salon, comme elle trouvera sans doute vaniteux qu’il le conclue. Au stand du Charolais, elle a profité d’un moment de flottement général pour tenter de se faire aussi grosse que le bœuf : elle n’en était pas loin, mais elle s’est heureusement avisée de lancer la phrase indispensable : «
Il faut sauver notre agriculture. »
C’est ce que pense aussi
Jean-Marie Le Pen. Le vieux frontiste n’a pas perdu le sens de la métaphore animalière : comme il avait trouvé jadis à Jospin un air de « hibou ébloui », il a trouvé ce jour à
Villepin « une tête de lévrier afghan ». Dieu sait pourtant que le Galouzeau n’avait pas ménagé ses efforts pour être crédible. Comme dernièrement un porcelet, il a voulu cette fois-ci étreindre un ânon du Poitou en proclamant qu’il lui rappelait quelqu’un. Mais le bourriquet ne s’est pas laissé prendre, il lui a même rué au mauvais endroit. Dominique-nique-nique a su faire bonne figure, mais tout porte à croire que ses charges contre Sarkozy seront désormais moins viriles. Rien cependant ne l’empêchera jamais de proclamer qu’«
il faut sauver notre agriculture. »
Jeudi
Quelle délicatesse de la part de
François Fillon de venir fêter son anniversaire à la ferme ! Il est parfait, cet homme. Parfait au Palais des expositions pour le sacre parisien du cheptel, parfait à l’église de Luçon pour le deuil vendéen des inondés. Parfait partout. Posé, discret, le gendre idéal : c’est pour cela qu’il a épousé une anglaise et qu’elle s’appelle Pénélope. Président très possible, en effet : sous la Quatrième République. Et ne doutez surtout pas de sa sincérité quand il annonce qu’«
il faut sauver notre agriculture. »
Vendredi
A l’entrée de
Jacques Chirac, explosion dans le hall des expositions d’une formidable clameur de comice en liesse, exultant concert flaubertien de voix humaines, applaudissements, beuglements, bêlements, hennissements, grognements, cancannements de reconnaissance : c’est tout le sang de la France profonde qui saluait son vieux ventricule droit. Trente ans de notre vie nationale se promenaient bonnement parmi veaux, vaches, cochons, couvées. Une Blonde d’Aquitaine en avait la larme à l’œil. Entre deux bouts de gras et trois cul sec, on a clairement entendu Chichi confirmer.. qu’«
il faut sauver notre agriculture. »
Samedi
Sarko est arrivé, sans se presser,
le p’tit Nico, sacré Sarko, avec son verbe et ses biaux cadeaux… Moins rural que cet homme-là, je meurs. C’est comme
Balladur ou
Mitterrand, on sent que profondément la Frisonne le défrise. Et comme il a toujours un coup d’avance ou de retard sur son planning vibrionnesque, il s’est soudain mélangé les pinceaux dans les papiers de
Guaino, s’exclamant à l’étonnement de la foule rustique :
« Il faut… sauver… notre industrie ! »
Et voilà, c’est fini pour 2010. La Foire est morte, vive la Foire ! Mais qu’on se rassure : pas besoin d’attendre l’année prochaine, on a les Régionales dans huit jours et le blocage des lycées dans un mois.
Arion
[Les dessins que vous pourrez j’espère apprécier en cliquant sur les photos , sont de Langelot “croquignolet”]
La z’ique de Makhno :
Signez pour “Les vaches d’Yvette ” !